Dans l’ombre d’une espionne – Anne Perry

Par Michel Dufour

Date de publication originale : 2021
(A Darker Reality)
Date de publication française : 2022 (10/18)
Traduction :
Florence Bertrand
Genres :
Espionnage, enquête
Personnage principal :
Elena Standish, MI6 (et photographe)

C’est le troisième roman de la série « Elena Standish ». J’ai déjà commenté Dans l’œil du cyclone (9 janvier 2022) et Dans les bras de l’ennemi  (4 mars 2022). On est évidemment loin de Thomas Pitt et de William Monk, mais cette série plus récente de la famille Standish a aussi son charme : nous sommes aux alentours de 1934 (Elena a 29 ans) et nous sommes témoins des répercussions de la montée du fascisme en Allemagne aussi bien qu’en Angleterre et aux États-Unis. Le contexte historique a toujours été important pour Perry. Et la tension qui a opposé ceux qui proclamaient « Plus jamais la guerre ! » et ceux qui ne pouvaient pas tolérer les abus impitoyables du fascisme a marqué nos parents et nos grands-parents même ici au Canada et au Québec.

Elena et ses parents ont franchi l’Atlantique et se retrouvent à Washington pour fêter le 60e anniversaire de mariage des parents de Katherine, la mère d’Elena. Katherine revoit avec plaisir ses parents (Dorothy et Wyatt Baylor), la superbe maison de son enfance et de son adolescence, et la ville de Washington à peine reconnaissable. Son père a fait fortune dans l’industrie lourde, est devenu sénateur et conseiller du Président Roosevelt, d’ailleurs invité à la fête grandiose des grands-parents d’Elena.

Tout le gratin de la capitale est réuni et trinque à répétition, les toilettes les plus extravagantes sont photographiées par Elena (officiellement photographe mais, officieusement, agente du MI6… en vacances…), et les Baylor passent d’un invité à l’autre avec un bon mot pour chacun. Soudain, la fête est interrompue : la jolie Lila Worth vient d’être écrasée à mort dans le stationnement. Il semble que ce soit un meurtre. L’automobile impliquée est celle de Wyatt. Le capitaine Miller interroge les invités. Wyatt est arrêté. Ses amis soupçonnent une cabale politique ou une rivalité financière. Mais pourquoi avoir tué Lila Worth ? Le crime passionnel est peu probable. À cause des services de sécurité du Président, il semble bien qu’aucun intrus n’ait pu s’introduire dans le stationnement. Le meurtrier paraît donc être un des invités.

Toujours fonceuse, Elena est déterminée à laver l’honneur de sa famille. Elle reçoit l’aide de James Allenby, qui prétend être du MI6, et lui révèle que Lila était aussi une espionne, enquêtant sur une fuite d’informations, des États-Unis vers l’Allemagne, à propos de recherches sur le nucléaire et la fabrication d’une bombe. Peut-elle se fier à Allenby ? Et s’il s’agit vraiment d’une problématique internationale, a-t-elle les moyens de s’impliquer là-dedans ? Lila Worth était beaucoup plus expérimentée et ça ne l’a pas empêchée de se faire tuer !

L’action est suffisamment lente pour que Perry ait le temps de bien camper ses personnages et de décrire les façons de vivre (et de se vêtir) des habitants de cette époque. Elena avait vu en direct la montée du fascisme en Allemagne (cf. Dans les bras de l’ennemi); dans ce cas-ci, Perry nous montre avec précision l’effet Hitler aux États-Unis. Les causes possibles de l’assassinat de Lila  sont bien exposées et la solution du problème manifeste une certaine subtilité. Et tout cela est tellement bien écrit.

Extrait :
(Wyatt)
Tu ne sais pas comment c’était avant que toutes ces autres cultures nous envahissent et veuillent tout changer.
Il se tut soudain, les yeux rivés sur son visage.
Vous voulez dire prendre à ceux qui travaillent dur pour donner aux paresseux ?
L’utilisation de ces mots donnait l’impression que c’était raisonnable. Pour sa part, elle aurait plutôt dit : prendre à ceux qui ont plus qu’ils n’ont besoin pour aider ceux qui sont âgés, malades, ou simplement perdus, pauvres et affamés, mais elle ne pouvait se permettre de se quereller avec lui.
Cela te paraît dur ?
Qu’avait-il décelé dans son regard, ou dans son expression ? Elle ne devait jamais lui donner l’impression de lui mentir.
Non, mentit-elle. Certains seront assistés toute leur vie, si on est assez naïf pour les laisser faire.
Bien, ma fille. Exactement ! Tout homme mérite paiement pour son labeur, mais rien n’est dû à ceux qui refusent de travailler (…) La race blanche est différente ! Les Noirs, les juifs, et même certains Italiens et Espagnols ne possèdent aucun contrôle d’eux-mêmes. Et ils se reproduisent comme des lapins et s’attendent à ce que nous…
Il s’interrompit et la dévisagea avec intensité.
Elle dut se faire violence pour maîtriser son émotion et l’empêcher de percer dans son regard. Elle leva les yeux vers lui
… les sauvions de la noyade ?
Il soupira.
Précisément. Quand ils nous auront submergés, il sera trop tard. Nous ne faisons que nous battre pour protéger les nôtres.

Cornouiller

Niveau de satisfaction :
4.3 out of 5 stars (4,3 / 5)

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Dans la neige ardente – Olivier Gallien

Par Raymond Pédoussaut

Date de publication originale : 2022 – Robert Laffont
Genres :
roman noir, post apocalyptique
Personnages principaux :
Hugo et Pauline, survivants du cataclysme

C’est la guerre. Une guerre dont on ne sait rien sinon qu’un camp possédant les armes lourdes bombarde l’autre qui essaie de résister avec de faibles moyens. Tout est détruit, mais les bombardements quotidiens continuent. Hugo se terre dans son appartement, du bon côté de la ville. Pauline, du mauvais côté (celui qui est bombardé), a rejoint les résistants qui se sont réfugiés dans les couloirs du métro, où règnent le froid et l’obscurité. Quand Paul, l’ami de Hugo vient mourir chez lui, Hugo décide de sortir dans la ville ravagée. Pauline n’en pouvant plus de l’atmosphère confinée du métro décide de remonter à la surface. C’est très dangereux, mais on peut voir le ciel. Tous les deux errent dans une ville fantôme où le danger est partout.

