Meurtres pour rédemption – Karine Giébel

Date de publication : 2006 (Rail Noir) puis 2010 au Fleuve Noir
Genre : Roman noir
Personnages principaux : Marianne jeune fille de 20 ans

Quelle claque ce bouquin ! Autant vous prévenir tout de suite : si vous êtes fragile psychologiquement assurez vous que vous avez votre stock de Prosac avant d’attaquer ce pavé de 760 pages car ce livre vous remue les tripes et le cœur.
Marianne de Gréville, jeune fille de 20 ans, a déjà assassiné 3 personnes. Une suite implacable d’évènements l’a amenée au meurtre sans qu’il y ait vraiment intention délibérée au départ. Elle a été prise et condamnée à perpète.
La première partie du livre décrit sa vie en prison, dans cet univers carcéral, ce monde où les règles courantes de vie en société sont abolies. Ici pas de conventions sociales, pas de règles de politesse ou de bienséance mais un code de survie : c’est la loi de la prison proche de la loi de la jungle. Satisfaction des besoins primaires : manger, boire, dormir, éviter les dangers, les prédateurs…survivre ! Les sentiments aussi sont à l’état brut : haine, jalousie, et même amour : tout est plus fort, plus dépouillé que dans la « civilisation ». Tout y est plus simple … et plus dangereux !
Dans cet univers impitoyable, les femmes sont aussi violentes et cruelles que les hommes. On sait qu’elles peuvent être terribles nos tendres et douces compagnes et c’est bien le cas ici. Punitions, humiliations, brimades, tortures sont le quotidien de Marianne. Mais elle est indomptable. C’est une furie, une tigresse, une vraie grenade dégoupillée. Elle encaisse beaucoup, se défend aussi car elle est extrêmement dangereuse, c’est une ancienne championne de karaté. Elle est capable de foutre une dérouillée à 3 hommes à mains nues, alors il faut faire gaffe ! Sa réputation est bien établie au sein de la prison, c’est une star. Mais d’autres filles sont des cheftaines de meutes aussi sauvages qu’impitoyables. Marianne est une rivale pour elles. C’est aussi une adversaire pour certaines femmes matons qui profitent de leur position pour assouvir de sombres penchants. Elle doit se battre, subir aussi la terrible loi de la prison. Elle aimerait bien que ça s’arrête un jour et le lecteur aussi ! Car c’est dur de lire tous les sévices endurés par Marianne ou par sa co-détenue dans la même cellule. Il faut parfois s’accrocher pour continuer la lecture tellement c’est effrayant. Ma seule réserve sur le livre est là : dans ce goût de l’auteur pour la souffrance et la douleur. Pourtant au milieu de ce calvaire sans fin jaillit l’amour. Le vrai, l’absolu! Celui qui fait que la vie de l’être aimé compte plus que sa propre vie. Ne croyez pas que l’on bascule dans le style fleur bleue, non ! Ce n’est pas le style de Karine Giébel, elle n’est pas prête à entrer dans la collection Harlequin !
Les trains c’est la liberté pour Marianne. Le bruit des trains qui passent au loin lui permet de s’évader virtuellement. Les cigarettes, la drogue et les livres aussi. Dans la deuxième partie du livre, on n’est plus dans l’épouvantable univers carcéral. Marianne est tirée de prison et on lui propose un marché redoutable, une mission à accomplir en échange de la liberté. Mais les choses ne vont pas vraiment s’arranger. Elle n’est pas davantage affranchie qu’en prison. La liberté, Marianne la trouvera uniquement à la fin du livre. Je n’en dirai pas plus.
On dit parfois que les écrivains français se regardent écrire et produisent beaucoup de mots inutiles. C’est pas le cas de Karine Giébel : dans une seule ligne, il peut y avoir 3 phrases. C’est un style au rythme saccadé, haché, qui convient bien au récit. Ce livre plaira à ceux qui aiment être secoués, bouleversés. Il est à déconseiller à ceux qui ne supportent pas la violence et qui préfèrent les atmosphères plus feutrées où même le meurtre se fait avec classe et distinction. Ici c’est l’horreur sans fard qui est montrée. Le livre met les nerfs à vif. J’ai vu des amies, qui l’évoquant, avaient la gorge serrée et les larmes au bord des yeux. Preuve que malgré sa violence il touche quelque chose de profond en nous. L’auteur réussit à susciter à la fois répugnance et l’émotion. C’est horrible et beau en même temps. Que de souffrances, que de douleurs dans ce bouquin ! Marianne si monstrueuse et si humaine, si forte et si faible. « Une fille faite pour un bouquet Et couverte Du noir crachat des ténèbres » (Paul Eluard)
On sort du bouquin comme d’une tempête: un peu secoué mais conscient d’avoir assisté à quelque chose de fort. Ce livre n’est pas de ceux qu’on oublie immédiatement une fois refermé, il vous imprègne encore un certain temps après avoir tourné la dernière page. On redoute aussi que le prochain livre ne paraisse bien terne après celui-ci.
Quelques remarques pour finir :
– Sur l’auteur d’abord : toute en rondeurs, bonne vivante apparemment (d’après les photos) mais qui écrit avec telle violence, une telle noirceur qu’on se demande dans quelles profondeurs elle va puiser ses idées.
– La première édition du livre au Rail Noir, en 2006, avait une police petits caractères, fatigante pour les yeux, qui n’a pas vraiment servi le livre. Cette édition a été rapidement été épuisée. Le livre est devenu introuvable pendant quelques années. Puis le nouvel éditeur Fleuve Noir l’a représenté en 2010 comme si c’était une nouveauté.
– Karine Giébel et la SNCF semblent liées : ses premiers livres ont été publiés aux Editions du Rail. Ici Marianne assimile les trains et la liberté. La SNCF, reconnaissante, lui a attribué le Prix SNCF du Polar pour les Morsures de l’Ombre (prix mérité par ailleurs).

