La dernière ville sur terre – Thomas Mullen

Par Raymond Pédoussaut

Date de publication originale : 2006 (The Last Town on Earth)
Date de publication française : 2023 – Éditions Payot & Rivages
Traduction (américain) :
Pierre Bondil
Genres :
Roman noir, historique
Personnage principal :
Philip Worthy, jeune homme de 16 ans

Charles Worthy, en rupture avec les idées conservatrices de son père et ses frères, a ouvert une scierie en une contrée dont beaucoup pensaient qu’elle n’était pas exploitable. Autour de la nouvelle scierie s’est créée la ville de Commonwealth. Charles a des idées socialistes : il a fait construire des maisons pour ses ouvriers et il leur verse des salaires supérieurs à ceux en cours dans la région, ce qui révulse les autres propriétaires. Quand la grippe espagnole a commencé à faire des victimes dans les villes voisines, les habitants de Commonwealth décident de fermer la ville, personne ne doit en sortir et personne ne peut y entrer. Un panneau sur la route, barrée par un tronc d’arbre, informe les visiteurs et deux sentinelles armées veillent. Un jour arrive un homme affamé et malade qui ne respecte pas l’interdiction. C’est le début d’une spirale négative pour toute la communauté.

Thomas Mullen situe son roman dans les années 1917-1918. Les États-Unis sont entrés en guerre en 1917. Les autorités ont lancé le recrutement des soldats qui doivent intervenir sur le front français. Cependant des hommes catalogués comme ouvriers essentiels à l’effort de guerre pouvaient être exemptés du départ à l’armée, c’était le cas des employés des scieries, mais ils devaient néanmoins se plier à la formalité de la conscription, ce qui a souvent été négligé par les hommes de Commonwealth. Ce sera exploité par leurs adversaires, des hommes jaloux de leur réussite, rassemblés dans la LPA (Ligue de Protection Américaine) qui sous prétexte de servir le pays en profitent pour régler des comptes personnels. Un autre fléau frappe en même temps que la guerre : la grippe espagnole. L’auteur nous fait vivre de l’intérieur les souffrances des gens qui en sont frappés, le désarroi et l’impuissance de leurs proches.

On trouve dans ce roman une belle galerie de personnages crédibles. On suit, tout au long de l’histoire, Philip, un garçon de 16 ans qui a eu une jeunesse bouleversée jusqu’à ce que Charles et sa famille le recueillent et l’adoptent après l’accident de voiture qui a coûté la vie à sa mère et dans lequel Philip a perdu un pied. C’est un garçon sensible et pas très sûr de lui qui a comme modèle Graham qui sait toujours ce qu’il faut faire et qu’il considère comme un grand frère. Graham s’investit totalement dans un rôle de protecteur pour sa famille, pour Philip et pour toute la communauté. Il n’hésite pas à prendre des mesures radicales quand il les juge nécessaires pour le bien de tous, même si elles sont contestables et pas vraiment comprises. Charles est le patriarche et le créateur de Commonwealth, il est écouté et respecté. Il fait de son mieux pour défendre la communauté même si les circonstances font que le contrôle des évènements lui échappe. Les femmes ne font pas de la figuration : – Rebbecca, l’épouse de Charles, militante pacifiste, n’hésite pas à s’opposer aux décisions de la majorité et même à son mari – La jeune Elsie fait preuve d’un grand courage, son soutien réconforte Philip qui en est éperdument amoureux – Sa mère Flora tient le magasin d’alimentation, elle est toujours joviale et ironique – Amelia, l’épouse de Graham est une femme très active qui a été dès l’âge de sept ans joué le rôle de femme au foyer en veillant en plus sur ses trois plus jeunes frères.

À travers l’histoire de Commonwealth, Thomas Mullen nous montre très subtilement comment le confinement modifie les relations entre les gens. Des idées généreuses, telles que le respect des travailleurs et leur juste rémunération, sont mises à mal par une pandémie incontrôlable, mais aussi par la jalousie et, de la part de riches patrons, la crainte que des opinions socialistes prospèrent .

Avec une intrigue de qualité et des personnages remarquables, La dernière ville sur terre est un beau roman noir historique tout à fait captivant.

Extrait :
Il était venu à son esprit que chaque décision prise par la ville depuis le début de la quarantaine avait été surtout marquée par l’égoïsme. Les habitants s’étaient placés sur un piédestal, au-dessus de tous les gens de l’extérieur, défendant la croyance que leurs valeurs devaient passer avant la peine de mort. Cela semblait indéfendable, même si l’on considérait que la propre famille de Philip pourrait tomber malade. Il ne savait pas s’il était vraiment quelqu’un d’honorable ou s’il le deviendrait, quelle sorte de compas éthique biaisé il avait hérité de sa mère, mais voulait croire qu’il était capable d’altruisme. Il en sentait le besoin.

Il avait tourné son regard vers Graham en quête de réponses et n’avait rencontré que le silence. S’était adressé à Charles en quête d’explications et les avait trouvées torturées, d’une logique trop tendancieuse pour cause de rationalisation. Il ne trouverait aucune aide dans ce domaine, s’était-il rendu compte : la quarantaine conçue pour empêcher la grippe de pénétrer en ville n’avait eu pour résultat que de la couper de ses idéaux premiers. C’était une ville en pleine éclipse et il serait obligé de naviguer par ses propres moyens au milieu des ténèbres.

La grippe espagnole aux États-Unis

Niveau de satisfaction :
4.4 out of 5 stars (4,4 / 5)

 

 

 

Ce contenu a été publié dans Américain, Historique, Remarquable, Roman noir. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.