Le sujet n’est pas nouveau, il a été traité maintes fois. Cependant l’auteur lui donne ici une coloration nouvelle : le cataclysme n’a pas été provoqué par une catastrophe climatique, une explosion nucléaire ou une pandémie, mais par une guerre qui se limite ici à une ville et dans laquelle l’un des belligérants détruit systématiquement tout ce qui existe. Les conditions de vie sont extrêmes, l’air est pollué par des flocons de cendres qui tombent en permanence et s’accumulent partout, dégageant une odeur d’ammoniaque.

C’est dans cet enfer que Hugo et Pauline tentent de survivre, sans autre but que se diriger vers la frontière. La frontière est la ligne qui sépare les parties de la ville coupée en deux. Elle isole tout un quartier soumis aux bombardements, à la destruction et à la mort de tous ceux qui se trouvent à l’intérieur.

L’auteur réussit parfaitement à installer une ambiance oppressante de fin du monde. La survie dans ce milieu ne laisse pas d’autre choix que de tuer pour rester en vie. Cependant il y a quand même quelques moments précieux où l’humanité se manifeste. Pas pour longtemps.

L’écriture est remarquable, claire et sobre, sans fioritures de style, elle est visuelle et plonge le lecteur dans un enfer dantesque.

Dans la neige ardente, roman choral à deux voix, n’est pas un une œuvre post- apocalyptique de plus. Ici l’apocalypse est en cours, c’est la guerre. C’est un livre sombre et intense, à ne pas lire si vous avez le cafard. Cependant il est remarquable par son ambiance particulière et la belle écriture suggestive de l’auteur.

Extrait :
En début d’après-midi, j’ai aperçu la frontière. Une immense clôture à la construction chaotique qui encerclait tout un secteur. Îlot condamné au cœur de la ville. Quelques bâtiments se tenaient encore alentour, de longs immeubles restés debout. Je me suis dissimulé dans leur ombre, à plusieurs mètres de l’amas de barbelés, de fer et de morceaux de verre. Il devait faire dans les trois mètres de large et me dépassait de plusieurs mètres. Je ne voulais pas trop m’approcher. Tout autour, d’un côté comme de l’autre, des mines étaient disséminées çà et là, menaçant de vous arracher une jambe à tout instant.

Cette clôture, ils en avaient parlé longuement à la télévision, alors que les chaînes émettaient encore. Il y avait eu de longs débats sur la question. Des intellectuels en chemise immaculée et des politiciens bedonnants s’écharpaient sur le sujet alors que l’horreur n’en était qu’à son préambule. Je suivais les programmes avec mon père, qui devenait blême à mesure que les nouvelles s’obscurcissaient.

Je me suis concentrée sur la voix cassée, pleine de rage retenue, qui montait en puissance à mesure que le titre avançait. « Proud Mary », une des chansons que je chérissais le plus.

Tina turner – Proud Mary

Niveau de satisfaction :
4.3 out of 5 stars (4,3 / 5)

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Un été rouge sang – Wayne Arthurson

Par Michel Dufour

Date de publication originale : 2015 (Blood Red Summer)
Date de publication française : 2022 (Alire)
Traduction :
Pascal Raud
Genre :
Noir
Personnage principal :
Leo Desroches, journaliste

Comment faut-il être disposé pour apprécier ce roman, le troisième (et dernier) de la série Leo Desroches ?[1] Pas vraiment un roman d’enquête : Leo cherche un peu à connaître l’identité du mort, mais ses entrevues ne vont pas très loin. Un thriller ? Pas vraiment non plus parce que, même si Leo affronte, bien malgré lui, le terrible gang de rue autochtone Redd Alert, on sait bien qu’il va s’en sortir. Un roman du terroir ? Peut-être bien, sauf que le terroir en question ici c’est la ville d’Edmonton. Peut-être aussi un roman psychologique parce que tout tourne autour de Leo, et une bonne partie de la réalité qui nous est présentée est filtrée par ce journaliste loser qu’est Leo Desroches. Bref, malgré le titre, on ne doit pas s’attendre à un véritable roman policier.

Leo Desroches est dépendant du jeu; ça lui a coûté sa femme et ses enfants, ses amis (s’il en a déjà eu), son logement (il a vécu longtemps dans la rue), et sa réputation : il vient de passer près d’un an en prison pour avoir tué en légitime défense un policier tueur en série. En principe il est donc innocent, mais tout le monde se méfie de lui. Lui le premier. Par contre, ses expériences lamentables rendent possible la réalisation de reportages originaux et risqués, qui garantissent (pour le moment) sa place au journal. La crise que traversent les journaux (un peu partout dans le monde) est d’ailleurs fort bien décrite, l’auteur ayant été lui-même journaliste. Les gens ne lisent plus beaucoup; ils regardent plutôt la télé, leur tablette, leur téléphone ou leur ordi.

          Hors de la prison, Leo retrouve avec plaisir les moustiques qui envahissent la ville d’Edmonton en été, et les orages spectaculaires fréquents en automne. En captant sur vidéo la négligence des travailleurs chargés de transporter le corps d’une victime de surdose, Leo ramasse un sachet tombé de la housse mortuaire. Il croit d’abord qu’il s’agit d’une sorte de drogue, mais finit par apprendre que ces cailloux sont en réalité des diamants. Le mort, Trevor Duplessis, travaillait d’ailleurs comme technicien de forage dans les mines de diamants du Nord canadien.

