Le prix de l’orgueil – Anne Perry

Par Michel Dufour

Date de publication originale : 2020 (Death with a Double Edge)
Date de publication française : 2021 (10/18)
Traduction (anglais) :
Florence Bertrand
Genre : Enquête
Personnage principal :
Daniel Pitt, avocat

Daniel Pitt est requis pour identifier un cadavre sauvagement assassiné, parce que sa carte de visite avait été trouvée dans la poche du manteau de la victime : il s’agit de Jonah Drake, avocat principal chez fford Croft et Gibson, un collègue de Daniel, mais qui a trente ans d’expérience. Il est parvenu il y a quelque temps à faire innocenter le jeune Evan Faber, fils du millionnaire Erasmus Faber, magnat de la construction navale, qui était accusé d’avoir assassiné Marie Wesley, une courtisane dont il était l’amant. Daniel, assisté de son collègue et ami Toby Kitteridge, se livre à une sorte d’enquête pour savoir ce que le très distingué Drake faisait en pleine nuit dans cet endroit malfamé du Mile End. La réputation du bureau d’avocat est en jeu, et on ne peut pas trop compter sur le patron Marcus fford Croft, qui semble sur son déclin, manque de concentration et manifeste quelques trous de mémoire. La police ne semble plus intéressée à dénicher le véritable coupable et l’enquête doit demeurer discrète afin d’éviter que le bureau ne soit compromis. Puis, le jeune Faber est à son tour assassiné et son cadavre est découvert dans le même quartier. On s’est moins acharné sur son corps mais la même arme semble avoir servi. Survient un troisième meurtre.

Jusque là, Thomas Pitt, père de Daniel et directeur de la Special Branch, ne s’est pas trop impliqué, mais l’enlèvement de Charlotte, son épouse, lui force un peu la main. Daniel et Kitteridge tentent de déchiffrer les notes de Drake, pendant que Thomas Pitt puise dans ses informations et utilise quelques contacts. On parvient au même résultat. On part à la recherche de Charlotte et du criminel qui se cache derrière tous ces meurtres.

Au départ, le problème est intéressant parce que mystérieux : qu’est-ce que Drake allait faire dans ce quartier malfamé ? Pourquoi s’est-on acharné sur lui ? Est-ce que Marcus est impliqué ? Y a-t-il un rapport avec le procès qu’il a gagné en innocentant Evan Faber ? Et pourquoi Faber est-il tué à son tour ? Mais, pendant plus de la moitié du roman, Daniel n’arrête pas de se poser les mêmes questions sans qu’on avance d’un pas. Et lui-même est plus hésitant que jamais. Ça devient franchement irritant, d’autant plus que les personnages sont peu nombreux; donc, on retrouve toujours les mêmes qui se posent toujours les mêmes questions.  On s’ennuie du « vrai » Pitt, de Monk et même d’Elena. Sauf que, à partir du chapitre 11, où Charlotte se fait enlever et où William décide d’intervenir, il devient difficile de lâcher le roman. Le rythme s’accélère, le suspense s’intensifie, l’affrontement décisif se prépare et les comptes se règlent. On vient de retrouver l’indestructible Anne Perry, alors que les 200 premières pages pouvaient laisser croire que c’était foutu. Ce qui est certain, c’est que Daniel a encore besoin de son père !

Extrait :
Il faisait encore grand jour quand Thomas Pitt arriva chez lui, bien qu’il fût six heures du soir. Le lendemain serait le premier jour de juin.
Il remonta la courte allée qui menait à la porte d’entrée, remarquant à peine les fleurs épanouies. Les jaunes et bleus du printemps avaient cédé la place aux couleurs éclatantes des freesias.
Il glissa sa clé dans la serrure et ouvrit la porte.
Charlotte l’entendrait et viendrait l’accueillir, comme toujours. Peut-être était-ce cela que « rentrer à la maison » voulait dire. Non pas le retour dans le logis familier, mais Charlotte qui venait à sa rencontre.
Hou, hou ! appela-t-il.
Un silence lui répondit, suivi de bruits de pas dans l’entrée. Des pas rapides, différents de ceux de Charlotte. Minnie Maude accourait, la consternation sur ses traits.
C’est vous, monsieur… s’écria-t-elle.
Qu’y a-t-il ? demanda Pitt, saisi d’une crainte soudaine, absurde. Il est arrivé quelque chose ?
La servante était agitée, visiblement inquiète.
Je ne sais pas, monsieur. Lady Pitt est allée se promener ce matin et je ne l’ai pas vue depuis. Cela m’ennuie d’appeler Mrs Emily pour lui demander si elle est là-bas. Ce n’est pas à moi de le faire, mais ce n’est pas dans les habitudes de Madame de sortir sans nous prévenir, la cuisinière et moi…
Elle se tut, redoutant d’avoir outrepassé son rôle.
Ce matin ? répéta-t-il, perplexe. Et elle ne vous a pas dit à quelle heure elle reviendrait?
Non, monsieur…
Elle ne vous a rien dit ?
Minnie Maude secoua la tête.
Non, monsieur…

