Le Bureau des Affaires occultes – Éric Fouassier

Par Michel Dufour

Date de publication originale : 2021 (Albin Michel)
Genres : Enquête, historique
Personnage principal :
Inspecteur Valentin Verne (Paris)

Prix Maison de la Presse 2021
Prix Griffe noire du meilleur polar historique 2021

J’ai commencé par lire Le Bureau des Affaires occultes, t. 2 : Le Fantôme du Vicaire. Et j’ai voulu savoir comment tout cela a commencé. Dans ce roman-ci, le Bureau des Affaires occultes n’est pas encore créé. Mais l’enquête menée par Valentin Verne porte sur une affaire quand même assez mystérieuse : un gentil garçon qui respirait la joie de vivre une seconde avant son geste malheureux se suicide avec un grand sourire. Dans ce roman, on retrouve, comme dans le premier, ce souci de l’auteur d’inscrire l’intrigue dans un contexte historique précis : 1830, les débuts du règne de Louis-Philippe, où se disputent encore royalistes et républicains. L’insertion historique est développée avec précision comme dans les romans de Jean-François Parot (les enquêtes de Nicolas Le Floch) avec une insistance particulière  sur l’histoire de la médecine et de la pharmacie (que Fouassier enseigne à l’université), ce qui est d’autant plus pertinent qu’au XIXe siècle criminels et policiers emprunteront beaucoup à ces disciplines.

À la Brigade de la sûreté, fondée par Vidocq, Verne est chargé d’élucider quelques morts étranges susceptibles d’ébranler le nouveau régime, tout en poursuivant sa chasse au Vicaire, cet assassin sadique et pédophile qui a toujours un pas d’avance sur lui. Fouassier nous entraîne des bas-fonds de Paris les plus délabrés jusqu’aux milieux bourgeois les plus riches et proches du pouvoir, en passant par un groupuscule républicain dont les membres se réunissent en secret au cabaret Les Faisans couronnés.

Verne, au péril de sa vie, car il réussit à échapper à cinq attentats dirigés contre lui, parvient à relier les suicides de Lucien Dauvergne et du sieur Tirancourt à un complot dirigé contre la monarchie de Louis-Philippe au profit d’une clique de républicains bien nantis. Ceux-ci jouissent d’une nouvelle arme apparemment efficace : un mélange de drogues et d’hypnose rendant aisée la manipulation d’un individu. Fouassier en profite pour nous résumer les premiers pas de la suggestion hypnotique, de Mesmer au marquis de Puységur; en même temps qu’il explique l’effet perturbateur des trois diaboliques, la belladone, la jusquiame et le datura, dont on isole l’alcaloïde à la fin du siècle : la scopolamine. On pourrait sans doute parvenir ainsi à persuader le vicomte de Champagnac, chargé d’instruire le procès des ministres de Charles X, de commettre un acte ignoble qui aurait pour effet de dresser davantage la population contre le pouvoir royal.

L’écriture agréable et l’information pertinente précise permettent au lecteur d’oublier les fils blancs qui cousent bien des scènes d’action : le duel, entre autres, et les divers attentats dont est victime l’inspecteur Verne, qui n’a pourtant rien d’un James Bond. L’intrigue capte toutefois sans effort notre attention et les multiples rebondissements nous incitent à nous tenir aux aguets. L’addition de certains personnages qui ont bien existé, comme Vidocq, le professeur Pierre Joseph Pelletier, le dramaturge Étienne Arago, le mathématicien Évariste Galois, et la danseuse Madame Saqui, dans la troupe de laquelle joue la jeune Aglaé Marceau, voisine de George Sand…,  ajoutent au réalisme de l’intrigue.

Bref, bien que dans ce premier roman d’une nouvelle série Fouassier ait rempli la coupe à ras bord, c’est un véritable plaisir de se laisser mener et même quelque peu malmener par son enthousiasme.

Extrait :
Valentin s’était déplacé l’air de rien vers le centre de la salle. Parvenu au niveau de la table d’examen, il souleva un coin du drap mortuaire pour dévoiler la tête et le tronc du gisant.
Mazette ! s’exclama-t-il. Voilà qui n’est pas banal.
Quoi donc encore ?
Avez-vous noté l’expression de son visage ?
Rigor mortis, laissa tomber le Dr Tusseau en haussant les épaules avec une apparente indifférence. Comme les autres tissus, les muscles de la face se sont rigidifiés. C’est le processus normal. Si vous avez lu Orfila, il n’y a rien là qui soit de nature à vous intriguer.
Valentin ne répondit pas immédiatement. Il ne parvenait pas à détacher son regard des traits de Lucien Dauvergne. Car ce cadavre souriait !

Delacroix, La liberté guidant le peuple, 1830

Niveau de satisfaction :
4.2 out of 5 stars (4,2 / 5)

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L’influenceur – Patrick Bauwen

Par Raymond Pédoussaut

Date de publication originale : 2024 – Albin Michel
Genre : Thriller
Personnage principal :
Lisa Leroy, assistante médicale et chroniqueuse littéraire

Lisa Leroy menait une vie tranquille : elle était assistante médicale dans une clinique de chirurgie esthétique pour gens riches et elle tenait sur les réseaux sociaux une modeste chronique littéraire. Elle était méprisée et souvent humiliée dans son travail, ses chroniques avaient un petit succès sur internet. Tout va changer avec le passage d’une mystérieuse dame en noir qui va lui proposer une autre vie. La dame en noir est Hazel Caine, agent de personnalité, qui se targue de fabriquer des stars de réseaux sociaux et de leur faire gagner beaucoup d’argent à condition de faire exactement ce qu’elle leur demande. Dans un premier temps Lisa refuse, mais Hazel Caine finit par la convaincre avec des arguments forts. Lisa devient donc une influenceuse connue, mais le prix à payer pour obtenir le succès est considérable.

