Le Diable, tout le temps – Donald Ray Pollock

Par Raymond Pédoussaut

lediabletoutletempsDate de publication originale : 2011 (The Devil All The Time) Pollock
Date de publication française : 2012 (Albin Michel)
Genre : roman noir
Personnages principaux : Arvin, jeune homme et son père Willard – Roy et Théodore, prédicateurs spéciaux – Carl et Sandy, amateurs de photos particulières – Bodecker, shérif corrompu …

Willard Russel revient de la guerre contre le Japon, dans les îles Salomon. Il a assisté à une scène traumatisante. Dans un restaurant il tombe amoureux de Charlotte, la serveuse, qu’il épouse quelques temps plus tard. Puis nait un petit garçon : Arvin. Le bonheur dure peu de temps, Charlotte tombe malade. Persuadé que par des prières intenses il peut contribuer à sa guérison, Willard et son petit garçon Arvin se soumettent à de longues heures de supplication sur un tronc de prières sur lequel il sacrifie des animaux. Malgré cela le cancer emporte Charlotte. Willard ne le supporte pas, il se suicide. Arvin, le petit garçon, se retrouve orphelin. A l’église du village officie un drôle de couple de prédicateurs : Roy et Théodore. Roy fait des sermons délirants, Théodore, infirme sur fauteuil roulant, donne aux sermons enflammés de son équipier un fond musical avec sa guitare. Roy aime les femmes, Théodore les hommes. Carl et Sandy sont un couple étrange. Elle, est serveuse dans un bar et se prostitue à l’occasion. Lui, ne fait rien en attendant qu’ils partent à la chasse des modèles pour des photos très particulières dont Carl s’est fait une spécialité. Bodecker est le frère de Sandy, c’est aussi le shérif corrompu de la région. Que sa sœur se prostitue l’embarrasse car cela peut contrarier sa réélection.

L’auteur nous décrit des tranches de vie de tous ces personnages et de quelques autres. Les histoires sont indépendantes les unes des autres jusqu’à la dernière partie du roman où les divers protagonistes finissent par se rencontrer. Les états de l’Ohio et de la Virginie occidentale servent de cadre au roman, pendant la période allant de 1948 à 1960. Dans cette Amérique profonde, les tares psychologiques s’épanouissent. Les fous de Dieu croient pouvoir faire des miracles : Willard pense que la prière et les sacrifices peuvent guérir le cancer de son épouse. Le prédicateur Roy croit pouvoir ressusciter les morts. Carl, le photographe, fait des mises en scène macabres pour ses photos. Un autre prédicateur est un profiteur qui adore la chair fraîche des toutes jeunes filles. Ceux qui ne sont pas cinglés sont corrompus : le shérif Bodecker sert d’homme de main à un mafieux, l’avocat véreux Dunlap commandite le meurtre de sa femme qui le trompe avec son jardinier noir. Peu sont sains d’esprit et honnêtes et même ceux là sont amenés à commettre des actes irréparables. C’est le cas d’Arvin.

Une belle écriture lyrique donne un ton particulier à ce roman. Il y a un recul qui fait passer les atrocités comme des évènements ordinaires.

C’est un roman très noir, dur et même barbare qui laisse le lecteur un peu étourdi. Est-ce le Diable qui pousse les hommes à accomplir de telles horreurs ? Ceux qui apprécieront ce livre sont les amateurs de romans noirs, ceux qui ne craignent pas d’être secoués par une lecture. A contrario ceux qui ne supportent pas la violence et les cinglés dangereux, risquent de trouver cette lecture éprouvante.

Pour terminer il est à noter que la couverture choisie pour l’édition française est assez bizarre et ne reflète nullement le contenu du roman.