Le Mile End au début du XXe siècle

Niveau de satisfaction :
4 out of 5 stars (4 / 5)

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Le lac de nulle part – Pete Fromm

Par Raymond Pédoussaut

Date de publication originale : 2022
(Lac Nowhere)
Date de publication française : 2022 – Gallmeister
Traduction (américain) :
Juliane Nivelt
Genre :
Aventures
Personnages principaux :
Trig et Al, frère et sœur jumeaux

Après deux ans sans contact avec ses enfants, Bill leur propose une nouvelle aventure, comme autrefois, quand il n’était pas encore séparé de son épouse, et qu’ils étaient alors quatre. Ses enfants sont des jumeaux, prénommés Trig, comme trigonométrie, pour le garçon et Al, comme algèbre, pour la fille. Bill était professeur de mathématiques. Trig vient de perdre son emploi, il vit pour l’instant dans sa voiture. Al est installée à Denver où elle multiplie les partenaires sexuels. Les jumeaux acceptent la proposition de leur père, surtout pour se retrouver ensemble tous les deux. Ils vont passer un mois à naviguer en canoë sur les lacs du parc provincial Quetico au Canada. Ce qui inquiète un peu les jumeaux c’est qu’on est fin octobre, c’est un peu tard pour faire du canoë. Bill balaie cette réserve d’un : « Si tu attends un beau jour, tu attends toujours ». Malgré quelques incidents de dernière minute concernant les bagages, les voilà repartis à l’aventure, comme au bon vieux temps.

L’auteur met en scène une expédition à trois, un huis clos à ciel ouvert. Si les jumeaux s’entendent parfaitement, on s’aperçoit rapidement que quelque chose ne colle pas avec le père. D’abord ils le trouvent bizarre : alors que c’est un aventurier confirmé, qu’en général il se prépare méticuleusement ne laissant rien au hasard, cette fois il semble perdu et absent et pas vraiment prêt pour un tel périple. Les jeunes n’arrêtent pas de s’interroger sur le but et les raisons de ce voyage qui leur semble précipité. Quand ils questionnent leur père, celui-ci élude, noie le poisson. En plus de ne pas connaître le trajet prévu, ils n’ont pas de cartes. Le père se borne à affirmer qu’ils vont faire une grande boucle. La méfiance s’installe entre le père et ses enfants. Elle devient même de l’hostilité, surtout entre Bill et sa fille Al. Entre le frère et la sœur, c’est l’occasion de se souvenir de leur enfance, mais plus étonnant, de découvrir des évènements douloureux que l’une a vécus et que l’autre ignorait.

Les premiers jours se passent bien, il fait beau. Mais quand les températures commencent à baisser, que le brouillard, le vent, la pluie et le froid s’installent, les conditions de navigations deviennent difficiles. Elles empirent au fil des jours quand arrivent la neige et la glace. La gentille expédition récréative se transforme en opération de survie.

L’auteur montre un grand talent pour nous dépeindre ce périple et son évolution. Nul doute qu’il a lui-même pratiqué ce genre de randonnée aquatique, tant ses descriptions sont précises et détaillées. Il nous plonge en pleine nature, sur les lacs, dans les forêts. Il nous fait ressentir pleinement l’humidité, le froid, les abris précaires, le réconfort du feu et la fragilité humaine quand les éléments deviennent hostiles.

Dans ce roman d’aventures très bien réalisé, Pete Fromm introduit dans sa partie finale le mystère et le doute, ingrédients du roman policier classique. La qualité de l’écriture (et de la traduction) ainsi qu’un humour subtil mais bien présent sont les autres qualités de ce récit. Le lac de nulle part est un livre hautement recommandable.

