Une enquête à Murray Bay – Céline Beaudet

Par Michel Dufour

Date de publication originale : 2022 (Québec Amérique)
Genres :
Historique, enquête
Personnage principal :
Édouard Lavergne, Bureau des détectives de Montréal

1er juillet 1910.
Murray Bay est une oasis enchanteresse à Pointe-au-Pic, pas loin de La Malbaie. Le coin est peuplé, l’été, par de riches Américains qui fuient les chaleurs de New York. C’est ainsi que la famille Brockwell se retrouve dans son petit paradis où elle passe chaque été depuis des années. Alice, la mère, Edwin et Irene les aînés, tiennent à leur quiétude et se méfient de tout changement éventuel. Ils n’apprécient pas, par exemple, le projet du député Forget, qui vise à amener le train jusqu’à Murray Bay, encourageant ainsi l’arrivée des touristes et provoquant la fin de leur tranquillité. Le projet du député était défendu par l’homme d’affaires Alphonse Blackburn et l’avocat Alcide Gagnon. La veille de l’arrivée à Pointe-au-Pic, après le souper sur le St. Irénée, et après avoir gagné le fumoir, Blackburn et Gagnon s’étaient lancés dans une violente discussion avec George Bonner, Charles Warren et l’Américain Edwin Brockwell, qui soutenaient plutôt le point de vue selon lequel Murray Bay ne devait pas être livré au tourisme moderne, ce qui équivaudrait à détruire un art de vivre qui convenait aussi bien aux Canadiens français qui vivaient au bas de la côte qu’aux Américains en haut du chemin des Falaises. Le lendemain matin, après l’accostage au port de Pointe-au-Pic, maître Alcide Gagnon est retrouvé mort dans sa cabine.

Le Bureau des détectives de Montréal, partenaire officiel de la police de Montréal, dépêche sur place le jeune détective Édouard Lavergne. Grandi au bord de la Yamaska, à Saint-Hyacinthe, Édouard, robuste et méthodique, s’est approprié les dernières innovations  scientifiques indispensables à l’enquêteur : empreintes digitales, groupes sanguins, mesures anthropométriques interprétées par le système Bertillon. L’enquête réclame le plus grand soin : Gagnon est l’avocat du député Forget, Président de la Richelieu and Ontario Navigation Co, rare millionnaire canadien-français, influenceur redoutable et critiqué. On doigt régler le cas avant que les journaux s’en mêlent.

Édouard mène l’enquête avec le constable Lamoureux, un gars de la place, qui n’a pas le pouvoir de diriger une enquête, mais qui a photographié la scène, interdit l’accès à la cabine de Gagnon même pour les nettoyeurs; il a fallu, toutefois, transporter le corps à la morgue, ce qui n’a pas empêché Lamoureux de tracer les contours du corps sur le tapis. Conduit à la cabine de Gagnon, Édouard se livre à ses propres manœuvres. Lamoureux le conduit ensuite au fumoir, le smoking room, sur le cinquième pont du bateau, d’où Gagnon était  parti pour rejoindre sa cabine après la chaude discussion qu’il avait eue avec Bonner et Warren, et une courte conversation au bar avec Elzéar Harvey, responsable du cadastre de la ville et du registre des immeubles.

Le légiste apprend à Édouard la cause de la mort de Gagnon. Reste à savoir qui et pourquoi on l’a déplacé sur le dos. Un cheveu mène le policier au coupable de ce déplacement.

Pour maintenir l’intérêt du lecteur en dépit d’un grand nombre d’entrevues, l’auteure situe l’enquête dans la vie quotidienne des habitants de Murray Bay, qui se caractérise par une série de conflits idéologiques, moteurs véritables de cette vie apparemment tranquille : évidemment, le point de départ du récit : Murray Bay doit-elle devenir plus accessible aux touristes ou demeurer cette oasis de quiétude dont bénéficient les riches Américains? Les théories eugénistes de Davenport et Adami sont-elles plus sérieuses que celles de Darwin, et justifient-elles qu’on sélectionne rigoureusement les immigrés ? La lutte des femmes pour le droit de vote et l’égalité est-elle vraiment fondée quand on observe que l’Association des féministes américaines refuse que des femmes noires aient accès à leur mouvement ? Quel sera l’avenir des propos de Monseigneur Bourne, primat d’Angleterre, archevêque de Westminster, qui recommande aux Canadiens français catholiques de renoncer à la langue française et de se mettre à l’anglais pour mieux faire comprendre aux protestants de la langue anglaise implantés dans le reste des provinces canadiennes que le catholicisme est une religion supérieure ? Le clergé (Mgr Bruchési) gouverne une bonne partie de la vie quotidienne des catholiques mais la langue française reste (et restera) une valeur fondamentale pour les Canadiens français.

Enfin, l’auteure a rendu son récit encore plus réaliste en décrivant avec précision les toilettes de tous les jours ou de soirée (organisées au Manoir Richelieu), et la gastronomie de l’époque qui, à ma surprise, n’est pas si différente de la nôtre aujourd’hui.

Bref, une nouvelle auteure remarquable par son esprit de recherche et par la façon passionnante et attachante de raconter une histoire.

Extrait :
– J’enrage de penser à mes compatriotes qui doivent brûler des cadres de portes pour se chauffer l’hiver. Au lieu de commencer à travailler à dix ans, les enfants devraient rester à l’école et apprendre un métier qui ferait vivre décemment une famille. L’Église catholique leur montre le catéchisme et les terrorise avec des histoires d’enfer et de feu éternel. Les Canadiens français n’arriveront pas au XXe siècle tant qu’ils laisseront les prêtres et les bonnes sœurs penser et agir à leur place (,,,)
Gordon, dit Warren, je vous appuie tout à fait sur l’importance de l’éducation comme seul moyen de s’affranchir de la misère. C’est mon histoire personnelle, la clé de ma réussite. Quant à l’Église catholique, il est évident qu’elle entretient la crainte du changement et de la modernité chez les Canadiens. Saviez-vous que monseigneur Bruchési avait menacé d’excommunication le propriétaire du Ouimetoscope à Montréal s’il ne fermait pas son théâtre le dimanche? Ouimet résiste, c’est tout à son honneur.
C’est aussi Bruchési qui a empêché la construction d’une bibliothèque publique à Montréal, renchérit Gordon. L’Américain Andrew Carnegie offrait 150 000 $ à la ville, mais le maire a dû refuser le don parce que la bibliothèque aurait échappé à la censure de l’Église. La lecture, le cinématographe, le théâtre, Sarah Bernhardt, tout est dangereux dans notre belle province. Bienheureux les ignorants !

Murray Bay et Cap à l’Aigle

Niveau de satisfaction :
4.5 out of 5 stars (4,5 / 5)

Ce contenu a été publié dans Enquête, Historique, Québécois, Remarquable. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.