Dans ce livre, Patrick Bauwen traite un sujet dans l’air du temps : le monde des influenceurs qui est avant tout celui des influenceuses. Leur rôle est de faire vendre les produits (de mode, beauté, tourisme, voyages …). Pour cela, elles créent des contenus, tels que vidéos, photos, commentaires, qui donnent à leurs followers[1] l’envie d’acheter. Certaines sont très bien payées pour cela. Bref, c’est la publicité moderne. Lisa Leroy, le personnage principal du roman devient ainsi une influenceuse importante passant en quelques jours de 260 followers à plus d’un million. Mais une si grande visibilité entraîne aussi son lot de haters[2]. Certains d’entre eux vont aller jusqu’au meurtre pour satisfaire leur haine. En plus de sa toute nouvelle célébrité, Lisa a la malchance de ressembler à une autre influenceuse dont la mort est restée suspecte. Ce qui lui vaut d’être enlevée par la mafia en plus de plusieurs agressions physiques.

La vie d’influenceuse vue par Bauwen n’est pas vraiment de tout repos ! Il y a beaucoup d’ingrédients dans ce roman : l’univers des influenceuses, un malade mental manipulé par un nain pervers, la mafia, le mauvais œil, un homme étrange appelé le rat blanc, des romances entre jeunes, des romances entre vieux. D’où l’impression que l’auteur a tellement corsé la recette que le plat en devient quelque peu indigeste.

À noter que tous les rôles principaux sont tenus par des femmes : les influenceuses, les femmes d’affaires, les médecins, même la sécurité est assurée par une femme. Les quelques hommes qui apparaissent sont soit des détraqués, soit des rôles de second plan.

Ce roman n’est pas une analyse profonde du monde des influenceuses sur internet, bien que ce microcosme soit décrit dans le cadre des aventures trépidantes d’une influenceuse qui n’en demandait pas tant. Le livre de Bauwen se place dans le domaine de la distraction plus que dans celui de l’étude sociale.

[1] Un follower est une personne qui suit les publications d’une autre personne sur les réseaux sociaux. On peut l’assimiler à un supporter ou un disciple.

[2] Haters désigne en anglais les personnes qui, en raison d’un conflit d’opinions ou parce qu’ils détestent quelqu’un ou quelque chose, passent leur temps à dénigrer des célébrités, des émissions de télévision, des films …

Extrait :
Si la chance pouvait tout vous donner, la malchance pouvait tout vous reprendre.

Sauf qu’on aurait dit qu’il y avait ici à l’œuvre quelque chose de plus sombre, de plus hideux, de plus malveillant. Un ou plusieurs individus, quelque part, avaient décidé que la malchance, ce serait eux. Ils s’étaient arrogé le droit de remettre les pendules à l’heure, d’incarner le destin et de frapper les orgueilleux mortels, tels de petits dieux jaloux les remettant à leur place. Et ils signaient leurs forfaits.
Évidemment, de tels individus ne pouvaient être que des grands malades, ou de pauvres types entraînés par un groupe. Mais après tout pourquoi pas ? Quand on possédait des millions de followers et de haters, n’était-il pas statistiquement probable que certains d’entre eux soient complètement détraqués ?

Influenceuses

Niveau de satisfaction :
3.9 out of 5 stars (3,9 / 5)

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Ne me remerciez pas – Martial Caroff

Par Michel Dufour

Date de publication originale : 2023 (Fayard)
Genre : Enquête
Personnage principal :
Franck Kestner, commissaire

À l’Institut européen des études climatiques à Paris, Jacques Gaubert est professeur de géologie. Au milieu d’un cours, il bafouille, titube et s’écrase, empoisonné mortellement. Le taux effarant d’acide domoïque trouvée dans les crustacés ingérés par le professeur suffit à signaler un meurtre. Sont suspects les chercheurs, professeurs et étudiants qui avaient accès au laboratoire.

C’est officiellement Paul Varenne, chef de groupe à la brigade criminelle de Paris, qui mène l’enquête mais, en réalité, c’est le chef de section Franck Kestner, respecté de tous, qui vient se mettre le nez dans l’affaire qui l’intéresse particulièrement. Or, il semble que Gaubert, suffisant et profiteur, autant de ses collègues que de ses étudiantes, était craint et haï de la plupart.  Surtout de Colin Lacourt, publiquement méprisé et ridiculisé. Suite aux entrevues, Colin apparaît surtout comme un bouc émissaire. Son collègue Vincent Béasse est gardé à vue, mais il tombe en dépression, perd tous ses moyens et se retrouve à l’hôpital. La jeune Piera avait été trahie par Gaubert mais peu de policiers la croient capable de commettre un meurtre. La directrice Pauline Josse détient bien des informations sur tout le monde et c’est peut-être ce qui explique qu’elle se fait assassiner. Son amie, la chercheuse Isabelle Theil-Eisen, est soupçonnée de ce meurtre mais il semble que, par la suite, elle se suicide.

Avant qu’il ne reste plus personne à soupçonner, le commissaire Kestner réunit son monde pour clarifier la situation : remarquable reconstitution à la Poirot ou à la Holmes.

Il s’agit d’un roman policier au sens classique du terme. C’est écrit avec simplicité et une touche d’humour. Un beau meurtre est commis; les principaux personnages sont convenablement présentés; l’enquête procède par entrevues et recherche de preuves; des rebondissements compliquent la vie des enquêteurs; mais, heureusement, l’un d’entre eux rassemble tous les fils et résout le problème. C’est bien fait, sans fioriture, avec ordre et méthode. Il ne manque qu’un certain zeste de piquant qui provoquerait chez nous quelque palpitation.