Extrait :
Je me fraye un passage jusqu’au lac, retire mes moufles afin de me livrer à mes ablutions matinales, contemple la surface sombre et statique. Dieu merci, des volutes de brume flottent au-dessus de l’eau. Le lac est trop vaste pour geler en une nuit. De la glace borde le rivage, craquelle sous ma chaussure, une bonne nouvelle à laquelle je me raccroche quand je regagne le camp, arrachant des aiguilles et des branches au passage, du bois d’allumage. Soudain, je tombe sur le jackpot, un bouleau mort encore sur pied, gris et dépourvu d’écorce, ses branches n’attendent que moi. Je rassemble de quoi construire un feu, réchauffer la froidure cosmique, éclairer la pénombre d’une petite lueur. Bientôt, il y aura la gamelle, le café. Mais pour l’instant, seule la perspective de cette petite lueur me retient à la planète.

Parc provincial Quetico, Ontario, Canada

Niveau de satisfaction :
4.5 out of 5 stars (4,5 / 5)
Coup de cœur

 

 

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Dracula fait maigre – Stuart Kaminsky

Par Michel Dufour

Date de publication originale : 1980 (Never Cross a Vampire)
Date de publication française : 2000 (10/18)
Traduction (américain) :
Simone Hilling
Genre : Enquête
Personnage principal :
Toby Peters, détective privé

Formé en journalisme, lettres et cinéma, Kaminsky est marqué par la nostalgie de l’âge d’or du cinéma hollywoodien. C’est dans ce milieu que travaille son détective privé Toby Peters, pour lequel il a écrit 24 romans. D’où sa tendance à intégrer dans ses histoires des personnages que le cinéma ou la littérature des années 40 et 50 nous ont fait connaître. Dans ce cas-ci, il sera question de Bela Lugosi, l’incarnation paradigmatique du vampire, et de William Faulkner, l’auteur de Sanctuaire et de Le bruit et la fureur.

Nous sommes en 1942 à Los Angeles. La guerre rend difficile la vie des Américains qui bataillent ferme contre les Japonais. C’est particulièrement vrai pour Toby Peters, détective privé fauché et mal foutu, qui n’hésite pas à accepter deux affaires en même temps : d’abord, tenter de démasquer le harceleur qui envoie des lettres de menaces (et même une chauve-souris empaillée) à Bela Lugosi; puis, essayer de disculper William Faulkner d’une accusation de meurtre.

Les menaces contre Lugosi proviennent apparemment d’un des membres des Chevaliers noirs de Transylvanie, un groupe de jeunes vampires en herbe, qui se rencontrent de temps en temps pour se raconter des histoires, probablement noires; Peters enquêtera sur chacun d’entre eux. L’accusation contre Faulkner semble mal partie pour lui, parce que l’épouse du mort et le mort lui-même le désignent comme l’assassin. Peters devra mettre plus d’énergie sur cette affaire compliquée où il risquera sa vie plus d’une fois. Croyant avoir découvert le véritable assassin de l’agent littéraire Jacques Shatzkin, Peters le retrouve victime d’un pieu enfoncé au milieu de son corps. Pendant un instant, on a l’impression que les deux enquêtes se recouperont. Élucidant le mystère Faulkner et écartant la supercherie du pieu injustement soupçonné, Peters désigne la personne responsable du meurtre de Shatzkin et confond celui qui cherchait à effrayer Lugosi.

Heureux, Faulkner et Lugosi promettent à Peters de lui régler ses honoraires plus tard…

D’abord, on a bien affaire à un Bela Lugosi vieillissant et non à Dracula; ce n’est pas un roman d’horreur. Au contraire, il s’agit même d’un roman plutôt léger, assaisonné de quelques pointes d’humour, dans un style qui rappelle, en un sens, les romans hard boiled de l’après-dépression, de Chandler et de Dashiell Hammett, par exemple, avec qui Kaminsky était d’ailleurs ami. Même genre, en effet, de détective magané, fauché, assez intelligent, malchanceux avec les femmes, mais honnête et tenace. Le contenu qu’on pourrait considérer comme violent est atténué par le comportement décontracté du détective dont la victoire finale n’est jamais mise en doute. Pour les amateurs de littérature noire et de films policiers hollywoodiens, c’est certain que la fréquentation de légendes comme Bela Lugosi et William Faulkner est un plus véritable. C’est d’ailleurs devenu la marque de commerce de Kaminsky que de nous faire connaître de l’intérieur (pourrait-on dire) les grandes vedettes de Hollywood.

