Par Raymond Pédoussaut
Date de publication originale : 2025 – Éditions du Seuil
Genre : Roman noir rural
Personnage principal : Marguerite, 10 ans, petite fille un peu attardée
Marie, 17 ans, a la réputation d’une Marie-couche-toi là, parce qu’elle s’offre à beaucoup de garçons. Marguerite, 10 ans, parle très peu, alors quand elle annonce tranquillement : Marie est morte, dans la coulée, près de la rivière, c’est la stupéfaction. Le père de Marguerite confirme les propos de sa fille : il a vu aussi la fille morte, il n’a rien dit, il attend que d’autres la découvrent, on ne veut pas d’embêtements dans la famille. L’enquête établira que c’est un meurtre, l’adolescente a été étranglée. Dans le hameau breton de La Motte, c’est à la fois la consternation et l’excitation : Marie était la fille des pharmaciens qui habitent la Haute Motte, ils n’étaient pas bien vus par ceux qui habitent la Basse Motte. Les gendarmes vont interroger tous les habitants du hameau pour tenter de trouver le coupable.
A priori, ce roman se présente comme un roman d’enquête classique : une adolescente assassinée dans un bourg rural, la gendarmerie ne devrait pas tarder à identifier le coupable. Mais ici l’enquête est quasi inexistante, c’est seulement une suite de dépositions des habitants devant les gendarmes. C’est le prétexte pour décrire l’ambiance et les relations qu’ont les gens entre eux dans ce coin de campagne bretonne. Le meurtre de la jeune fille est le révélateur des rumeurs, des petits secrets, des jalousies, des non-dits. Il montre tout aussi bien la rivalité que la solidarité paysanne. C’est donc davantage une étude de mœurs qu’une enquête.
Les témoignages se succèdent devant les gendarmes. Les questions ne sont pas formulées, on les devine dans les réponses qui sont révélatrices de la personnalité de chacun, de leur culture, de leurs affinités et de leurs antipathies. Le témoignage le plus fort est celui de Mimi, la patronne du seul bar du coin qui est devenu le centre névralgique du bourg, depuis que l’église est désertée. On a progressivement troqué la passion du Christ pour la passion du comptoir. Dans sa déposition, Mimi montre un sens de l’observation affûté, de la finesse psychologique, une belle sensibilité et une grande humanité. Elle a été la seule à percevoir derrière les multipes aventures de Marie, la douleur qui habitait l’adolescente.
Le personnage le plus touchant est la petite Marguerite. C’est un souillon, mal lavé et mal peigné. Ses camarades de classe l’appellent la petite bête. Elle est leur souffre-douleur, ils multiplient envers elle les agressions et les humiliations. Elle ne se défend pas, les maîtres ne la défendent pas. Seule Marie était gentille avec elle. Simplette et négligée, c’est ainsi que la plupart des gens la voient. Marguerite parle très peu, mais quand elle parle elle ne ment jamais. Ses rares paroles auront un poids considérable dans cette affaire.
Les saules est un excellent roman noir rural. Un premier roman impressionnant de maîtrise et d’originalité.
Extrait :
Alors qu’on attendait son père et qu’elle devait se douter qu’elle allait passer un sale quart d’heure, elle a posé sa joue contre mon épaule quand je me suis accroupie à côté d’elle. Et elle m’a dit : « Tu sais Mimi comment on fait pour être aimée toi ? » Je n’ai pas compris sur le moment et je lui ai répondu des banalités. Qu’elle était aimée, qu’elle avait des parents aimants, des amis. J’ai pensé sur le moment que c’était une gosse de riches et qu’elle s’inventait des problèmes pour faire cas de son nombril. Je ne vaux pas mieux que les autres. Mais elle a réfréné un rot et le visage crispé elle a ajouté plus fort : « Non, pas mal aimée comme ça. Aimée par l’homme qu’on aime, qu’on aime tellement qu’on pourrait se jeter dans le vide si ses bras nous attendaient tout en bas. » J’ai ri à ce moment-là, je l’avoue. Non seulement parce que je prenais cela pour des paroles de gamine qui ne connaissait rien à l’amour mais surtout parce que je n’y connais rien. Je connais bon nombre d’histoires d’amour, j’en connais des Pénélope, des Iseult, des Juliette et des Emma dépitées par leur vie. Alors j’ai ri. J’ai ri platement en lui ébouriffant les cheveux comme si elle était un épagneul qui rentrait bredouille de la chasse. J’ai juste ri d’un rire vain alors que dans les vapeurs de l’alcool qui menaçait de passer par-dessus bord, cette gosse cherchait une réponse qui l’aurait peut-être gardée en vie.
Bande annonce des Éditions du Seuil
Niveau de satisfaction :
(4,5 / 5)
Coup de cœur