Ma note : 5 / 5 

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8 réponses à Meurtres pour rédemption – Karine Giébel

  1. Ray dit :

    Je suis d'accord avec vous, y compris pour votre réserve concernant les scènes de torture qui sont proche de l'insoutenable. Mais dans ce livre tout est plus fort, c'est ce qui en fait un roman bouleversant.
    J'ai aussi beaucoup apprécié Serena de Ron Rash et peut être encore plus son premier livre Un pied au paradis. D'ailleurs je viens de m'apercevoir que j'ai oublié de mettre en ligne les articles concernant ces 2 romans. Je vais les ajouter.

    • sergio dit :

      Il est vrai que le premier livre de Ron Rash a été une vrai découverte avec une intrigue menée de main de maitre mais le plus fort de ce livre est sa construction totalement inédite pour moi : la même histoire racontée par tous les personnages participant à l'histoire afin d'aboutir à la vérité. Si j'ai une toute petite préférence pour Séréna, c'est justement pour le personnage de Séréna qui est une héroïne sulfureuse des temps modernes. Avec Marianne, deux portraits de femmes extraordinaires bien que différentes.

      • Ray dit :

        Oui c'est vrai deux beaux portraits de femmes. Différentes et toutes deux dangereuses. Mais Marianne a un grand cœur et Serena n'en a pas.
        Concernant le procédé de faire raconter la même histoire par des personnages différents, c'est assez courant : Pierre Lemaitre utilise souvent cette technique. Si vous ne connaissez pas ce cet auteur, je vous conseille notamment Robe de Marié . Vous trouverez sur le blog plusieurs critiques concernant Pierre Lemaitre.

  2. sergio dit :

    C'est le 3ème livre que je lis de Karine Giébel et certainement le plus abouti. C'est un livre coup de poing qui nous atteint au plus profond de nous même. Ce personnage de Marianne est à la fois beau et terrifiant avec son amour et ses félures. Le seul reproche que je ferai au bouquin est sa longueur et les scènes de torture ou de sévices à répétition. Trop de violence tue la violence. Mais la fin est géniale. Mon coup de coeur de l'année avec Séréna de Ron Rash (à lire absolument)

  3. Fabienne dit :

    La Haine, l’Amour, une frontière si floue et si fragile…
    Impossible de ne pas la traverser quand les conditions de survie ne sont qu’instinct et sensibilité exacerbés.
    Ce roman de Karine Giebel vous met face à votre propre réalité. Quel est l’être qui ne s’est jamais posé la question « qu’aurais-je fait dans de pareilles circonstances, suis-je assez fort pour résister ? ».
    Au-delà de la cruauté sordide de l’univers carcéral, l’auteur vous emmène dans les méandres des sentiments complexes où syndromes de Stockholm et Lima se percutent.
    Un séisme de 1000 pages qui vous laisse interdit, stupéfié, interloqué, médusé, sidéré, déconfit, ahuri, parfois stupide, ébahi, ébaubi, étonné, sans voix, bref, désarticulé mentalement.
    Incontournable de la bibliothèque.
    Âmes sensibles, cuirasse indispensable.
    Fabienne

  4. Ray dit :

    Votre mari a dû être soulagé à la fin de votre lecture !
    C'est exceptionnel qu'un polar donne autant d'émotion. Nous ne sommes pas prêts d'oublier Marianne !

  5. Claire dit :

    Je suis parfaitement d'accord avec votre article. Ce livre est terrible et magnifique. Je l'ai lu il y a 2 ans et je m'en souviens comme si c'était hier. J'ai interrompu ma lecture plusieurs fois des larmes plein les yeux, avec des sanglots irrépressibles. J'ai beaucoup inquiété mon mari qui ne croyait pas qu'une lecture puisse me mettre dans cet état, il me croyait malade.

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