Homesman – Glendon Swarthout

Par Raymond Pédoussaut

HomesmanDate de publication originale : 1988 (The Homesman) Swarthout
Date de publication française : 1992 (Presses de la Cité sous le titre Le chariot des damnés) – 2014 (Gallmeister – Nouvelle traduction de L. Derajinski)
Genres : Western, roman des grands espaces
Personnages principaux : Mary Bee Cuddy, fermière – Briggs, voleur

 La Conquête de l’Ouest a permis aux colons américains partis de l’est du pays de s’approprier les terres des amérindiens à moindre prix. Mais parfois le tribut à payer pour cette «Terre promise» était très lourd, notamment pour les femmes. Ces épouses, mères de famille, courageuses, travailleuses inlassables, étaient soumises à des conditions de vie terribles. Certaines craquaient, devenaient démentes. Alors, non seulement elles n’étaient plus d’aucune utilité, mais elles devenaient un poids insupportable pour la famille vivant déjà dans la précarité. Les asiles psychiatriques n’existaient pas. La solution pour se débarrasser du fardeau qu’elles étaient devenues était de les renvoyer vers l’est d’où elles étaient venues et où elles avaient encore de la famille.

En ce milieu du 19ème siècle, dans le Territoire quatre femmes ont perdu la raison. La première a assassiné son quatrième enfant qui venait de naître. La deuxième a dû faire face seule a une attaque de loups, elle a eu tellement peur qu’elle est devenu folle. La troisième ne supportait plus son mari, elle a essayé de le tuer. La quatrième, la plus jeune, a perdu en deux jours ses trois enfants, morts de la diphtérie. Le révérend Dowd organise le retour de ces quatre femmes vers leur famille d’origine, dans l’est. Pour cela il faut un rapatrieur[1]. Un tirage au sort désigne celui, parmi les quatre époux, qui sera chargé d’escorter les femmes, les autres participent en fournissant le chariot, les chevaux, les vivres. Celui que le sort a désigné refuse la mission. Marie Bee Cuddy, ancienne institutrice, femme forte qui vit seule et se débrouille très bien, se propose comme rapatrieur. Bien que les hommes soient étonnés de voir une femme avoir ce courage qu’eux n’ont pas, ils acceptent la proposition qui les arrange bien. Rétrospectivement Mary Bee va réaliser l’énormité de la tâche qui l’attend. Elle va chercher quelqu’un qui pourrait l’accompagner. Il n’y a pas de candidats. Le seul qui ne pourra refuser de l’aider est ce brigand, voleur de concession, qu’elle va trouver assis sur son cheval, une corde au cou, en instance de pendaison. Elle va passer un marché avec lui, elle ne va le libérer que s’il accepte de l’accompagner et de l’aider à convoyer les pauvres femmes jusqu’en Iowa. Briggs, le voleur, n’a qu’un choix restreint. Il accepte tout ce que demande Mary Bee. Mais une fois libéré sera-t-il fiable ? C’est ainsi que les deux associés partent pour un long et dangereux voyage vers l’est, convoyant un fourgon, une sorte de boîte rectangulaire avec quatre roues, tiré par deux mules, dans lequel sont enfermées quatre femmes folles.

Homesman-amb-2A travers un long et périlleux voyage, l’auteur nous fait le portrait de deux personnages exceptionnels. Mary Bee Cuddy est une femme forte, en apparence. C’est une ancienne institutrice qui avait la vocation, mais lassée de conditions de vie misérables, elle a profité d’un héritage, pour s’installer comme fermière. Là elle prospère, se débrouille très bien seule. Elle sait tout faire, comme un homme : labourer, planter, couper, manier le fusil, faire soigner son troupeau. Elle sait aussi faire ce que font les femmes des colons : cuisiner, coudre, entretenir la maison. Et en plus elle a le cœur sur la main. Elle est toujours disponible pour aider. C’est une optimiste qui attend le meilleur chez l’être humain. Mais elle n’a pas d’homme. Sa recherche d’un compagnon est pathétique. Les hommes sont effrayés par cette femme libre et indépendante qu’ils ne pourraient dominer. Pour motiver leur crainte, ils lui disent cruellement «qu’elle est quelconque». Les conditions difficiles du périple entrepris et les épreuves vont révéler sa force de caractère mais aussi ses faiblesses intimes.

Briggs est un sale type, en apparence. Il profite du départ d’un colon pour investir sa maison. Sachant très bien que l’homme n’a pas enregistré et payé les droits de sa concession, il se l’approprie. Il pourra même la revendre à son propriétaire initial, à son retour. Mais les voisins du fermier absent vont défendre ses intérêts et Briggs va se retrouver en mauvaise position, une corde au cou. Heureusement Mary Bee, passait par là et elle avait besoin d’aide. Par la suite l’expérience de Briggs sera bien utile. Ce voleur, déserteur, cynique, sans illusion sur la nature humaine, va accomplir des choses qu’il n’aurait jamais imaginées dans sa vie de sauvage fuyant toute sorte d’attache. Il va même éprouver des sentiments jusqu’alors inconnus, comme l’affection et la compassion. Ce voyage sera une rédemption pour lui.

