Toujours vivantes – Nicolas Leclerc

Par Raymond Pédoussaut

Date de publication originale : 2022 – Éditions du Seuil
Genre :
Roman noir
Personnages principaux :
Aïssatou et Sékou, jeunes Guinéens – Hélène et François, couple bourgeois

La vie n’est pas rose pour Aïssatou, jeune guinéenne. À neuf ans, elle et sa sœur Hadja subissent la traditionnelle excision. Hadja meurt de cette mutilation. À quatorze ans, ses parents se débarrassent d’Aïssatou pour ne plus avoir à faire face à ses reproches muets, à sa colère sourde. Elle est vendue comme esclave à un riche couple de Conakry. Elle s’enfuit, erre dans la ville avant de rencontrer Sékou, un garçon de son âge. Ils vivent un temps dans un vieux van qu’un garagiste a mis à leur disposition. Puis ils décident de partir pour l’Angleterre d’où un ami de Sékou lui assure que c’est la belle vie. Entre passeurs et marchands d’êtres humains, ils vivent l’horreur absolue avant de finir en France. Sékou est gravement blessé dans un braquage qui tourne mal. Pour s’en sortir ils prennent en otage un couple de bourgeois : Hélène et François. Ils repartent vers l’Angleterre, traqués par la police. La route sera difficile et périlleuse.

L’intrigue nous fait faire un long périple en compagnie de Aïssatou et Sékou. Partant de la Guinée jusqu’à l’Angleterre en passant par la Sierre Leone, le Liberia, la Côte d’Ivoire, le Burkina Faso, le Niger, le Désert de Ténéré, la Libye, l’Italie et la France. Ce n’est pas une route touristique. C’est la route de la misère et du malheur. La route des migrants, la route de l’enfer mais aussi la route de l’espoir.
En France un autre couple suit une route moins longue, plus sûre : de Nice où François est cardiologue à l’hôpital, à L’Escarçon, un village calme et de taille modeste où François a une belle maison en bordure de forêt avec un grand jardin. Avec son épouse Hélène, ils ont tout pour être heureux. Ils sont sur la route de la réussite et de la prospérité.

Les routes de ces deux couples que tout oppose vont se croiser. On va alors s’apercevoir que la réalité n’est pas ce qu’elle paraît être. Aïssatou et Sékou ont traversé des épreuves inhumaines, ils n’ont que l’espoir d’une vie meilleure et leur amour indéfectible auquel ils se raccrochent toujours. Hélène et François ont les apparences de la réussite sociale et l’aisance financière mais il y a aussi la souffrance, l’humiliation, un bonheur factice et surtout il y a l’immense solitude d’Hélène. Dans ces deux couples, ce sont les femmes qui sont mises en avant. Aïssatou a dû tout subir : la mutilation, les coups, les viols, l’esclavage, l’humiliation. Elle se relève chaque fois, elle montre un courage et une détermination incroyables. Tout le contraire d’Hélène qui a cru trouver une revanche vis-à-vis de son père en épousant un notable qui l’a réduite à dépendance et la servitude. Mais finalement Hélène trouvera la force d’avoir un sursaut libérateur.

L’auteur aborde principalement deux thématiques : la migration et l’emprise conjugale. Pour cela il s’est appuyé sur une documentation considérable. En fin d’ouvrage il donne la longue liste de ses sources. Cependant dans cette œuvre de fiction ce n’est pas uniquement l’aspect documentaire qui est intéressant, l’auteur a introduit du suspense, de la tension dans un roman qui se lit comme un véritable thriller.

Toujours vivantes est un formidable roman, édifiant sur la migration et passionnant sur l’aspect humain. Il confirme après Le manteau de neige et La Bête en cage que Nicolas Leclerc est un de nos meilleurs auteurs de romans noirs.

Extrait :
Aïssatou s’agenouille auprès de Sékou, passe sa main sur sa figure inerte, l’embrasse, encore. Lui murmure les derniers mots qu’elle peut lui dire. Des mots de chagrin. Des mots d’amour. De la résignation et de la colère. Hélène l’observe, debout derrière elle, l’estomac noué. Elle ne comprend pas le sens de ces phrases chuchotées en soussou, mais elle en ressent la signification au plus profond d’elle-même. Le déchirement que vit Aïssatou en cet instant s’infiltre en elle et la ravage. Son mari est mort, elle l’a abattu, sa vie est en miettes, mais c’est le lien au-delà de la mort qui scelle l’amour entre les deux jeunes Guinéens qui la bouleverse. Sékou veillera pour toujours sur Aïssatou. Sa force la nourrira. Alors que la présence étouffante de François dans sa vie commence à cet instant précis à s’estomper. Comme si son existence avait été plongée dans un nuage de fumée toxique l’empêchant de voir l’avenir et l’emprisonnant dans une routine sans perspective au confort trompeur, et qu’un ouragan de liberté avait fait voler cette chimère en éclats, ranimant des braises de survie qu’elle pensait consumées.

Niveau de satisfaction :
4.5 out of 5 stars (4,5 / 5)
Coup de coeur

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