Certains de ces diamants sont remis à la police; Leo cache les autres dans le tiroir de bureau d’un collègue au journal et finit presque par les oublier. Mais quelqu’un, apparemment, sait que le sachet contenait plus de diamants que ceux qui ont été remis à la police. C’est le gang du Redd Alert qui est chargé de les récupérer et qui fait passer un mauvais quart d’heure à Leo. Il s’en tire une première fois mais, quand on menace de s’en prendre à son amie Mandy, il décide de livrer les diamants au gang. Sauf que, à partir de ce moment-là, Leo ne sert plus à rien et on ne voit pas pourquoi on ne s’en débarrasserait pas.

Certains lecteurs se sont attachés à Leo, ce n’est pas mon cas : Leo se morfond continuellement, est hanté par une certaine culpabilité sans faire grand-chose pour s’en sortir, a un gros ego qui rend difficiles ses relations avec autrui et, dans ce cas-ci, me semble avoir perdu une partie de sa mémoire et de son intelligence : il ne comprend pas pourquoi des gens veulent récupérer les diamants qu’il a presque oublié qu’il avait encore !? D’autres aspects, toutefois, rendent la lecture intéressante : d’abord, tout ce qui tourne autour du fonctionnement des grands journaux d’une métropole. Puis, la ville d’Edmonton elle-même et ses habitants qui s’efforcent de fuir la ville l’été à cause de la chaleur et des moustiques, et l’hiver à cause du froid et de la neige. Pour un Montréalais du Québec, le rapprochement s’impose. Enfin, la présence des Autochtones et les conditions qu’on leur a imposées sont moins commentées ici que dans les deux premiers romans de la série, mais des analogies avec le Québec s’imposent ici aussi : par exemple, on songe à rebaptiser l’ « été des Indiens » en  « été des Autochtones » !  Je suis surpris que cette proposition n’ait pas encore été faite au Québec.

Bref, mon intérêt principal dans la lecture des romans d’Arthurson me paraît être d’ordre historique.

[1] J’ai commenté les deux premiers : L’Automne de la disgrâce (janvier 2022) et Un hiver meurtrier (juin 2022).

Extrait :
– Comment tu veux faire ça ? a demandé Robert.
J’étais confus. Me parlait-il à moi ou parlait-il au chef ? Je me suis tourné vers Robert, qui me regardait. Le chef, lui, était appuyé contre la voiture, près du coffre.
Quoi ? ai-je demandé. C’est à moi que tu parles ?
Ouais, je te demande comment tu veux faire ça. Tu veux te retourner et que je te tire dans le dos ou bien tu veux être de face ?
Je ne sais pas. Ce qui t’arrange, j’imagine.
Je n’arrivais pas à croire que j’avais cette conversation. Comme deux amis discutant du film qu’ils voulaient aller voir.
C’est du pareil au même pour moi. Je peux te tirer de dos ou de face.
La simplicité de sa réponse m’a glacé le sang. Et j’ai compris qu’on y était. J’étais sur le point de mourir et je n’y pouvais rien. Certains disent que ce genre de pensées est libérateur, mais ce n’était pas le cas. C’était terrifiant au point de me paralyser. J’ai essayé de penser à quelque chose d’important, un souvenir à emporter avec moi, des paroles mémorables à prononcer, mais je ne parvenais pas à dépasser le constat que j’allais mourir. Là, tout de suite.

High Level Bridge (Edmonton)

Niveau de satisfaction :
3.8 out of 5 stars (3,8 / 5)

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Ecce Homo – Gérard Mordillat

Par Raymond Pédoussaut

Date de publication originale : 2022 – Albin Michel
Genres :
Historique, religieux
Personnages principaux :
Lucie, Henri et Thomas

France, abbaye de Lirey – XIVe siècle.
Thomas Merlin de Sainte-Anne a volé le suaire de Jésus au couvent du Mont-Sion à Jérusalem. Il le ramène en France à l’abbaye de Lirey. C’est le suaire censé avoir contenu le corps de Jésus après sa crucifixion. Il suscite une grande dévotion populaire que Thomas exploite en faisant construire une abbatiale spécialement destinée à exposer le suaire. Les ostensions sont payantes et rapportent beaucoup d’argent.

Italie, Turin – XIXe siècle.
Le suaire quitte Lirey et en 1578, il est transporté à Turin où il restera définitivement. En 1898, le photographe Secundo Pia prend deux clichés du suaire. Au développement, il découvre, en négatif, l’image d’un homme allongé nu, les mains croisées sur le pubis, le visage barbu, les cheveux longs, portant les stigmates de la Passion. L’émotion est considérable et c’est le début d’une furieuse bataille concernant l’authenticité du suaire.

États-Unis, New York – de nos jours.
Trump, battu aux élections présidentielles, ne désespère pas d’un retour triomphal à la Maison-Blanche en 2024. Pour favoriser cela, lui et ses conseillers ont l’idée de faire venir le suaire à Washington et d’organiser une immense manifestation où Trump l’offrirait à la vue du public. Le suaire deviendrait la bannière sous laquelle Trump se placerait, assurant ainsi sa réélection.

Dans une intrigue touffue, l’auteur retrace l’histoire réelle du suaire en y mêlant des éléments romanesques où apparaissent toujours trois personnages : Lucie, Henri et Thomas en France, qui deviennent Lucia, Enrico et Tommaso en Italie et Lucy, Henry et Tom aux États-Unis. Quelle que soit l’époque, on retrouve ces trois protagonistes liés par une relation d’amour contrariée. Les rapports compliqués et tumultueux de ces trois personnages ont tendance à nous faire perdre le fil de l’histoire du suaire. D’autant plus que l’auteur y ajoute des appréciations personnelles sur la force de l’image, l’obscurantisme, le fanatisme, l’antisémitisme et la vérité. Ces réflexions, souvent pertinentes, donnent le sentiment d’être submergé par un tas d’idées parasites et de finalement ne plus savoir si l’intention de l’auteur était de retracer l’histoire extraordinaire du suaire ou si c’était simplement un prétexte pour nous parler de la force de l’image à travers la peinture, la photographie et le cinéma ou encore nous montrer la fragilité de la vérité. Peut-être tout cela à la fois ?