Kaminsky parvient à éviter la monotonie des interrogatoires successifs en introduisant beaucoup d’action et en insistant sur la vie personnelle du détective, attachant du fait qu’il est un peu comme tout le monde, vulnérable mais résilient. Un certain humour, gris plutôt que noir, fait aussi partie des armes de l’auteur, et tient un peu le lecteur à distance. D’où la légèreté de l’ensemble, plutôt que le choc émotif. En résumé : un roman plaisant.

Extrait :
– Je comprends vos sentiments, dis-je en grattant le bout de mon crayon pour dégager un peu de mine.
Malheureusement, continua Faulkner d’une voix douce, je n’ai pas besoin de sympathie. J’ai besoin de l’aide d’un professionnel. Mon inclination me porte simplement à me mettre en colère et à demander qu’on me libère, mais on dirait que quelqu’un a veillé à ce que ce soit impossible.
Vous voulez dire qu’on vous a piégé ? dis-je pour rester dans la conversation.
Considérez l’alternative, reprit-il. Ou bien c’est ça, ou bien je suis devenu fou, ce qui, certes, est possible, étant donné l’état du monde, mais je doute que ma folie aille se manifester en attaquant un agent littéraire. Il serait beaucoup plus vraisemblable que j’attaque un éditeur.

Bela Lugosi

Niveau de satisfaction :
4 out of 5 stars (4 / 5)

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Skaer – Philippe Setbon

Par Raymond Pédoussaut

Date de publication originale : 2022 – Éditions du Caïman
Genre :
Thriller
Personnage principal :
Skaer, ancien militaire

Skaer avec sa stature puissante et compacte, sa barbe broussailleuse et ses multiples cicatrices, impressionne et inspire la crainte. Il vit à l’écart dans un petit village basque. Il ne fréquente personne, il n’a ni télévision, ni téléphone, ni ordinateur. Il vit comme un sauvage, en autarcie. Un jour, son bel isolement est rompu quand une jeune femme et sa fille s’installent dans la maison la plus proche de sa cabane. Il est contrarié, mais il l’est encore plus quand débarque un homme, le mari, qui ne tarde pas à brutaliser la mère sous les yeux de sa fille. Skaer n’aime pas ça, il décide de régler ce problème à sa façon. Cela l’amènera à sympathiser avec ses nouvelles voisines, surtout avec Celestia, la fille de 10 ans, qui n’a pas la langue dans sa poche, ni ses yeux. Pour Skaer, la vie en ermite est finie.

Dès le début du roman, on se pose beaucoup de questions sur le personnage de Skaer. L’homme entretient une forme physique au plus haut niveau, n’a aucun contact avec les gens, essaie de ne pas se faire remarquer et est en permanence aux aguets. L’auteur dévoile ensuite que cet homme a subi une formation très dure, dans une unité militaire spéciale qui en a fait une redoutable machine à tuer. Reste des questions : Pourquoi se cache-t-il dans ce coin perdu ? Pourquoi cette obsession de rester invisible ? Bien sûr les mystères entourant Skaer seront levés petit à petit.

L’homme a appartenu à une armée de l’ombre, sans identité officielle, sans passé, sans existence. Mais avant de disparaître des radars, Skaer avait une histoire. Il avait même une presque sœur, Justine, avec qui il a été élevé dans un foyer d’accueil. Les deux gamins s’étaient mutuellement aidés, ils avaient grandi ensemble. Justine était le seul être humain que Skaer ait jamais aimé. Justine a eu un fils qui a été enlevé et tué comme quatre autres enfants de cette région. Finalement, Skaer ne s’est peut-être pas installé dans cet endroit tout à fait par hasard.