Extrait :
La poignée tourna sans bruit. La porte resta un long moment entrebâillée, puis elle s’ouvrit en grand. Une silhouette longea le mur de droite. Elle se plaça à la verticale de l’endormie à la coiffure étale. Les mèches sous les rayons obliques, animées par sa respiration, lâchaient des reflets de flammes. Des éclats proches de ceux d’un feu paisible comme dans les veillées d’antan. Un assassin normal aurait hoché la tête d’attendrissement. Il aurait rengainé son arme et serait sorti, penaud, après avoir empoché un livre ou une céramique pour se rembourser ses frais.
Mais la silhouette était d’un autre acier.
Un acier de lame…

Direction régionale de la police judiciaire de Paris

Niveau de satisfaction :
4 out of 5 stars (4 / 5)

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Descente – Lou Berney

Par Raymond Pédoussaut

Date de publication originale : 2023 (Dark Ride)
Date de publication française :
2024 – HarperCollins
Traduction (américain) :
Souad Degachi et Maxime Shelledy
Genre : Roman noir
Personnage principal :
Hardly Reed, jeune homme insouciant

Hardly était heureux. Le secret de son bonheur : une absence totale d’ambition. Il touche un petit salaire comme employé d’un parc d’attractions, il habite un ancien garage réaménagé, il fume de l’herbe en compagnie de deux amis aussi paumés que lui et il collectionne les contraventions. C’était avant qu’il ne rencontre dans un centre administratif dans lequel il venait demander un délai pour le paiement de ses contraventions, Pearl et Jack, deux gamins et sept et six ans. Outre leur regard absent, il remarque des marques de brûlure de cigarettes sur leur corps. Il s’agit d’enfants maltraités, il se sent alors tenu de faire quelque chose : signaler leur cas aux services de l’aide sociale à l’enfance, par exemple. Dépité, il constate l’impuissance de ces services en sous-effectif, mais il ne peut se résoudre à abandonner ces deux enfants à leur triste sort. C’est pour lui le début d’un engrenage qui l’amène à prendre des risques considérables pour sauver Pearl et Jack.

Ce roman est celui de la transformation d’un homme. Hardly était modeste, insouciant, content de son sort. Ne demande rien et tu ne seras pas déçu lui conseillait son père d’accueil, c’est devenu sa devise. Officiellement, son nom est Hardy Reed mais tout le monde l’appelle Hardly qui signifie « à peine, presque pas ». Ce garçon insignifiant va se transformer en un enquêteur tenace, coriace et efficace. Il en est d’ailleurs lui-même le premier étonné. C’est la première fois de ma vie que je suis quelqu’un de différent constate-t-il. Maintenant ce qu’il fait est important, c’est quelque chose qui a du sens. Malgré ses premiers échecs, il se sent plus vivant, plus utile, il ne regrette pas son ancienne vie. Et comme il constate qu’il est le seul à se préoccuper du sort des jeunes victimes, il continue à monter un plan de sauvetage, malgré le danger et les conseils de prudence de ses amis. Rien ne peut l’arrêter.

Dans son garage-appartement, Harly à une affiche représentant le tableau La Chute d’Icare dans lequel personne ne prête attention aux jambes nues d’Icare qui se débattent à la surface de l’eau. Tout autour les gens continuent leur activité, ignorant Icare en train de se noyer. Lui ne serait pas indifférent comme ces gens, il sauverait Icare comme il va sauver les enfants. On peut tout de même se demander par quel miracle ce jeune de 23 ans a été touché par la grâce, lui qui ne s’intéressait à rien d’autre que la fumette et les séries télévision, il va se sentir très concerné par la souffrance d’enfants aperçus dans un centre administratif, au point de prendre d’énormes risques pour leur venir en aide.

Avec humour, l’auteur nous tient en haleine avec les tergiversations, les doutes, les échecs, mais aussi les progrès, les victoires et finalement le changement de personnalité d’un homme qui au départ était un modèle d’antihéros. L’intrigue va crescendo pour se terminer en apothéose noire et sanglante. Descente est un bon roman noir, avec toutefois une réserve concernant la crédibilité douteuse du personnage principal.

Extrait :
Il y a une semaine encore, avant d’avoir vu Pearl et Jack assis sur ce banc, j’aurais sans doute été ce type-là. Mais pas aujourd’hui. Je ne plane pas, je ne dérive pas, je ne laisse pas l’univers décider de ma prochaine destination.

Qu’est-ce que j’en pense ? Je ne sais pas exactement. Je me sens éveillé. Ça, je le sais. Avant, de grands pans de ma vie s’évanouissaient dans l’éther, comme ces textos qu’on commence à écrire et puis qu’on efface sans les avoir enregistrés. La semaine qui vient de s’écouler, en revanche, avait de l’intensité, une forme tangible.

La Chute d’Icare de Pieter Bruegel – Détail

Niveau de satisfaction :
4.1 out of 5 stars (4,1 / 5)

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L’Ombre – Franck Ollivier

Par Michel Dufour

Date de publication originale : 2023 (Albin Michel)
Genre : Thriller
Personnage principal :
Nicholas Foster, profileur du FBI

Après les cent premières pages, j’ai failli abandonner le roman : cent pages pour décrire quelqu’un, c’est un peu long, même si le livre compte près de 600 pages. Puis, je me suis intéressé à ce personnage principal, le profileur Nicholas Foster, même s’il n’est pas très sympathique, parce qu’il semble brillant et supplanter tous les profileurs du FBI. Enfin, l’enquête finit par décoller.

Un tueur en série,  le prêtre Patrick Hollmann, a massacré plusieurs jeunes femmes au Wisconsin, en Indonésie (où il avait été envoyé par le Vatican) et à Rome. Il est instruit, brillant, charismatique; il séduit d’ailleurs son jeune admirateur Nicholas Foster, qui deviendra écrivain et profileur, et qui racontera d’ailleurs une partie de sa vie. Un seul problème, Hollmann a tendance à se prendre pour Dieu et à considérer l’accomplissement d’un meurtre comme la plus haute expression de la liberté, donc comme un acte voulu par Dieu. Il ira même jusqu’à tuer la conjointe de Nicholas. Exécuté en 1998, on découvre une quinzaine d’années plus tard une jeune femme, Myriam Lehren, assassinée et mutilée selon un modus operandi qui rappelle les victimes de Hollmann, y compris l’insertion dans son utérus d’une petite statuette de la méchante divinité indonésienne de Leyac.

Ce crime est bientôt suivi du meurtre de la journaliste Gina Bartoli qui préparait une série d’articles dévastateurs contre Foster. Elle est massacrée à son tour après une nuit passée avec Foster, qui devient le principal suspect, ce qui fait l’affaire des dirigeants du FBI qui souhaitent se débarrasser de lui. Seule son adjointe Michelle Ventura le soutient et continue l’enquête. Ce thème du poursuiveur poursuivi est habilement traité par Ollivier.