Ecce Homo signifie Voici l’Homme. C’est ce qu’aurait dit le soldat romain en désignant Jésus, l’homme qu’il fallait arrêter. C’est aussi dans le roman le titre du film tourné par Lucy, le film du suaire. Cela me laisse aussi dubitatif que sur les intentions réelles de l’auteur en écrivant ce livre par ailleurs édifiant sur l’histoire du suaire dit de Turin.

Extrait :
En mai 1898, il est présenté au public. Lors de cette ostension, le roi Umberto Ier autorisa Secondo Pia à en prendre deux clichés : quatorze minutes de pose pour le premier, vingt minutes pour le second. En développant ses plaques, le photographe vit apparaître un corps « en négatif », c’est-à-dire avec des valeurs inversées, les blancs étaient noirs, les noirs étaient blancs. Secondo Pia découvrit ainsi l’image d’un homme allongé nu, les mains croisées sur le pubis, le visage barbu cerné de cheveux longs, portant les stigmates de la Passion.
L’émotion fut considérable en Europe.
Tandis que le pape Léon XIII s’interdit de prendre une position catégorique, la publication des photos de Pia provoque une furieuse dispute sur l’authenticité du suaire. La bataille se déroule à fronts renversés. Des laïcs (médecins, physiciens, chimistes, biologistes, criminologues) défendirent l’authenticité du suaire au nom de la Science alors que les religieux leur opposèrent l’exégèse pour combattre les illusions de savants égarés.

Photo du suaire de Turin

Niveau de satisfaction :
3.8 out of 5 stars (3,8 / 5)

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Un nom sur le tableau – Sam Trudeau

Par Michel Dufour

Date de publication originale : 2022 (Essor-Livres Éd)
Genre :
enquête, historique
Personnage principal :
John Gervais, jeune policier

Dans l’appartement d’un riche condo de l’Île-des-Sœurs, une jolie jeune femme est sauvagement assassinée, le visage tailladé à coups de couteau. Transféré momentanément aux Homicides, le jeune John Gervais prend l’enquête au sérieux, même s’il s’agit probablement d’une escorte, ce dont ne se soucient guère les policiers en général. Avec l’aide de son collègue Michel Laurin, Gervais interroge les voisins de la victime et examine soigneusement son appartement. Les indices sont minces. Les policiers soupçonnent un voisin qui fréquentait assez souvent la jeune femme. Gervais suit une autre piste mais on le retourne à la Moralité. Il décide alors de prendre des vacances et part en France pour suivre la piste d’un mafieux de Marseille et d’un ex-militaire de l’O.A.S. devenu mercenaire. À Marseille comme à Paris, le Québécois est accueilli avec curiosité, sympathie et efficacité. Tandis que, à Montréal, on croit avoir arrêté le coupable, Gervais traque habilement son suspect à Paris et lui tend un piège dans lequel il tombe à pieds joints.

C’est le premier roman de Trudeau, qui est aussi prof d’histoire, ce qui apparaît dans la première partie du roman qui se passe à Montréal, où la jeune recrue John Gervais nous fait voir l’organisation policière et les relations entre les gars (peu de femmes en réalité). On reconnaît la défunte Taverne Magnan (l’action se passe au début des années 80) qui leur sert de quartier général et on côtoie plusieurs types de policiers, assez machos mais plutôt sympathiques. Ce ne sont pas des saints mais, à part quelques violents, ils passent plutôt pour de grands enfants : par exemple, Laurin et Villeneuve qui descendent la piste de ski de la montagne en panier à salade.

Le rythme est bon et le roman est assez court (environ 150 pages). Ça se lit bien. Certains reprocheraient sans doute à l’auteur de traiter John Gervais comme une sorte de jeune héros, ou de gars bien chanceux. D’autres pourraient être agacés par bon nombre d’anglicismes, mais c’était comme ça dans les années 80 et depuis la fin de la guerre. Et le défi consistant à accorder presque autant d’importance à la dimension historique qu’à l’intrigue proprement dite est intéressant à relever. Comme le pense John : « Les flics et les historiens se rejoignent dans leur obsession commune de tout comprendre ».

Extrait :
– Vous pourriez m’introduire au 36 Quai des Orfèvres ? demanda Gervais qui se voyait mal y débarquer avec seulement son plus beau sourire et une (sic)[1] badge de Montréal.
Je vais faire mieux que ça. Je vais vous recommander à des super-flics qui connaissent Paris comme le fond de leur poche. Il s’agit des gars de l’O.C.R.B. (Office central pour la répression du banditisme), l’Antigang quoi. Ils logent au 127 rue du Faubourg Saint-Honoré et sont en compétition constante avec le 36 Quai des Orfèvres. J’ai un contact là-bas, il s’appelle Bauer, il va pouvoir vous aider.
Je vous remercie infiniment Levac, vous êtes un chic type. Dans cette enquête, vous m’avez sorti de la noirceur. Je vous appellerai de Paris, dit Gervais en lui tendant la main.
La noirceur ! Quelle belle expression d’ancien français, vous êtes pittoresque, Gervais, pittoresque, s’exclama Levac en quittant le bistro.

[1] Au Québec, on a tendance à féminiser le mot badge.

Chez Magnan

Niveau de satisfaction :
3.9 out of 5 stars (3,9 / 5)

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De nulle part – Claire Favan

Par Raymond Pédoussaut

Date de publication originale : 2022 – HarperCollins
Genre :
Thriller
Personnages principaux :
Antoine Moreau (Tony) et Raphaël de Perrache (Raf) jumeaux adoptés séparément

En 1999, à Chatou région parisienne, une jeune femme jetée à la rue par ses parents accouche seule de jumeaux. Elle met ses deux bébés dans un carton et les dépose sous le porche d’une église. Ensuite, elle saute dans le fleuve. Les enfants sont récupérés par l’Aide Sociale à l’Enfance (ASE) qui les déclare disponibles pour l’adoption. Bien que jumeaux, les nourrissons sont adoptés séparément. L’un, Raphaël, par la famille d’un riche homme d’affaires, l’autre, Antoine, par une famille qui va être victime d’un grave accident de la route. Le mari sera tué sur le coup et l’épouse plongera dans un coma prolongé. Antoine est alors ballotté de foyers sordides en familles d’accueil jusqu’à ses 18 ans, âge où il se retrouve seul et sans ressource. Il cumule alors les petits jobs, en plus de ses études pour devenir avocat. Tout cela l’épuise et ses dettes ne cessent d’augmenter, jusqu’au jour où se présente chez lui, Raphaël de Perrache, son frère jumeau. Ce dernier propose à Antoine un plan qui devrait mettre fin à ses difficultés. Sans savoir réellement à quoi il s’engage, Antoine, pris à la gorge, accepte la proposition. Sa vie va alors changer radicalement.