Outre le terrible Skaer, nous trouvons d’autres personnages pittoresques : le capitaine de police Paul Bourgonges, un vieux garçon dégingandé, qui s’occupe de son père atteint Alzheimer. Burgondes n’est pas satisfait de sa vie et il n’a pas confiance en lui. En outre il culpabilise de n’avoir pas pu arrêter l’assassin d’enfants qui a fait cinq victimes. Il formera une improbable équipe avec Skaer sur une affaire qui leur tient à cœur à tous les deux. Contrairement au policier, Skaer ne s’embarrasse pas de procédures et du respect des lois, ses méthodes sont violentes, mais très efficaces. La petite Celestia n’a que 10 ans, mais elle est drôlement futée, elle a déjà une maturité étonnante, un grand courage et un sens de l’observation aiguisé.

Dans une intrigue bien construite, Philippe Setbon campe des personnages impressionnants par leur force ou attachants par leur fragilité dans ce remarquable thriller plein de mystères, d’action et de suspense.

Extrait :
À chaque question, le visage de Skaer lui apparaissait. Ce masque raturé de griffures, enseveli sous les cheveux et les poils, ces yeux d’hypnotiseur. Et cela la rassurait. Jamais Skaer ne permettrait qu’on lui fasse du mal. N’avait-il pas sauvé Maman de la sauvagerie de son mari… Car Celestia en avait toujours été persuadée : Skaer avait bel et bien tué son père. Pour les protéger elle et Maman. C’était sûr et certain. Il avait vu par la fenêtre ce que Wim faisait subir à sa propre famille et il avait décidé de le punir.

Campagne du Pays Basque

Campagne du Pays Basque

Niveau de satisfaction :
4.3 out of 5 stars (4,3 / 5)

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La maison sans souvenirs – Donato Carrisi

Par Michel Dufour

Date de publication originale : 2021 (La Casa Senza Ricordi)
Date de publication française : 2022 (Calmann-Lévy)
Traduction (italien) :
Anaïs Bouteille-Bokobza
Genre :
Noir
Personnage principal :
Pietro Gerber, hypnotiseur

J’ai déjà lu Malefico et Tenebra Roma, que j’appellerais des polars d’ambiance aux problèmes compliqués et aux enquêtes peu convaincantes. Ce qu’il nous reste, par exemple, de Tenebra Roma, c’est la ville de Rome à la fois incendiée et inondée. Carrisi ne nous gagne pas par la subtilité de ses enquêteurs ni par la sympathie qu’on éprouverait pour ses personnages, trop nombreux pour qu’on s’y attache. Il compte surtout sur l’atmosphère trouble qui nous suit même une fois qu’on a terminé le roman.

C’est certainement encore le cas cette fois-ci. Une mère et son fils disparaissent dans les bois. On retrouve leur voiture, mais impossible de savoir où ils sont passés. Huit mois après, le jeune Nico (12 ans) est retrouvé par une éleveuse de chevaux. Elle le ramène chez elle; le jeune ne parle pas et semble complètement perdu. On le confiera au psychologue pour enfants et hypnotiseur Pietro Gerber, dit « l’endormeur d’enfants ». Alors que Nico semble avoir avoué le meurtre de sa mère, Pietro n’en croit pas un mot, et va s’efforcer de comprendre ce qui s’est vraiment passé. D’intuitions en convictions, il finit par conclure que l’ado est sous l’emprise d’un autre hypnotiseur d’enfants, qui parle en lui. Et qui finit par contaminer tout l’entourage de Gerber sans qu’on sache exactement pourquoi et encore moins comment. Gerber lui-même semble avoir été piégé par le grand affabulateur, de sorte que ses certitudes fondent en même temps que notre compréhension.

C’est ici que les appréciations des lecteurs se divisent en deux groupes : ceux et celles que l’irrationalité stimule en auront pour leur argent. Ceux et celles qui aiment bien les mystères dans la mesure où on finit par les éclaircir resteront sur leur faim.

Extrait :
Avec qui avait-il parlé au téléphone, pendant tout ce temps ? La question le taraudait, mais la réponse était aussi simple que la plus simple des ruses. Dans son esprit, la voix de l’affabulateur était devenue celle de Silvia. Évidemment.
En arrivant chez lui, Gerber n’avait même pas retiré son imperméable. Il s’était assis à sa place habituelle sur le canapé, dans le noir, devant le téléviseur éteint.
Son portable à la main.
Après avoir vérifié une dizaine de fois le numéro de son ex-femme dans son répertoire, il avait dû se résigner à l’évidence.
Ce n’était pas le bon.
Quand l’avait-il substitué à l’autre ? Pietro ne doutait pas qu’il l’avait fait lui-même. Sa volonté avait été contournée, enjambée, éludée.
L’endormeur d’enfants avait été endormi.