L’auteur ne manque pas de souffle et sait comment susciter l’intérêt. Il cède comme plusieurs à l’attrait pour le gore, mais on peut sauter aisément ces descriptions complaisantes. Ce qui m’agaçait un peu au cours de ma lecture, c’est l’ensemble des notions psychologiques pseudo-freudiennes qui cherchent à expliquer la supériorité de Foster comme profileur, sa capacité à se transporter dans la tête du tueur, qui n’a rien à voir avec les méthodes courantes. Tant que ces « explications » restent au second plan, ça reste supportable. Malheureusement, la finale semble montrer que cet aspect du roman importait plus à l’auteur que l’enquête proprement dite.

Extrait :
Pour la première fois, la vision d’un corps (Gina) le fragilisait intérieurement. Il avait été bouleversé par la vue de la dépouille de Lisa, mais les images avaient créé un choc existentiel plus qu’émotionnel, et le sentiment que ce meurtre avait changé sa vie avait pris le pas sur le traumatisme. Quant aux autres, toutes ces victimes qu’il avait observées minutieusement au cours de sa carrière, s’il ressentait leur douleur avec une acuité et une précision aiguës, c’était une sensation qui atteignait son cerveau, ses tripes parfois, mais jamais son cœur.
Sa véritable curiosité et son authentique empathie allait aux tueurs. C’était son inavouable secret. Il n’y pouvait rien (…).
Qui étaient-ils pour commettre ces horreurs que l’on qualifiait stupidement d’inhumaines? Quelles souffrances éprouvaient-ils pour avoir besoin de faire souffrir ? Pour trouver leur catharsis dans le crime ?

Niveau de satisfaction :
3.9 out of 5 stars (3,9 / 5)

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Je pleure encore la beauté du monde – Charlotte McConaghy

Par Raymond Pédoussaut

Date de publication originale : 2021 (Once There Were Wolves)
Date de publication française :
2024 – Éditions Gaïa
Traduction (anglais Australie) :
Marie Chabin
Genres : Écologie, roman noir
Personnage principal :
Inti Flynn, responsable du programme de réintroduction du loup en Écosse

Inti Flynn est Australienne et biologiste. Elle est responsable du Cairngorms Wolf Project, programme dont le but est la réintroduction du loup en Écosse. Lors de la présentation du projet à la population locale, l’équipe se heurte à l’hostilité des éleveurs qui ne comprennent pas qu’on veuille réintroduire des prédateurs dont leurs ancêtres ont risqué leur vie pour s’en débarrasser et qui vont maintenant de nouveau menacer leurs troupeaux. Quand Inti retrouve un homme mort en forêt affreusement mutilé, elle sait que les loups seront décrétés coupables. Pour les sauver, elle décide d’enterrer le corps et de ne rien dire. Mais si les loups sont hors de cause, qui a tué cet homme de cette horrible façon ? Inti va chercher à le savoir.

Inti a une sœur jumelle, Aggie, qui est mutique et reste cloîtrée dans sa maison. Inti doit s’occuper d’elle, devenue dépendante à la suite d’un violent traumatisme dont on ne connaîtra la teneur qu’en fin d’ouvrage. Aggie ne parle plus, les deux sœurs communiquent par un langage de signes inventé par Aggie. Les deux sœurs ont des relations fusionnelles exclusives décuplées par le fait qu’Inti est sujette à la synesthésie visuo-tactile. Il s’agit d’une affection neurologique qui fait qu’elle ressent physiquement ce qu’elle voit : elle est les autres pendant quelques instants, eux et elle ne font qu’un et leur douleur ou leur plaisir devient le sien.

Inti voue aussi une vraie passion aux loups. Elle a toujours voulu percer leurs secrets. Elle est fascinée par leur système de communication. Elle pense qu’ils peuvent sauver les forêts en rééquilibrant l’écosystème, comme ils l’ont fait aux États-Unis dans le Parc national de Yellowstone. Quand ils sont accusés à tort d’avoir tué un homme, elle n’hésite pas à faire disparaître le cadavre qui pourrait les accuser.

Un autre thème imprègne ce roman : les violences faites aux femmes. L’autrice montre des femmes qui vivent dans la peur sous l’emprise de maris violents sans que personne ne fasse quoi que ce soit pour les protéger.

Je pleure encore la beauté du monde est une fiction dense, écologique et féministe, elle aborde des thèmes aussi variés que l’équilibre de l’écosystème, la gémellité et les violences faites aux femmes. C’est un beau roman, plein d’émotions.

Extrait :
Des pancartes ondoient au milieu d’une clameur de mécontentement. Jusqu’à présent, Evan avait réussi à contrôler la salle mais le vent est en train de tourner rapidement.

Je me lève.
— Ce qui est dangereux, dis-je, c’est la propagation injustifiée de la peur.
L’éleveur se tourne vers moi, imité par une centaine d’autres visages. Sur la scène, le soupir exaspéré d’Anne aurait pu être drôle, dans d’autres circonstances.
— Si vous pensez réellement que les loups sont des bêtes sanguinaires, c’est que vous êtes aveugle. Parce que c’est nous qui sommes comme ça. C’est nous qui tuons les gens, les enfants. C’est nous les monstres.
Je me rassieds dans un silence pesant. Le froid paraît soudain plus mordant dans l’auditorium.

Niveau de satisfaction :
4.3 out of 5 stars (4,3 / 5)

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Le sniper, le Président et la triade – Chang Kuo-Li

Par Michel Dufour

Date de publication originale : 2022
Date de publication française :
2022 (Folio, Gallimard)
Traduction (mandarin) :
Alexis Brossollet
Genre : Thriller
Personnages principaux :
Inspecteur Wu et capitaine Ai Li (Alex Lee)

C’est un roman dépaysant, non pas parce que l’action se situe à Taipei, mais à cause de la composition de l’histoire. Les Chinois de Taipei, qui semblent tenir à vivre dans une démocratie libérale, ne paraissent pas très différents de nous, Français ou Québécois, même si les mets chinois dont ils se gavent sont moins américanisés. Mais la façon dont l’auteur raconte l’histoire est originale et déconcertante : le plus souvent, on est plongé dans une scène d’action, ou une conversation, sans trop savoir ce qui s’y joue; les détails et les explications viendront après. Procédé qui a pour effet d’intriguer le lecteur et d’exiger sa plus grande concentration.