L’autrice joue sur la difficulté de différencier des jumeaux monozygotes. Antoine et Raphaël se ressemblent physiquement, mais ils ont des comportements très différents. Antoine est habitué à galérer et à se battre pour survivre alors que Raphaël se conduit comme un gosse de riche, habitué à ce que rien ne lui soit refusé. Des physiques semblables, mais des attitudes très différentes. L’un semble avoir une vie idéale (Raphaël) alors que l’autre se débat dans des difficultés insurmontables (Antoine). Mais parfois les apparences peuvent être trompeuses.

À travers le parcours chaotique d’Antoine, Claire Favan dénonce aussi les conditions misérables des enfants placés en foyers d’accueil. Et à travers l’itinéraire aisé de Raphaël, elle montre l’égoïsme et le manque d’humanité des gens riches. Je signale tout de même un élément irritant : la façon dont sont décrites les jeunes maîtresses de Raphaël. Elles sont belles, magnifiques, elles auraient beaucoup d’hommes à leurs pieds, mais non, elles préfèrent un connard qui les maltraite et les rabaisse et plus elles sont humiliées plus elles sont attachées à leur bourreau. Soumises et dociles, ces femmes font le bonheur des hommes qui se plaisent à les avilir pour se donner de l’importance. De quoi rendre vertes de rage les militantes féministes, à juste titre.

Ce roman est un thriller habilement construit pour tenir en haleine le lecteur. Au passage, il aborde aussi des problèmes de société tels que la maltraitance des enfants abandonnés et l’égoïsme des nantis. Une lecture agréable et divertissante.

Extrait :
Le rythme reggae d’À travers les vagues du collectif Dub Inc s’élève dans la pièce.
Chris écoute les paroles et se met à rire.
— « On n’a pas les mêmes chances, on n’a pas les mêmes limites. Qui choisit la donne quand on nous sélectionne ? » Elle a été écrite pour nous, celle-là ?

Dub Inc Friends – À travers les vagues

Jumeaux

Niveau de satisfaction :
4 out of 5 stars (4 / 5)

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Une de moins – Brouillet Chrystine

Par Michel Dufour

Date de publication originale : 2022 (Druide)
Genres :
Enquête, sociologique
Personnage principal :
Maud Graham, détective à Québec

L’œuvre de Chrystine Brouillet compte une cinquantaine de romans, dont une vingtaine mettent en scène la détective de Québec Maud Graham et son équipe; ajoutons : et ses amis. C’est pourquoi celui ou celle qui commence à lire Brouillet à travers ce roman risque d’être un peu perdu(e). Les personnages sont nombreux et plusieurs accompagnent la saga Maud Graham depuis plus de 10 ans : son éternel courtisan Alain, son fils adoptif Maxime, leurs amis Grégoire et Michel Joubert. Sans parler des collègues de Maud : Tiffany McEwen, Iris Bouvier, Andy Nguyen… Et quelques autres qu’on a connus dans des épisodes antérieurs : Vivien Joly et Betty Désilets. J’y insiste pour donner du sens au mot saga que j’ai utilisé : il s’agit moins d’un roman policier comme tel que de l’histoire qui se prolonge des aventures de la policière Maud Graham et de ses collègues et amis.

De plus, le roman est conçu à partir du journal personnel de Brouillet élaboré au cours de la pandémie avec le souci d’illustrer son hypothèse que le confinement dû à la pandémie aurait pour effet d’augmenter le nombre des féminicides. On constate, en effet, que de janvier 2020 au 15 juin 2021, plus de 20 femmes ont été tuées par leur conjoint. Le compte rendu de la période pandémique est d’ailleurs digne d’une enquête sociologique et parvient à rendre compte des atmosphères étouffantes qu’on vivait encore il n’y a pas si longtemps.

Thématiquement, l’intrigue se développe autour de l’assassinat d’une jeune femme et de son ancien conjoint par un de ces nombreux hommes que caractérise la haine des femmes. La violence infligée aux femmes est un thème courant chez Brouillet mais ici il prend toute la place. Et, quand elle nous met dans la peau de Ian-Patrick Auclair, c’est assez dur, même pour un homme au-dessus de tout soupçon, de partager, ne serait-ce qu’un instant, les idées des féminophobes. L’auteure nous montre bien qu’un tel individu, qui se sent plutôt isolé dans son milieu, prendra plaisir à se stimuler et à se donner bonne conscience en fréquentant des sites web qui prennent plaisir à répandre la haine des femmes. Difficile de s’imaginer que nous nageons en pleine science-fiction quand, aujourd’hui même, des hommes politiques importants admettent qu’ils étaient, malgré eux disent-ils, en relation électronique avec des sites de ce genre comme MGTOW (Men Going Their Own Way).

Et l’enquête là-dedans ? Comme c’est souvent le cas chez Brouillet, elle passe nettement au second plan. L’astuce à laquelle on a recours pour piéger l’assassin est difficilement crédible. Et de beaux hasards ont été essentiels pour venir en aide aux forces de l’ordre. Mais, dans un roman historiquement important comme celui-là, le travail policier devait demeurer dans l’ombre pour ne pas distraire de l’essentiel.