Extrait :
Willard s’appuya sur la partie haute du tronc et fit signe à son fils de s’agenouiller à côté de lui dans les feuilles mortes, spongieuses. Quand du whisky ne lui coulait pas dans les veines, Willard se rendait à la clairière matin et soir pour parler à Dieu. Arvin ne savait pas ce qui était le pire, la boisson ou la prière. Aussi loin qu’il pût se souvenir, son père lui semblait avoir passé sa vie à combattre le Démon. Arvin frissonna un peu à cause de l’humidité, et serra sa veste contre lui. Il regrettait son lit. Même l’école, avec tous ses tracas, valait mieux que ça. Mais on était samedi, et il n’y avait pas moyen d’y échapper.

Il ferma la fenêtre et alla dans le salon qu’il arpenta en chantant de vieilles hymnes religieuses et en agitant les bras dans l’air comme s’il dirigeait un chœur. « Bringing in the Sheaves » était l’un de ses préférés, et il le chanta plusieurs fois d’affilée. 

Tennessee Ernie Ford – Bringing in the Sheaves

Ma note : 4 out of 5 stars (4 / 5) lediabletoutletemps-amb2

 

 

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6 réponses à Le Diable, tout le temps – Donald Ray Pollock

  1. Athalie dit :

    Je souligne tes adjectifs « barbare » et « lyrique » qui colle vraiment bien à l’atmosphère de ce polar ( en est-ce vraiment un d’ailleurs ?). Un souvenir de lecture qui perdure avec force tant le monde y est noir et sans rémission possible. Une sorte d’apocalypse du soit disant rêve américain … je conseille aussi les nouvelles du même auteur, noires aussi, voire pire que noires, mais pas polar du tout, par contre.

    • Ray dit :

      Si un roman noir est considéré comme un polar alors ce livre est un polar. Derrière cette étiquette de « polar » on trouve beaucoup de romans de styles différents. Je suis d’accord avec toi : le rêve américain en prend un sacré coup dans ce livre.
      Merci de ton commentaire.

  2. Ray dit :

    Salut Fabe,
    A ta place je n’aurais pas lu mon avis, ou un autre avis, j’aurais attendu d’avoir le mien avant de consulter celui des autres. Mais comme tu ne l’as lu qu’en diagonale, je suppose pour ne pas être influencée, je pense que ce que j’ai écrit n’a fait que t’effleurer. J’espère que tu y reviendras après avoir lu le livre. Moi, j’attends de lire ta chronique. Nous en reparlerons.

  3. Fabe dit :

    Bel avis que voilà que j’ai lu en diagonale …
    Pourquoi ? Parce que je viens de le commencer.
    Merci pour m’avoir fait faire un arrêt sur ce livre qui gisait au milieu de mes tours branlantes.
    À très vite pour mon avis à comparer au tien que je lirai avec plus d’attention.

  4. Salut ! Ce roman se trouve dans ma pile et je vais y passer incessamment sous peu… Je sais que l’on atteint des profondeurs dans le roman noir et comme tu le disais sur FB, ensuite, on ne voit plus Manook ou Mallock du même oeil.

    Sans doute… mais bien que j’aime les romans noirs, de temps en temps, un roman noir un peu moins noir que les autres, ça ne fait pas de tort et je ne le vois pas d’un autre oeil après la lecture d’un autre. Dans ma tête, ils sont tous appréciés pour des choses différentes, et ce que je reproche chez l’un passera comme une lettre à la poste chez un autre auteur. 😉

    Comme quoi, tout reste affaire de ressentit… 😀

    • Ray dit :

      Salut Cannibal,
      Je te remercie de t’intéresser à ma modeste chronique. Je suis bien d’accord avec toi, on peut apprécier les romans noirs et tout aussi bien les romans plus légers. Ce que je reproche à des auteurs comme Manook et Mallock, ce n’est pas le manque de noirceur mais le manque d’authenticité. Je pense que ces auteurs connaissent les ingrédients pour faire la bonne recette mais que ça manque singulièrement d’âme. Tout est peut être affaire de ressenti et peut être un peu aussi d’analyse.

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