Quelques jours avant les élections, le Président Hsü Huo-sheng est blessé à l’abdomen et s’écroule dans sa jeep qui venait de s’engager dans la rue Huayin. Son convoi est désorganisé, des policiers surgissent de partout, le bruit des pétards se confond avec les bruits d’une arme à feu, la fumée abondante nuit à la visibilité. Pendant que le Président est hospitalisé et qu’on le soigne pour une égratignure bénigne (sept points de suture) à l’abdomen, les forces de l’ordre imaginent qu’il y avait deux tireurs, un avec un flingue bricolé, l’autre avec un long fusil. On retrouve les balles tirées par le pistolet mais pas l’arme elle-même; et on retrouve les étuis des cartouches qu’aurait tirées le fusil mais pas les balles. Le premier tireur aurait été derrière la Jeep; le Président aurait donc dû être atteint dans le dos plutôt qu’au ventre. Le tireur au fusil, étant posté au cinquième étage, aurait dû atteindre le Président  à la tête ou aux épaules.

Deuxième bon problème : comme le Président sortant était précédé, dans les sondages, par le candidat Hu Yen-po, est-ce un homme du Président qui aurait perpétré l’attentat pour attirer la sympathie des électeurs en faveur le Président ? Ou est-ce plutôt le camp du candidat qui aurait préféré tuer le Président, ce qui est plus décisif que les sondages ?

Et, comme cet attentat semblait requérir une bonne organisation, serait-ce un membre des triades qui serait intervenu pour punir, aux yeux de tous, quelqu’un qui n’aurait pas honoré une promesse, ou pour favoriser un candidat plus facilement manipulable ?

Hu Yen-po engage l’ex-inspecteur Wu, maintenant retraité de la police et détective pour une compagnie d’assurance, pour trouver les auteurs de l’attentat afin qu’aucun doute ne subsiste dans la population quant à sa participation à cette tentative d’assassinat. Wu sera aidé par Alex (capitaine Ai Li) qui a intérêt à savoir qui a cherché à le compromettre dans l’attentat contre le Président et semble s’efforcer maintenant de le faire arrêter comme principal suspect, ou de le faire disparaître tout simplement. Comme les forces policières ne sont pas subventionnées par les mêmes bailleurs de fonds, les suspects désignés ne sont pas nécessairement les mêmes; mais Alex semble convenir à tout le monde. On s’apercevra, cependant, que ce n’est pas une proie facile.

Beaucoup de monde dans ce roman; heureusement, le lecteur dispose d’un petit tableau des principaux personnages auquel on a intérêt à se référer souvent. Beaucoup d’action aussi, beaucoup de mystères. Et un sens de l’humour quasi surréaliste qui permet de traverser tous ces drames avec un certain sourire. C’est peut-être un peu long, mais c’est original, intelligent et rafraîchissant.

Extrait :
Les présidents d’assemblée, les ministres changent, l’administration ne change pas. L’appareil de l’État est aux mains des hauts fonctionnaires. À chaque élection ou remaniement tout le monde se rue sur des postes de ministre, mais Johnny voyait plus loin, il avait décidé de focaliser sur l’élevage des fonctionnaires, et plus tard il garderait ainsi la main sur les choses importantes.
Le pouvoir et la fortune sont complémentaires. La fortune vous permet d’obtenir le pouvoir, et la finalité du pouvoir, c’est la fortune. Les hauts fonctionnaires n’ont pas de positions aux noms ronflants, ne détiennent pas le pouvoir. Mais ce sont eux qui l’exercent.

Taipei

Niveau de satisfaction :
4.4 out of 5 stars (4,4 / 5)

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Birnam Wood – Eleanor Catton

Par Raymond Pédoussaut

Date de publication originale : 2023 (Birnam Wood)
Date de publication française :
2024 – Buchet-Chastel
Traduction (anglais Nouvelle-Zélande) :
Marguerite Capelle
Genres : Thriller politique, roman noir
Personnages principaux :
Mira Bunting, horticultrice – Robert Lemoine, milliardaire sans scupules – Tony Gallo, militant anti-capitaliste

À Christchurch en Nouvelle-Zélande, Birnam Wood est le nom d’une association locale qui crée des jardins bio et durables dont la production bénéficie aux gens les plus démunis. Mais l’association n’a pas de terrains, elle plante dans des friches, des lieux publics, mais aussi sur des terres privées à l’insu des propriétaires. Mira Bunting est la fondatrice de l’association, c’est elle qui s’occupe de trouver les espaces qui deviendront des jardins. C’est en prospectant sur le site d’un projet de lotissement abandonné qu’elle se retrouve nez à nez avec le futur propriétaire : Robert Lemoine, milliardaire à la tête d’une importante société de fabrication de drones. Après un premier échange tendu et plein de surprises, Lemoine accepte que Mira cultive un jardin en cet endroit et même mieux : il se propose de le financer. Ce n’est pas tant l’intérêt qu’il porte à ces plantations de légumes, c’est plutôt qu’il y voit une bonne couverture pour son propre projet d’une tout autre dimension, mais bien sûr Mira l’ignore.

L’intrigue démarre gentiment en nous montrant les activités d’une bande de jeunes qui jardinent où ils le peuvent. Ils sont anti-capitalistes, idéalistes, avec des idées de partage et d’entraide. Entre eux il y a des discussions animées, parfois des désaccords et des fâcheries. L’arrivée du milliardaire Lemoine va changer radicalement leur quotidien. Il paraît ouvert et sympathique, il est apprécié et il apporte l’argent qui permettrait à l’association d’atteindre une dimension plus importante. Mais cet homme se livre à une autre activité, secrète et illégale, qu’un des membres de Birnam Wood va découvrir. L’intrigue s’accélère alors et le récit vire à la fois au thriller haletant et au roman noir dans une partie finale assez terrifiante.