Extrait :
« Une autre de morte. Elle : sûrement une salope. Lui : un mec trop patient. Qui en a eu marre de l’avertir qu’elle devait changer de comportement. Elle n’en a pas tenu compte, elle l’a sous-estimé comme toutes les autres poufiasses, l’a traité comme un trou’duc, comme Dalida qui décapitait les hommes, comme la Brinvilliers et sa poudre de succession, comme la voleuse Aileen Wuornos. Heureusement, les tordus ne gagnent pas à tous les coups. Les choses vont changer. L’ordre sera rétabli. Unissons-nous contre ces venimeuses. »

Niveau de satisfaction :
3.5 out of 5 stars (3,5 / 5)

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La lune de l’âpre neige – Waubgeshig Rice

Par Raymond Pédoussaut

Date de publication originale : 2018
(Moon of the Crusted Snow)
Date de publication française : 2022 – Les Arènes
Traduction (anglais Canada) :

Antoine Chainas
Genres :
Thriller géographique, Post apocalypse
Personnage principal :
Evan Whitesky, indien anichinabé

Dans la réserve indienne des Anichinabés, à l’est du Canada, en cet automne les hommes chassent l’orignal pour faire des réserves de viande pour l’hiver. Mais un jour plus d’électricité et de communications. Rien d’étonnant, les gens sont habitués aux pannes fréquentes. Mais après plusieurs jours d’isolement, l’inquiétude s’installe et les gens se ruent dans le supermarché pour faire des provisions et des stocks. La communauté s’organise : il y a des distributions de nourriture et on prévoit l’aide aux anciens. L’ambiance change quand arrive sur sa motoneige un colosse blanc qui demande l’hospitalité. Elle lui est accordée avec réticence. Le nouveau venu va avoir  une influence négative sur une partie de la population. Des clans se forment, la solidarité s’effrite. Pendant que les réserves s’amenuisent, tous comprennent que le chaos est général et ne touche pas que la réserve.

Ce roman est d’abord un hommage de l’auteur à son peuple : les Anichinabés. Il est parsemé d’expressions et de termes de cette communauté. Les coutumes et les savoirs ancestraux y sont aussi montrés. Bien que l’auteur place cette histoire dans un cadre d’effondrement général de la civilisation, ce n’est pas à proprement parler un roman postapocalyptique. Quand les ressources modernes, l’électricité et les communications disparaissent, les Indiens sont obligés de retourner vivre comme l’ont fait leurs anciens. Certains le peuvent, d’autres en sont incapables. Mais finalement, le plus grand danger vient encore une fois de l’homme blanc. C’est l’arrivée d’un baroudeur fuyant le chaos des villes qui va fissurer la belle solidarité qui régnait jusqu’alors. L’homme apporte des cigarettes, de l’alcool, des armes, de quoi s’attacher facilement quelques partisans. Son groupe va s’opposer au comité de direction de la réserve et entrer en dissidence. Le danger n’est pas externe, maintenant il est devenu interne.

En lisant ce roman, j’ai eu l’impression que l’auteur l’a écrit d’abord pour lui-même, pour ne pas oublier ses origines et aussi en hommage à son peuple. Il est certain qu’en dehors de la nation anichinabée et sans éprouver la nostalgie de leur passé, ce livre n’a plus le même intérêt ni le même impact.

Extrait :
– Le monde n’a pas de fin, reprit-elle. Notre monde n’a pas de fin car il a déjà disparu. Il a cessé d’être le jour où les Visages pâles nous ont chassés de notre baie, le jour où ils ont coupé les arbres au sud, pêché tous les poissons et déraciné les populations. Cet espace était le nôtre et ils l’ont détruit. Ils nous ont obligés à nous installer ici, mais ce n’est pas notre univers. Nous nous y sommes malgré tout adaptés. Heureusement que nous savions chasser et cueillir. Nous avons accordé notre rythme à celui de cette terre.

L’ancienne devenait plus véhémente à mesure qu’elle parlait, ses mains frêles volaient pour apporter de l’emphase à son discours.
– Mais ça ne leur suffisait pas. Ils nous ont suivis jusqu’ici, se sont emparés de nos enfants. Notre monde s’est éteint pour la deuxième fois, et ce ne sera pas la dernière. Nous avons déjà assisté à l’apo… Comment disent-ils déjà ?
– L’apocalypse.
– Oui. On l’a vécue et revécue, sans disparaître pour autant. On est toujours là, et on le sera encore sans radio ni électricité. Sans plus aucun Blanc.

Mieux vaut de la mauvaise viande d’orignal que de la bonne charcuterie industrielle

Niveau de satisfaction :
3.5 out of 5 stars (3,5 / 5)

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Résonances – Patrick Senécal

Par Michel Dufour

Date de publication originale : 2022 (Alire)
Genres :
Thriller, noir
Personnage principal :
Théodore Moisan, écrivain

Théodore Moisan, écrivain dans la jeune cinquantaine, passe une IRM (imagerie par résonance magnétique) et, par la suite, la vie semble se transformer : il perd des bouts de mémoire  et les gens autour de lui semblent se comporter de façon ahurissante comme si les pulsions n’étaient retenues par aucune digue. Violences dans les ruelles, personnes qui sautent en bas d’un neuvième étage, bagarres dans un lancement de livres. Plus personnellement, au restaurant, sa fille plante un couteau dans les testicules d’un serveur un peu entreprenant, et sa femme se livre à des orgies sexuelles plutôt déconcertantes. Pire que ça, certains événements semblent se reproduire, et il essaie en vain d’intervenir pour empêcher le drame qu’il prévoit. Même au niveau collectif, les événements se gâtent : pour lutter contre la violence faite aux femmes (ou même contre le simple manque de respect), l’association Vraie Égalité traque les coupables (hommes blancs dans la quarantaine, hétérosexuels), et organise des manifestations, mais se heurte à un groupe d’hommes (Homme Debout) armés de marteau.

Au milieu de ces dérèglements sociaux, Théodore ne sait plus si c’est lui ou les choses qui ont changé. L’expérience de l’IRM semble être à l’origine de sa perception (ou de ses hallucinations), mais c’est peut-être à cause d’une opération au cerveau qu’il a subie il y a une dizaine d’années. Ou alors, comme semblent le croire les infirmières et les policiers, c’est le tissu social qui ne tient plus et se déchiquette brutalement. Mais à cause de quoi ?

