Le blues des Phalènes – Valentine Imhof

Par Raymond Pédoussaut

Date de publication originale : 2022 – Éditions du Rouergue
Genres :
Roman noir, historique
Personnages principaux :
Milton, engagé dans l’armée pour fuir des charges familiales – Arthur, soldat puis défenseur des exploités – Pekka, jeune femme qui change plusieurs fois de vie – Nathan, 13 ans, fils de Pekka et vagabond.

Amérique, entre 1931 et 1935.
Milton est parti à la guerre pour ne pas reprendre la société familiale. Pas par patriotisme, mais pour fuir l’avenir tout tracé qui aurait dû être le sien.
Arthur, petit, était trop sensible. Il a étonné tout le monde en s’engageant pour aller combattre en Afrique, dans la guerre de Boers.
Pekka, jeune femme, s’est entichée d’un compagnon qui, lorsqu’il est devenu chômeur, est aussi devenu alcoolique et violent. Elle termine le travail commencé par son fils Nathan, en éclatant la tête du gars à coup de bûches.
Nathan, 13 ans, fils de Pekka n’a pas supporté la violence de son beau-père qui s’en est pris à sa petite sœur. Il l’a neutralisé d’un coup de bûche sur le crâne puis il a quitté la maison familiale. Il est devenu vagabond, un hobo se déplaçant dans les trains de marchandises.
Dans l’Amérique des années 1930, ces quatre personnages vont avoir une vie mouvementée, pleine d’épreuves et d’espoirs souvent déçus.

L’intrigue est complexe et touffue. Il faut être attentif et parfois faire des retours en arrière pour ne pas perdre le fil de l’histoire. Nous passons d’un personnage à un autre et d’une année à la suivante ou la précédente pour suivre la vie chaotique de ces quatre personnages dont tous changent de nom suivant les circonstances. L’enchevêtrement des aventures et des évènements et les changements de noms font que la lecture est assez ardue et demande une certaine concentration.

Ceci étant dit, la plongée dans l’Amérique des années 1930 est impressionnante. C’est l’époque des hobos. Ces travailleurs miséreux se déplaçaient de ville en ville en montant illégalement dans les wagons des trains de marchandises ou en s’accrochant aux barres de métal sous les trains. Le fascisme, déjà présent en Europe, arrive triomphalement en Amérique par l’intermédiaire d’Italo Balbo et son escadrille de 24 hydravions provenant d’Italie, accueilli en héros lors de l’Exposition universelle de 1933 à Chicago. Au Pays du lait et du miel, ainsi baptisé avec un cynisme cruel, ce sont les logements insalubres des travailleurs migrants qui cueillent fruits et légumes pour le compte de gros propriétaires qui les exploitent sans vergogne pour un salaire misérable. Autre fait marquant : la grève des dockers à San Francisco en 1934 et le Bloody Thursday où deux travailleurs seront abattus par la police le 5 juillet 1934. Et enfin il y a la terrible explosion d’Halifax : là où tout a commencé pour nos protagonistes. Le 6 décembre 1917 à Halifax, en Nouvelle-Écosse au Canada, le cargo français Mont-Blanc, transportant des tonnes de munitions à destination de l’Europe alors en guerre, entre en collision avec un navire norvégien, l’Imo. Le Mont-Blanc prend feu et explose, tuant 1 946 personnes et en blessant des milliers d’autres. C’est la plus puissante explosion d’origine humaine avant l’ère nucléaire. La ville d’Halifax est en grande partie détruite. Ce cataclysme laissera sa marque noire, une sorte de malédiction, sur nos quatre principaux personnages.

Tous ces évènements sont racontés par l’intermédiaire des personnages de façon très vivante et immersive. Si l’intrigue touffue demande une certaine attention, l’écriture fluide et imagée rend la lecture agréable. Certains dialogues sont savoureux (notamment entre Pekka et Curtis). Les personnages sont torturés. Le côté historique est très intéressant. C’est un bon roman noir historique, ambitieux, qui a une belle ampleur.

Extrait :
Et puis c’est l’EXPLOSION.

Considérable. Titanesque. Infernale.
Qui projette, très haut vers le ciel, sortie des entrailles du Mont-Blanc, une colonne de feu et un chaos bouillonnant de fumées noires et âcres. L’onde de choc frappe violemment la Changuinola. Le croiseur se cabre et projette au sol tous ceux qui avaient lâché le bastingage pour se protéger les oreilles ou les yeux de leurs mains. Quand les premiers impacts d’une grêle bouillante commencent à résonner, rebondir, et ricocher tout autour d’eux, chacun se met à courir ou ramper pour se tapir derrière une manche à air, se tasser en dessous des chaloupes, se souder au tablier blindé du canon, se plaquer le long du garde-corps. Rivets chauffés au rouge, tôles cinglantes, barres de métal tourmentées, s’abattent sur le pont dans un assourdissant fracas et s’y incrustent, cognent la cheminée qui oscille et se met à vibrer comme un glas, cisaillent les câbles et les filins qui se convulsent et flagellent l’air en sifflant. 

Explosion d’Halifax, 6 décembre 1917

Niveau de satisfaction :
4.2 out of 5 stars (4,2 / 5)

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