Les personnages sont complexes. Les filles de Birnam Wood (Mira et sa copine Shelley) passent de l’enthousiasme au doute, elles sont changeantes et pleines de contradictions. Tony Gallo est un militant anti-capitaliste engagé, mais son discours enflammé passe mal auprès des autres membres de l’association. Lui n’est pas sensible au charisme du milliardaire et il est bien déterminé à découvrir ce qu’il cache, mais il n’a pas la puissance et les ressources de son ennemi. Le riche Robert Lemoine a un grand sang-froid et ne se détourne jamais de son objectif, quel que soit le prix à payer pour l’atteindre. À travers ce personnage cynique et manipulateur, l’autrice montre l’appropriation sans scrupules des ressources naturelles par les ultra-riches.

Birnam Wood est un roman étonnant avec une intrigue originale et des personnages solides. Il débute comme une gentille fable écologiste et se termine en un crescendo impitoyable en tragédie dans la plus grande noirceur. C’est un thriller politique dense et captivant.

Extrait :
Non : les millions agités par Lemoine paraîtraient désormais aussi offensants qu’obscènes, une façon de bafouer la mémoire de son mari, un affront envers elle. Elle ne se contenterait pas de revenir sur la vente, ce qui était encore tout à fait en son pouvoir : elle le traînerait très probablement en justice. L’affaire ferait la une des journaux. Ils passeraient des années à faire des allers-retours dans les tribunaux. Ce serait public, ce serait délétère, et ça ferait : un foin d’enfer. Et qu’adviendrait-il pendant ce temps là de la mine de Korowai, des mercenaires qui attendaient ses instructions, de tout leur matériel de traitement, et surtout, de ce filon mère de terres rares ? Non, se dit à nouveau Lemoine, secouant la tête de façon quasi imperceptible, le
menton posé sur les cheveux de Mira, Non : il ne pouvait pas risquer que Jill Darvish découvre la vérité »…, ce qui signifiait que la vérité allait devoir changer.

Niveau de satisfaction :
4.3 out of 5 stars (4,3 / 5)

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La Cage, l’empoisonneuse – Hervé Gagnon

Par Michel Dufour

Date de publication originale : 2024  (Hugo Jeunesse)
Genre : Thriller
Personnage principal :
Seamus O’Finnigan, constable

Hervé Gagnon a une formation d’historien et ça paraît dans la plupart de ses romans, aussi bien ses romans policiers qui se passent à la fin du XIXe siècle (j’ai lu avec plaisir tous les Joseph Laflamme) que ses romans plus ésotériques. C’est le premier roman pour la jeunesse que je lis avec une certaine curiosité : d’abord, qu’est-ce qui caractérise un roman pour la jeunesse ? Puis, quelle est la part de la dimension historique dans ce roman ?

C’est plus facile de dire ce que n’est pas ce roman pour la jeunesse : ce n’est pas un roman à l’eau de rose, ni un roman manqué pour adulte. Gagnon ne travaille pas dans la dentelle; son histoire raconte des événements violents; il fait partie de ceux qui pensent qu’il n’est jamais trop tôt pour prendre conscience que la vie n’est pas un jardin de délices. Ou il se souvient simplement que, adolescent, comme plusieurs autres, il avait déjà constaté que, si la vie est un cadeau, ce cadeau est souvent empoisonné. Quant à la dimension historique, l’action se déroule à Montréal de 1851 jusqu’en juillet 1852 au moment où un incendie gigantesque a ravagé le quart de la ville. Gagnon désigne les principaux bâtiments et on voit les personnages se déplacer dans le faubourg Saint-Laurent. Quelques maisons, en bois à cette époque, notamment celles où demeure le constable O’Finnigan, sont décrites en détail.

Le titre La Cage se réfère à la fameuse cage dans laquelle la Corriveau, condamnée à mort et pendue en 1763, a été exposée et laissée à pourrir. Découverte en 1851 dans un cimetière, cette cage a inspiré plusieurs récits fantastiques. Dans le roman de Gagnon, elle pousse aux crimes ceux et celles qui la frôlent. L’auteur s’inscrit dans la suite des Philippe Aubert de Gaspé, Fréchette et Beaulieu, qui ont exploité ce filon.

O’Finnigan lui-même en sera victime après y avoir été enfermé par Eugénie Lachance qu’il poursuit sans relâche après qu’elle l’eût empoisonné et quasiment tué. Cette poursuite est d’ailleurs le thème du roman. Le policier est physiquement très diminué, mais on le charge quand même de protéger un petit garçon dont la mère (la Dubuc) a tué son mari après avoir été contaminée par la cage. Eugénie, alliée à la Dubuc, les retrouvera et, malgré le soutien de quelques collègues policiers, parviendra presque à éliminer définitivement O’Finnigan.

Le roman, bien construit, se lit tout seul. L’intrigue est moins complexe et les personnages moins nombreux que dans un roman pour adulte, mais rien n’est négligé. Gagnon ne cherche pas à dissimuler la violence du monde dans lequel on vit, mais cette violence peut être combattue par la solidarité des amis et par le courage de ceux qui sont pris pour se battre. L’auteur connaît le métier et sait comment maintenir l’intérêt du lecteur : les méchantes sont vraiment méchantes et le bon, de plus en plus affaibli, finira par atteindra son but, « content d’avoir servi à quelque chose ».

Extrait :
La créature qui se dressait devant O’Finnigan n’avait plus grand-chose d’humain. Même sans l’épaisse fumée, elle aurait été méconnaissable. Son visage ravagé n’était plus qu’une plaie ouverte et suintante. Ses lèvres, son nez, ses paupières et ses oreilles avaient été cruellement mutilées par les flammes. Ses cheveux roussis avaient entièrement disparu du crâne à la chair boursouflée et fendue de blessures purulentes (…). De toute évidence, elle n’avait échappé à la mort dans la rue des Commissaires que par quelque miracle ou par une inflexible volonté nourrie par la folie.

