La musique et la nuit – Lawrence Block

Par Michel Dufour

lamusiqueetlanuitDate de publication originale : 2011 (The Night and the Music)Block
Date de publication française : 2015 (Calmann-Lévy)
Genre : Enquête
Personnage principal : Matt Scudder, ex-flic, détective privé

Je n’ai pas lu Lawrence Block depuis longtemps, même si j’en ai gardé un bon souvenir. Il a créé le flic new-yorkais, devenu détective privé, Matthew Scudder, au début des années 70. Cette nouvelle publication contient onze nouvelles de 20 à 40 pages, des enquêtes ou des interventions de Matt des années 60 jusqu’au début du XXIe siècle. Block s’applique à nous faire sentir l’évolution de la ville de New York au cours de cette période. Pas de façon aussi détaillée que Donna Leon avec Venise, mais plutôt dans le genre Maxime Houde avec son Covaleski enquêtant à Montréal dans les années 40. Sélectionné pour le Prix Edgar Poe et nommé grand-maître du roman policier en 1994, Block a remis sur la carte le polar new yorkais, qui avait séduit les plus âgés d’entre nous avec les captivants romans de Rex Stout. L’Archie Goodwin de Stout (homme de main de Nero Wolfe) a plusieurs points communs avec le Scudder de Block : bon bagarreur qui essaie d’éviter les bagarres, charmeur mais sait toujours tenir sa place, doté d’un bon sens de l’humour, parfois cynique, débrouillard et, sans être un saint, épris d’une certaine justice.

Ces nouvelles sont dignes d’intérêt pour tout amateur de Matt Scudder. Les énigmes sont intéressantes, mais ce ne sont pas de véritables défis à la Ellery Queen. Plutôt des prétextes pour nous faire connaître un Matt plus intime, de ses années de mariage avec Anita et leurs deux enfants jusqu’à son second mariage avec Elaine, de ses années bien arrosées à ses années de sevrage. On nous le montre à l’œuvre aussi avec ses amis Mick Ballou et Vince Mahaffy, avec qui il partage son amour du jazz et des bons repas.

Les thèmes caractérisent aussi ce qui s’est passé en 40 ans à New York : l’intolérance vis-à-vis des sans abri et des mendiants; le paysage urbain transformé par l’arrivée des Africains qui vendent de la camelote au coin des rues; les bons vieux bars du Village achetés par de riches promoteurs qui les convertissent en édifices à bureaux ou en condos; et, dans les quartiers autrefois non recommandables, « les abreuvoirs pour yuppies ont remplacé les rendez-vous des malfrats ». La plupart des aventures sont accompagnées d’une réflexion sur les pièges de l’alcoolisme (ça pourrait tout aussi bien s’appliquer à la drogue) et sur la fragilité de l’existence humaine.

Il est peut-être préférable de commencer par lire un roman de Block/Scudder, comme Le coup du hasard ou Huit milliers de façons de mourir. Mais ceux qui ont l’habitude d’apprécier des nouvelles intrigantes et attachantes auront du plaisir à les parcourir.

Extrait : 
Quand l’appel arriva, j’étais scotché devant la télé du salon, un verre de bourbon à la main, en train de regarder un match des Yankees. C’est drôle, ce dont on se souvient et ce qu’on oublie. Je me souviens que Thurman Munson venait de frapper une longue balle qui avait manqué son but d’à peine 30 centimètres, mais je ne sais plus contre qui ils jouaient, ni même quelle saison ils avaient fait cette année-là.
Mais je me souviens que le bourbon était un J. W. Dent, et que je le buvais avec des glaçons mais, évidemment, je n’oublie jamais ce genre de chose. Je me rappelais toujours ce que je buvais, même si j’oubliais parfois pourquoi.
Les garçons étaient restés un moment avec moi pour regarder les premières manches, mais le lendemain il y avait école, et Anita les avait emmenés se coucher à l’étage, tandis que je rechargeais mon verre avant de me rasseoir. La glace avait déjà presque fondu lorsque Munson rata son tir, et je secouais encore la tête quand le téléphone sonna. Je le laissai faire, Anita décrocha et vint me prévenir que c’était pour moi. « La secrétaire de je ne sais qui », précisa-t-elle.
Je pris l’appareil et entendis une voix de femme, d’une sécheresse toute professionnelle :
− Monsieur Scudder, je vous appelle de la part d’Alen Herdig, d’Herdig et Cromwell.
− Je vois, dis-je, et je l’écoutai m’expliquer la situation et calculer elle-même le temps qu’il me fallait pour me rendre à leurs bureaux.
Je raccrochai avec une grimace.
− Il faut que tu sortes ?
Je fis oui de la tête.
− Il est temps que ça bouge un peu, dans cette affaire, lui répondis-je. Je ne vais sans doute pas trop dormir cette nuit, et je dois être au tribunal demain matin.
− Je vais te chercher une chemise propre. Tu as quand même le temps de finir ton verre, non ?
Pour ça, j’avais toujours le temps.

Un des hit préférés de Matt Scudder pour se noyer dans la nostalgie :
Chet Baker, Let’s get lost.

Chet Baker – Let’s get lost

Ma note : 3.5 out of 5 stars (3,5 / 5) lamusiqueetlanuit-amb

 

 

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