La fille du temps – Josephine Tey

Par Michel Dufour

Date de publication originale : 1951 (The Daughter of Time)
Date de publication française : 1969 (Julliard, 10/18)
Traduction (anglais) : Michel Duchein
Genre : Enquête historique
Personnage principal : Alan Grant, inspecteur à Scotland Yard

Au début des années 50, Ngaio Marsh et Josephine Tey étaient reconnues comme deux des meilleures auteures de polars d’enquête qui succédaient à Agatha Christie qui se consacrait maintenant au théâtre (trois pièces jouées simultanément à Londres en 1954). Elles n’ont pas été traduites avant la fin des années 60 et, probablement à cause de problèmes de distribution, et malgré l’adaptation de Jeune et Innocent (Young and Innocent) d’Hitchcock en 1937, c’est la première fois que je mets la main sur un roman de Tey. En un sens, c’est un bon coup parce que La fille du temps a été classé comme un des dix meilleurs romans policiers au monde (dans les années 50). Par contre, je dirais que c’est un roman trop original et particulier pour compétitionner avec ce qu’aujourd’hui on appelle des polars. Ce qui n’enlève rien à ses qualités d’écriture et de conception nettement supérieures. Tey a écrit six romans dont l’inspecteur de Scotland Yard est Alan Grant. Jeune et innocent était le premier en 1936; La fille du temps est le dernier de son vivant (1951); le dernier est posthume, Un cadavre sur le sol.

Cloué sur un lit d’hôpital, la jambe cassée, l’Inspecteur Grant, fatigué de regarder le plafond, décide de mener une enquête. Grâce à des livres que lui apportent des amis, et à une collection de portraits que lui fournit son amie comédienne Marta Hallard (Grant a la réputation de déchiffrer l’essentiel d’une vie à partir d’un visage), Grant va se passionner pour le personnage de Richard III. L’aide la plus précieuse viendra d’un jeune américain passionné d’histoire, Brent Carradine, qui lui fournira bien des textes et, surtout, qui réfléchira avec lui pour éclaircir le cas de Richard III : a-t-il vraiment fait tuer ses deux neveux pour déblayer le chemin vers la royauté ?

On va commencer par montrer que le livre de base sur lequel toutes les rumeurs se fondent pour dénigrer Richard n’a pas été écrit par Thomas More, qui s’est contenté de le recopier, mais plus probablement par John Morton qu’Henri VII nomma archevêque de Cantorbéry. En réalité, c’est donc ce vire-capot opportuniste qui aurait été la source des écrits de l’historien Holinshed et des personnages de Shakespeare. On consulte les documents, on les confronte, on analyse les justifications, on multiplie les hypothèses, on évalue leur pertinence, et on finit par déterminer une vérité historique qui avait échappé à la plupart des historiens qui répétaient des conceptions traditionnelles sans avoir pris la peine d’en éprouver les fondements. Une fois que ces erreurs sont devenues des convictions, bien malvenu serait celui qui tenterait de les rectifier.

Cette enquête est admirable : on assiste à une véritable investigation historique et, même si le destin de Richard III nous est personnellement assez indifférent, on est heureux de participer, d’une certaine façon, à une réhabilitation en bonne et due forme. C’est aussi certain qu’un bon policier doit emprunter quelques méthodes utiles aux historiens, mais cette façon de procéder n’est qu’une infime partie du travail policier. C’est ce qui fait que j’éprouve quelque difficulté à comparer ce genre de roman avec des romans policiers comme tels. C’est un roman que j’ai beaucoup aimé, moins sans doute que si j’étais un Anglais soucieux de son passé, mais parce qu’il résulte d’un tour de force incomparable. Et c’est cela mon problème : pour évaluer, il faut comparer.

Comme roman historique ou épistémologique (si je puis me permettre), je n’hésiterais pas à mettre un 4.9. Comme polar, ou roman noir, ou thriller, c’est difficile de dépasser 4. Mais je promets de retrouver un vrai polar de Josephine Tey.

Extrait :
C’est drôle, ne trouves-tu pas, que si on révèle aux gens la vérité à propos d’une histoire fausse à laquelle ils croyaient, ils soient furieux, non contre celui qui leur a appris l’histoire fausse, mais contre celui qui rectifie l’erreur. Ils n’aiment pas voir leurs croyances renversées : cela doit leur donner un vague sentiment d’inquiétude. Ils préfèrent refuser d’y réfléchir. On comprendrait qu’ils soient indifférents, mais pourquoi sont-ils hostiles ? Bizarre !

Richard III

Niveau de satisfaction :
4 out of 5 stars (4 / 5)

 

 

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