Eugénie Lachance se tenait immobile, les jambes écartées, la tête penchée sur le côté, assurément incapable de la redresser en raison de la peau de son cou qui semblait avoir rétréci. Elle le regardait fixement sans battre des paupières et O’Finnigan eut l’impression que, sur ses lèvres déformées par l’enflure, se formait une obscène imitation de sourire (…).
Dégoûté, O’Finnigan résista à l’envie de reculer. Il était incapable d’éprouver la moindre pitié pour cette fille qui avait empoisonné ses propres parents et combien d’autres innocents encore, qui l’avait réduit à l’état de loque et qui l’avait torturé. Au contraire, il espérait qu’elle avait souffert le martyre et qu’elle en souffrirait encore plusieurs fois avant de crever lentement.

Niveau de satisfaction :
4 out of 5 stars (4 / 5)

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Qui après nous vivrez – Hervé Le Corre

Par Raymond Pédoussaut

Date de publication originale : 2024 – Rivages
Genres : post apocalyptique, anticipation
Personnages principaux :
Marceau et son fils Léo – Nour et sa fille Clara

C’est le chaos. Le point de non-retour climatique a été franchi en 2032. Une pandémie a fait cent millions de morts dans le monde. En ce milieu du XXIe siècle, une coupure définitive de l’électricité a précipité l’effondrement. Dans un paysage de désolation marqué par les incendies, un père et son fils, une mère et sa fille, ont trouvé refuge dans une maison délabrée au milieu des forêts calcinées. Le répit est de courte durée : la maison est attaquée par une bande de pillards. Le père est blessé, la fille enlevée. La mère réussit à ramener sa fille, mais ils doivent fuir, d’autres bandes armées peuvent arriver à tout moment. Dans un monde dévasté où le danger est partout, tous les quatre vont cheminer à destination d’une communauté qui aurait réinstallé un embryon de société, ils ont entendu d’autres réfugiés en parler. C’est un long et périlleux voyage, mais peut-être trouveront-ils là-bas un peu de paix et de sécurité. Peut-être …

Voilà, c’est arrivé ! Ce n’est pas faute d’être prévenus par les scientifiques et les experts du climat, mais les puissants et les riches avaient choisi d’ignorer les alarmes et continué de jouir de leur domination. Dans un monde où la civilisation a disparu, où il n’y a ni lois, ni justice, ni organisation sociale, c’est la loi du plus fort qui s’impose, celle des barbares, des groupes armés, des pillards qui violent et tuent. L’avenir se limite au lendemain, les nuits sont sans sommeil, la peur et l’angoisse permanentes.

Le décor n’est que maisons abandonnées, villages désertés, arbres morts, forêts calcinées, ponts effondrés, routes défoncées. Bref, la dévastation. Quelques photos et des vidéos retrouvées sur de vieux téléphones montrent le monde d’avant qui émerveille toujours. Ça paraît si loin, mais c’était il y a un siècle seulement (l’action se situe vers 2120). Dans cet environnement terrible, l’auteur met en scène un groupe de quatre personnes qui est confronté à des situations difficiles, ils doivent s’adapter, combattre, résister, ils s’aiment aussi et préservent un peu d’humanité. Les femmes occupent un rôle de premier plan, c’est par elles que passent les valeurs de protection et de résistance. Elles sont aussi un peu sorcières, elles pressentent les évènements avant qu’ils arrivent, elles se transmettent ce don de mère en fille.

Le titre du livre est tiré du poème la Ballade des pendus de François Villon :
Frères humains, qui après nous vivez,
N’ayez les cœurs contre nous endurcis …
(le présent a été remplacé ici par le futur).

Dans ce roman, qu’on n’espère pas prémonitoire, Hervé Le Corre nous montre ce que serait notre vie après la catastrophe qui s’annonce. C’est un avertissement sur ce qui nous attend si nous continuons à ne rien faire. Lecture éprouvante, mais salutaire.

Extrait :
– Qui nous ? Toute la fin du siècle dernier et au début de celui-ci les alertes ont été données, sonnées, gueulées. Il fallait changer de logique, cesser la fuite en avant de l’avidité, de la rapacité des puissants de ce monde qui saccageaient la planète et les peuples par tous les moyens possibles. Catastrophes climatiques, famines, pandémies, guerres. La misère et la barbarie partout. On voyait chaque jour le monde imploser mais on était trop peu nombreux à se rebeller. Les gens s’imaginaient qu’ils échapperaient au pire. Ils achetaient des climatiseurs, des téléphones neufs, ils prenaient des avions, ils regardaient les guerres sur leurs écrans, soulagés qu’elles se déroulent loin d’eux, pleurnichant de temps à autre sur les malheurs du monde pour mettre à jour leur bonne conscience. Pendant ce temps perdu, les maîtres de ce monde-là conduisaient à pleine vitesse vers le bord de la falaise et nous demandaient à nous, pauvres cons, de retenir le bolide pour l’empêcher de basculer. Ils pensaient peut-être qu’ils parviendraient à sauter en marche et quelques-uns ont dû le faire… À cette heure, il en reste probablement quelques-uns dans des forteresses en Norvège ou en Alaska, va savoir, gardés par leurs milices.

Niveau de satisfaction :
4.3 out of 5 stars (4,3 / 5)

Publié dans Français, Remarquable, Science-fiction | Laisser un commentaire

Les sentiers obscurs de Karachi – Olivier Truc

Par Michel Dufour

Date de publication originale : 2022 (Métailié)
Genres : Thriller (?), psychologique, géographique
Personnage principal :
Jef Kerral, journaliste

Au sens très large, on pourrait dire que c’est un thriller mais, pour moi, c’est plus un roman psychologique et sociologique. À Karachi, en 2002, un attentat à la bombe tue onze ingénieurs français de la DCN (Direction des constructions navales, depuis 2017 la Naval Group) qui travaillaient à la mise au point d’un sous-marin acheté par le gouvernement du Pakistan; trois Pakistanais ont été tués également; et on compte parmi les blessés quatorze Français et six Pakistanais. L’enquête n’a jamais rien donné, sinon qu’on sait que des pots-de-vin auraient été versés à de hauts fonctionnaires et auraient servi, entre autres, à financer la campagne électorale d’Édouard Balladur.

