Un profond sommeil – Tiffany Quay Tyson

Par Raymond Pédoussaut

Date de publication originale : 2018
(The Past Is Never)
Date de publication française : 2022 – Sonatine Éditions
Traduction (américain) :
Héloïse Esquié
Genres :
Saga familiale, enquête
Personnages principaux :
Roberta Lynn (Bert), jeune fille et Willet son frère aîné

White Forest, Mississipi.
À trois kilomètres du village, la carrière interdite et abandonnée est un lieu réputé maléfique. C’est un trou rempli d’une eau sombre où des hommes qui avaient extrait des pierres avaient souffert et étaient morts. Mais elle a toujours attiré les jeunes gens. Par une chaude journée d’été un frère et ses deux sœurs : Willet 16 ans, Bert 14 ans et Pansy 6 ans, décident de s’y baigner. Après le bain, Willet et Bert s’éloignent pour cueillir des baies sauvages, laissant Pansy faire tranquillement la planche à la surface de l’eau. Un violent orage éclate, quand ils reviennent au bord de l’eau ils ne retrouvent plus leur petite sœur. Les plongeurs appelés pour sonder les profondeurs ne la découvrent pas davantage. Willet et Bert ont la conviction qu’elle a été enlevée et qu’elle est vivante. Ils persistent dans la recherche de leur sœur et de leur père, disparu lui aussi peu de temps avant. Leurs investigations les amèneront jusqu’aux mangroves de Floride où tout se dénouera.

Ce n’est pas que l’histoire d’une double disparition (celle de la sœur et du père) et des recherches qui en découlent. L’intrigue est constituée de parties qui paraissent indépendantes avant qu’elles ne s’assemblent pour constituer un ensemble cohérent. Ainsi c’est d’abord la vie de tout un clan qui est reconstituée : celle des trois enfants, de leurs parents, de leur grand-mère, de leur oncle et tante. La grand-mère Clémentine tient un rôle important : elle recueille les filles enceintes qui ont des problèmes et elle les aide soit à accoucher, soit à avorter suivant leur désir. Elle soigne aussi avec des plantes et des décoctions dont elle a le secret. Bref, mamie Clémentine est un peu sorcière, une sorcière bienveillante et efficace. Entremêlés à ces destins familiaux, il y a de longs passages traitant de l’esclavage, de la révolte des esclaves, de la ségrégation, de la haine raciale et de l’avortement. Le tout forme un ensemble hétéroclite révélateur de la vie sociale américaine dans le Mississipi et la Floride dans les années 1960 à 1980.

Outre cet aspect social, l’autrice montre un vrai talent pour décrire la nature. D’abord la carrière, à la fois fascinante et inquiétante, puis la mangrove des Everglades en Floride, luxuriante et grouillante de vie animale, avec ses labyrinthes, ses tunnels, ses îles. Un monde aussi magnifique que dangereux pour les étrangers.

Un profond sommeil est un roman puzzle. Les différentes pièces disparates finissent par s’assembler pour former l’histoire compliquée d’une famille. La nature grandiose et redoutable contribue à créer une belle atmosphère toxique et troublante.

Extrait :
J’ai hurlé vers le ciel, avec une fureur qui montait de mon ventre et se répandait dans mes veines. J’étais en colère contre moi-même et contre tous ceux qui m’avaient conduite dans ce désert sauvage et aqueux au bout du monde. J’étais furieuse contre mes parents pour leur négligence et leur absence. Furieuse contre ma mère parce qu’elle avait renoncé à vivre. Furieuse contre ma sœur parce qu’elle n’était née que pour être perdue. Furieuse contre mon frère, qui aurait dû nous surveiller mieux. Furieuse contre la femme de Pittsburgh à cause de ses prédictions aussi sinistres qu’exactes. Furieuse contre mamie Clem à cause de tous les secrets et mensonges, et parce qu’elle se prenait pour Dieu avec les bébés qu’elle mettait au monde, puis vendait. Furieuse contre Bubba, ses extraterrestres à la con et son existence triste, pathétique. Furieuse contre Cheryl parce qu’elle était tombée enceinte. Furieuse contre les eaux noires de la carrière et les eaux noires du golfe, et furieuse contre la créature des bois hantés et l’abominable raton laveur. J’ai donné toute ma colère au ciel nocturne, hurlant jusqu’à ce que ma voix ne soit plus qu’un gémissement. Une bête sauvage quelconque m’a rendu mon hurlement, comme si c’était une discussion entre nous.

Mangrove des Everglades

Niveau de satisfaction :
4.1 out of 5 stars (4,1 / 5)

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