Finalement Briggs est mieux adapté à cet environnement dur et âpre que ne l’est Mary Bee.

Même si on peut parler de western pour ce livre, ce n’est pas un western traditionnel. Certes, on y échange quelques coups de feu mais on y trouve surtout une description effrayante des conditions de vie très difficiles des colons venus chercher l’eldorado. C’est le revers de la médaille de la Conquête de l’Ouest. Des personnages attachants et une bonne intensité dramatique sont les ingrédients de ce beau roman.

Le film de Tommy Lee Jones The Homesman, inspiré de ce livre, a été présenté en compétition officielle au festival de Cannes cette année.


[1] Le titre original du livre, « The Homesman », est un néologisme inventé par l’auteur pour désigner la personne chargée de ramener ces femmes qui ont perdu la raison dans leur foyer d’origine, à l’est du pays. Afin de rester fidèle à l’intention première de l’auteur, la traductrice a choisi de créer un néologisme équivalent en français, d’où le terme de « rapatrieur ».

 

Extrait :
Mais bientôt, Mme Svendsen se remit à gémir et ses cris furent repris en écho par une autre femme, puis une autre encore, et voilà que les quatre voix, celle de Gro Svendsen, d’Hedda Petzke, d’Arabella Sours et de Theoline Belknap, se mêlaient en un son discordant. C’était une lamentation telle que ces terres silencieuses n’en avaient encore jamais entendu. C’était une complainte d’un tel désespoir qu’elle déchirait le cœur et enfonçait ses crocs au plus profond de l’âme. Mary Bee porta les mains à ses oreilles. Des larmes lui dévalaient le long de ses joues, les larmes qu’elle avait retenues et accumulées la veille et au cours de la journée. C’était comme si les créatures tragiques à l’intérieur du chariot comprenaient enfin ce qui leur arrivait : qu’on les arrachait à tous ceux qu’elles aimaient, à leurs hommes, à leurs enfants, vivants ou morts ; à tout ce qu’elles aimaient, à leurs graines de fleurs, à leurs bonnets et à leurs alliances – pour ne plus jamais revenir. Le chariot grondait. Mary Bee sanglotait. Briggs poussait les mules. Les femmes continuaient à gémir. À gémir.

Bande annonce du fim The Homesman de Tommy Lee Jones

Ma note : 4.5 out of 5 stars (4,5 / 5) Homesman-amb

 

 

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8 réponses à Homesman – Glendon Swarthout

  1. belette2911 dit :

    Je le note, ma Poulette ! Tu sais me donner envie, je devrais fuir ce blog ventre à terre parce que ma PAL va pas s’arranger après ça 🙁

    • Ray dit :

      Un western te changera un peu des romans noirs que tu affectionnes en ce moment. Peut être pas tant que ça tout bien réfléchi, comme le dit Ingannmic plus haut, en parlant du film : c’est entre le western et le roman noir. Le livre encore plus que le film.

  2. Ray dit :

    Les femmes des colons lancés dans la Conquête de l’Ouest connaissaient des conditions de vie terribles. Certaines ne le supportaient pas. G. Swarthout nous donne de cette période une autre vision que celle développée dans les westerns de cinéma. Même si c’est bien un western, il est tout à fait atypique.

  3. Satrape dit :

    Je ne suis pas très western, mais je reconnais que ta chronique élogieuse m’a donné envie de découvrir les conditions de vie de ces femmes.

  4. ingannmic dit :

    Je ne l’ai pas lu mais j’ai vu le film, que j’ai beaucoup aimé. Comme le roman, il oscille en western et film noir. Bref, une réussite !

    • Ray dit :

      Moi, c’est l’inverse : j’ai lu le livre, je n’ai pas vu le film. Ça ne saurait tarder cependant. J’ai aimé le livre et je pense que je vais apprécier le film. J’ai déjà noté une différence : dans le livres les femmes qui sont devenues folles sont quatre alors que dans le film elles ne sont que trois. Économie d’une actrice ?

  5. Fabe dit :

    Ah mais c’est presque un 5/5.
    Ça fait très envie de le lire, les grands espaces dans toute leur splendeur et les difficultés de cette epoque.
    Merci à toi.

    • Ray dit :

      Toute la splendeur et la misère aussi. Le livre décrit surtout la misère des colons.
      Il y a des passages assez poignants.
      Merci de ton commentaire.

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