Moisan rencontre souvent un étrange personnage, qui s’appelle Paden, qui paraît comprendre ce qui se passe et semble vouloir aider Théodore à comprendre lui aussi. Il ne parvient, en fin de compte, qu’à augmenter l’angoisse de Théodore qui ne sait plus à quel saint se vouer.

Plus le récit avance, et plus les hallucinations ou la réalité se complexifient. L’auteur laisse entendre qu’il ne s’agit pas d’un rêve (heureusement !), mais expliquer tout ça par des hallucinations ne semble pas tellement possible. Ce qui est certain, c’est que c’est plus compliqué qu’un mystère de chambre close. Pendant 300 pages, le lecteur, désespérément accroché à cette histoire, tente en vain d’imaginer la solution. Il ne sera pas satisfait. Et c’est sacrément frustrant.

Extrait :
– Vous êtes pas vraiment éditeur, hein ?
Paden claque la langue.
– Non.
Courte hésitation de ma part.
Ni policier ?
– Non.
Vous êtes qui alors ?
Je vous l’ai dit, je veux vous amener à réfléchir…
Arrêtez, avec ça ! Je veux savoir qui vous êtes ! Je vous vois surtout depuis une couple de jours !
Depuis votre IRM, pour être précis.
Il m’aurait giflé que l’effet n’aurait pas été plus brutal.
Comment vous savez que…
Un éclair de compréhension.
Ostie, tu me suis !
On passe au tutoiement ? Oui, c’est une bonne idée.
Depuis mon IRM, tu me suis, avoue !
Paden considère son verre de vin avec sérieux.
On peut dire ça, oui.
Mais… mais pourquoi ? Tu me connais pas, tu… (…) Fuck, je dors ! C’est ça, hein ? Je me suis endormi dans la machine à IRM et toi, t’es mon inconscient qui essaie de me faire comprendre que tout ça est un mauvais rêve !
Paden éclate de rire, sincèrement amusé.
– J’espère que tes romans ont des punchs meilleurs que ce genre de clichés ! Remarque, c’est normal que tu envisages cette hypothèse, mais… non, tu dors pas. Ce serait rassurant pour toi, je le sais, mais c’est pas ça.

IRM

Niveau de satisfaction :
3 out of 5 stars (3 / 5)

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Top 10 de l’année 2022

Sélection des meilleurs livres de littérature noire que nous avons chroniqués en 2022, publiés en français entre 2021 et 2022.
Nous nous sommes limités à 10 livres, 5 livres par chroniqueur.
Il n’y a pas d’ordre de préférence, pas de classement de 1 à 10.
Un clic sur l’image ou le titre renvoie à la chronique correspondante.

Le silence des repentis de Kimi Cunningham GrantTous des loups
de Ronald Lavallée
Toujours vivantes
de Nicolas Leclerc
Proies
d'Andrée A. Michaud
Les hommes ont peur de la lumière de Douglas KennedyDans les brumes de Capelans
d'Olivier Norek
Lorsque le dernier arbre
de Michael Christie
Une enquête à Murray Bay
de Céline Beaudet
Blizzard
de Marie Vingtras
La muse rouge de Véronique de Haas
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L’Aigle noir – Jacques Saussey

Par Raymond Pédoussaut

Date de publication originale : 2022 – Fleuve Éditions
Genres :
Enquête, roman noir
Personnages principaux :
Paul Kessler, ex-commandant de police – Sogbe, jeune sorcier vaudou, psychopathe et assassin

Paul Kessler, ancien commandant de police, est sollicité par un riche patron industriel. Celui-ci lui demande d’enquêter sur la mort de son fils de 27 ans, tué dans un crash d’hélicoptère à la Réunion. Le patron ne croit pas à la thèse de l’accident qui a été la conclusion de l’enquête. Avec réticence, Kessler accepte de partir à la Réunion. Là, un sorcier vaudou, originaire du Togo, crée une secte dans laquelle les adeptes se livrent à la pédophilie et à l’inceste sous l’emprise de la drogue. Des enseignants de l’école Jacques Brel de Saint-Denis sont sauvagement assassinés dès qu’ils s’intéressent aux maltraitances que subissent des petites filles de l’école. C’est dans ce contexte sombre que débarque à la Réunion Paul Kessler pour un séjour qui va s’avérer tumultueux.

Le roman se divise en deux périodes : à partir de 2016 on suit la carrière maléfique de Sogbe qui va réussir à créer sa propre église : les Filles de Mawu. C’est une secte basée sur le viol de jeunes vierges. Tous les disciples doivent partager leurs filles avec les autres participants dans des cérémonies d’inspiration vaudou où la drogue anesthésie toute retenue. Ainsi tous les dégénérés, pédophiles et incestueux prenaient leur pied au détriment de pauvres fillettes abusées par leurs propres parents. L’autre période est 2020. C’est le moment où Paul Kessler arrive à la Réunion pour tirer au clair les circonstances de la mort du fils de son commanditaire. L’ex-policier va si bien mettre en lumière des détails passés inaperçus dans la première enquête que le commandant Santos Rodriguez, responsable de la police locale, va se décider à la rouvrir. La police va avoir bien du boulot, car à la réouverture de l’enquête sur l’accident d’hélicoptère s’ajoutent les assassinats d’enseignants et la multiplication des cas de maltraitance de petites filles. Le tout constitue une intrigue dense et très prenante.

Paul Kessler est un jeune retraité de 56 ans qui a laissé tomber la police lorsqu’il a perdu sa femme et son fils dans un accident. C’était une pointure dans la police de Lyon où il exerçait. Retraité, il n’a rien perdu de ses qualités d’enquêteur. Ce n’est pas un flic en bois brut, il sait taire certains éléments quand ceux-ci pourraient nuire ou faire souffrir ceux qu’il apprécie. Il fait passer la compassion avant le strict respect de la loi. Sogbe par contre ne fait preuve d’aucune humanité. La vie humaine n’a aucune importance pour lui, seul compte le culte à la divinité vaudou Mawu. Il règle ses problèmes à coup de machette. Malgré sa folie, il est malin et rusé. Sa maigreur ne l’empêche pas de posséder une grande force physique et il sait aussi bien vivre en pleine nature que s’adapter à la vie citadine quand il le faut. Sogbe est redoutable, il a l’âme aussi noire que sa peau. D’autres personnages secondaires, assez nombreux, mais bien définis, viennent s’ajouter pour rendre l’ensemble substantiel et cohérent.