Quand Jef décide de partir enquêter à Karachi, on pourrait donc penser que ce qui l’intéresse c’est de faire toute la lumière sur cet attentat. De fait, il finira par y jeter quelque lueur. Mais son objectif est plutôt de comprendre ce qui a mis fin à l’amitié entre Marc Dacian, technicien de la DCN et Shaheen Ghazali, ingénieur dans la marine pakistanaise. Il ne parle pas la langue du pays et il ignore les coutumes de même que les relations entre le politique et le religieux; il sera donc aidé par la jolie et méfiante Sara Zafar, lieutenante de vaisseau, interprète dans la marine pakistanaise et fille du docteur Firaq Zafar, qui vit maintenant retiré après avoir été l’ami de Shaheen Ghazali.

Jef décrit surtout la ville de Karachi, ses embouteillages, ses odeurs agressives, ses habitants fermés et soupçonneux. Des attentats sont commis régulièrement et la police et les services de sécurité sont partout présents. Les étrangers sont particulièrement visés et Jef est fouillé pratiquement à chaque sortie de sa chambre, qui est elle aussi passée au crible. Jef et Sara se rapprochent sur le plan émotif même s’ils savent qu’ils n’ont pas d’avenir; mais ils ont en commun leurs relations difficiles avec leur père qu’ils accusent plus ou moins de lâcheté. Jef finira par rencontrer Ghazali et comprendre un peu ce qui s’est passé, la raison probable de l’attentat qui s’est produit vingt ans plus tôt, et les événements complexes qui ont entraîné la quasi-rupture entre Marc et Shaheen.

Ce roman est une sorte d’hommage aux amis Pakistanais de l’auteur, sans lesquels « ce roman n’aurait jamais vu le jour ». Ça ne donne toutefois pas le goût de visiter le Pakistan.

Extrait :
Devrait-il transformer Shaheen en héros de roman ? Au risque de tomber dans le lyrisme, de dénaturer sa vérité, de trahir ? De trahir comme Claude avait trahi Marc, comme Shaheen avait trahi Firaq, comme Nazia avait trahi Sara ? Et lui, Jef Kerral, le chevalier blanc comme le singeait Grégoire, qui avait-il trahi ? Ou qui était-il en train de trahir ?

Karachi

Niveau de satisfaction :
3.9 out of 5 stars (3,9 / 5)

Publié dans Français, Moyen, Psychologique, Thriller géographique | Laisser un commentaire

L’été d’avant – Lisa Gardner

Par Raymond Pédoussaut

Date de publication originale : 2021 (Before She Disappeared)
Date de publication française :
2024 – Albin Michel
Traduction (américain) :
Cécile Deniard
Genre : Enquête
Personnage principal :
Frankie Elkin qui s’est donné pour mission de retrouver des personnes disparues

Frankie Elkin s’est trouvé une mission dans Mattapan, le quartier noir de Boston. Comme elle doit passer quelque temps dans cet endroit, elle se fait embaucher comme barmaid, elle propose de travailler contre un logement. Frankie est spécialiste des affaires de disparition, la nouvelle mission qu’elle s’est attribuée est de retrouver une jeune fille de quinze ans, d’origine haïtienne, qui s’est volatilisée à la sortie du lycée, il y a onze mois et personne ne l’a revue depuis. La police a enquêté sans résultats. Ce qui complique la tâche de Frankie, c’est que son nouveau terrain d’enquête est un quartier dangereux, surtout pour une femme blanche, il y règne la délinquance et les trafics, mais cela ne la décourage pas.

Dans ce roman, Lisa Gardner met en scène une enquêtrice pas banale. Frankie Elkin s’est spécialisé dans la recherche de personnes disparues qui n’ont pas été retrouvées alors que la police a abandonné les recherches et que les médias ont oublié l’affaire. La plupart des cas concernent des minorités, comme ici à Boston, c’est une fille d’une famille haïtienne qu’elle a choisi de retrouver. Mais ce qui est le plus étonnant c’est que Frankie ne demande rien en échange de ses investigations, elle travaille bénévolement. Elle considère que c’est son devoir de faire cela, elle n’est absolument pas intéressée par l’argent ni par aucune récompense. Quand elle a choisi sa mission, elle va s’installer dans la ville où a eu lieu la disparition, elle y travaille, souvent comme barmaid, car c’est le job le plus facile à trouver, et dans son temps de libre elle enquête. Sans moyens, sans outils technologiques sophistiqués, mais avec sa méthode à elle qui consiste à être la bonne personne qui pose les bonnes questions. Méthode rudimentaire, mais d’une redoutable efficacité puisqu’en neuf ans elle a retrouvé quatorze personnes. Aucune vivante et c’est ce qui la mine. Dans ce dernier cas, elle veut absolument ramener la fille vivante, elle en a besoin. Frankie est un loup solitaire, elle travaille seule. Elle collabore avec la police et la tient informée de ses découvertes, mais elle ne se soumet à aucun ordre, aucune injonction, elle n’en fait qu’à sa tête, ce qui la met parfois dans des situations périlleuses. Autre caractéristique de Frankie: c’est une alcoolique en voie de guérison. Elle est abstinente depuis neuf ans, mais elle est encore soumise à de violentes tentations de boire. Et pour compléter le tableau de cette enquêtrice hors du commun, elle est traumatisée par un évènement de son passé et elle fait des crises d’angoisse. En résumé, Frankie Elkin est un mélange complexe de force, de détermination, de courage et de faiblesses qui la rendent par moment très vulnérable.

L’intrigue est basée sur la personnalité de Frankie Elkin et de son enquête minutieuse où les avancées se font à petits pas, mais de façon inexorable vers le résultat final. À l’occasion, l’autrice nous dépeint le quartier noir défavorisé de Mattapan à Boston.

Ce roman met en scène une drôle d’enquêtrice, très attachante, dans une recherche de disparue passionnante. L’été suivant étant le premier volume d’une nouvelle série, on retrouvera ce personnage singulier dans les tomes suivants.

Extrait :
Je m’appelle Frankie Elkin et je me suis donné pour mission de retrouver des personnes disparues. Quand la police a baissé les bras, que les médias ne s’y sont jamais intéressés, que tout le monde a oublié, c’est là que j’interviens.
Je prends ma valise. Je descends les escaliers.
Et je disparais.

Niveau de satisfaction :
4.3 out of 5 stars (4,3 / 5)

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