Avec son intrigue consistante aux multiples ramifications, ses personnages bien campés et les magnifiques paysages de La Réunion, L’Aigle noir est un roman très bien réalisé et captivant.

Extrait :
Le .243 n’était pas une énorme munition. Elle était cependant suffisante pour le chevreuil, le renard ou, visiblement, l’hélicoptère.

— Dites-moi, Roxanne… Combien de balles ?
La tante de Maëva ne cilla pas.
— La troisième a été la bonne.
— Et l’incendie ?
Mais Paul connaissait déjà la réponse. Le morceau de tôle sur lequel il était tombé par hasard quelques heures plus tôt n’était pas carbonisé. Roxanne avait manifestement tenu à garder un dernier souvenir de Pierre Bourdonnais avant de jeter une allumette dans l’essence qui s’écoulait du réservoir éventré de l’appareil.
Roxanne se planta devant lui et le fusilla du regard.
— J’avais abattu l’Écureuil en plein vol, monsieur Kessler, mais il me restait à achever le monstre qui bougeait encore à l’intérieur de sa carcasse. Maintenant, vous savez toute l’histoire, faites ce que vous avez à faire, et qu’on n’en parle plus.

La Réunion – Cirque de Salazie

Niveau de satisfaction :
4.4 out of 5 stars (4,4 / 5)

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Tous des loups – Ronald Lavallée

Par Michel Dufour

Date de publication originale : 2022 (Fides)
Genres :
Aventure, thriller
Personnage principal :
Matthew Callwood, constable, Police royale du Nord-Ouest

Village isolé, inhospitalier, au cœur de la forêt boréale, pas loin de la Baie d’Hudson : un homme accusé d’avoir tué sa femme et son enfant est en fuite, bien que personne ne semble le poursuivre parce que le territoire est hostile, les forêts peuplées d’ours et de loups, les lacs dissimulent des profondeurs inégales et les courants des rivières sont imprévisibles. Survient dans la région le jeune policier Matthew Callwood (24 ans), idéaliste aux bonnes intentions, bien éduqué mais les brevets universitaires ne servent à rien dans un contexte aussi sauvage. Et la fraternisation avec les Cris n’est pas facile parce qu’ils se méfient des policiers qui leur ont toujours été hostiles. Callwood aime les défis mais, rapidement dépaysé, démuni dans la mesure où son collègue est habitué à boire, à fricoter avec les trafiquants et à passer ses nuits avec la vaillante Fran, il cherche son salut dans la fuite en avant : partir à la recherche de l’assassin présumé.

Commencent alors pour Matthew de multiples aventures où le paysage, malgré sa beauté majestueuse, lui offrira une résistance qu’il n’aurait jamais imaginée. Vaincu par la faim, le froid, la neige, la glace, les marais et les moustiques assoiffés de sang, couché sous des tentes bancales ou des canots renversés, le jeune Matthew subira une formation à la dure pour laquelle il n’était pas préparé. Sa volonté et son entêtement lui permettent de vaincre bien des obstacles, mais l’expérience et l’intelligence du fugitif rendent sa capture quasiment impossible.

Le lecteur sort de là épuisé mais comblé par un épilogue étonnant et plaisant. Plusieurs personnages sont définis avec soin et pertinence. Même si on ne peut pas tout à fait se mettre dans la peau de Callwood, on le comprend et on a tendance à sympathiser avec lui. Mais c’est la toile de fond qui prend le devant de la scène : décor original, magnifique et dangereux, généreux mais menaçant. On est vraiment dans le milieu de nulle part et l’habileté de l’écrivain parvient à nous faire sentir cet isolement et la solitude de celui qui essaie d’y vivre. L’importance de ce décor, loin de rendre l’intrigue secondaire, sert, au contraire, à lui donner tout son sens. Et à comprendre que c’est vrai, au fond, que nous sommes tous des loups.

Extrait :
Les premiers jours sont charmants. Depuis des mois et des mois, il dort entre des hommes en sueur, il les entend pisser, ronfler, péter, il n’est jamais seul. Depuis des mois, il s’échine dans des canots exigus du matin jusqu’au soir en écoutant Harvey et Suchenko déblatérer comme des écoliers attardés. Depuis des mois, on le laisse tout décider. Quitte à le blâmer ensuite. Il ne se rendait pas compte à quel point tout cela l’usait. À présent, il a l’impression d’être en vacances. Le vent est tiède, sec, et fleure bon la résine d’épinette. Le ciel paraît léger, incroyablement élevé. La rivière, radieuse. Les berges sont couvertes d’atocas, d’airelles et de bleuets; il s’en gave à pleines poignées. Son premier bivouac l’enchante. Il replonge en enfance. Les étincelles qui fusent vers les étoiles. Le bruissement de l’eau. Le chuchotement des arbres. Le miaulement des castors, la nuit. Matthew plonge dans un sommeil de plomb et dort dix heures d’affilée. Au matin, le soleil est déjà haut quand il ouvre les yeux. Il prépare son déjeuner, prend tout son temps. Il a le sentiment d’avoir échappé à un étau terrible. Tout en sachant que ça ne durera pas. Peu importe. Aujourd’hui, il est libre. Il va gagner la côte, ne trouvera pas Corneau et, s’il a un peu de chance, arrivera vivant au premier poste de traite. Sinon, tant pis, il disparaîtra. C’est encore mieux que ce qui l’attendait à la Mission : le mensonge et le déshonneur à perpétuité.

La forêt boréale

Niveau de satisfaction :
4.6 out of 5 stars (4,6 / 5)
Coup de cœur

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