Valle dell’Inferno

Niveau de satisfaction :
3 out of 5 stars (3 / 5)

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La chance d’une vie – John Grisham

Par Raymond Pédoussaut

Date de publication originale : 2021 (Sooley)
Date de publication française : 2022 – Éditions Jean-Claude Lattès
Traduction (américain) :
Carole Delporte
Genres :
roman social, sport
Personnage principal :
Samuel Sooleymon (Sooley) jeune Sud-Soudanais, basketteur

Le Soudan du Sud est ravagé par des guerres ethniques, des gangs attaquent, dépouillent et violent. Dans les moments d’accalmie, le jeune Samuel Sooleymon se livre à sa passion : le basket. Le jeune homme est repéré par un recruteur qui lui propose de jouer dans un tournoi qui aura lieu aux États-Unis sous l’œil des recruteurs universitaires. Tandis que Samuel, avec l’appui de son mentor, intègre l’équipe universitaire des Eagles de Durham, son village du Soudan est attaqué par des pillards. Son père est tué, sa sœur enlevée, sa mère et ses deux frères réussissent à s’enfuir, ils finiront dans un camp de réfugiés en Ouganda. Pendant ce temps, Samuel commence une brillante carrière de basketteur universitaire. Il devient même une célébrité sous le surnom de Sooley. Il est sur le point de passer professionnel et de jouer dans la fameuse National Basketball Association (NBA). Pour lui, c’est la popularité et un fabuleux contrat qui va le rendre riche. N’ayant connu jusqu’alors que la pauvreté, Sooley à 18 ans à peine, se voit offrir la chance de sa vie, mais est-il prêt pour la gloire et la fortune ?

John Grisham nous dépeint deux mondes aux antipodes l’un de l’autre : d’une part les camps de réfugiés où se retrouvent des populations affamées et en haillons et d’autre part le monde du sport universitaire aux États-Unis où des étudiants privilégiés bénéficient de bourses pour suivre les études tout en pratiquant le sport, ce qui pour les plus doués les mènera à une carrière professionnelle lucrative.

La partie consacrée au Soudan du Sud et au camp de réfugiés de Rhino en Ouganda est explicite : la misère et le dénuement sont clairement montrés et rendus palpables par un texte clair et précis. Dans la partie États-Unis, il y a la description de nombreux matchs de basket, l’auteur utilise alors de nombreux termes techniques dont le sens paraîtra obscur à tous ceux qui ne connaissent pas ce sport : alley-oop, swish, lay-up, dunk … Carole Delporte, la traductrice, probablement pas aussi passionnée de basket que l’auteur, a dû en baver pour retranscrire en français le récit des matchs basket. Parmi les particularités du sport universitaire américain, il y a la draft qui s’apparente à une gigantesque foire aux bestiaux où les équipes professionnelles font leur marché parmi les meilleurs jeunes joueurs des universités. Bref, il vaut mieux être américain et fan de basket pour pleinement apprécier.

Malgré la misère et la pauvreté qui règne au Soudan, Grisham nous brosse un monde assez lisse et plein de bons sentiments : les humanitaires sont dévoués et efficaces, les infirmières sont compréhensives, les coachs sont tous humains et se préoccupent sincèrement du bien-être et de la réussite des joueurs, Sooley est très bien traité et considéré comme l’enfant adoptif d’une famille d’accueil généreuse. Même les policiers sont aimables avec les noirs ! Mais, dans cette société bienveillante, le danger est malgré tout présent, il est d’une tout autre nature que celle que connaissait jusqu’alors Sooley.

John Grisham a écrit de nombreux livres, classés dans des catégories variées : romans historiques, judiciaires, sud rural des États-Unis, jeunesse. Ce n’est pas la première fois qu’il aborde le sport dans ses romans : Le dernier match et La Revanche traitaient du football américain, Calico Joe du baseball et dans ce dernier, du basket.

La chance d’une vie tout en étant captivant peut aussi être ressenti rébarbatif pour les non-sportifs ou ceux qui ne s’intéressent pas et ne comprennent rien au basketball.

Extrait :
Il s’empara d’un maillot, le modèle qu’il avait montré à l’équipe en avril.
— Vous l’avez déjà vu. C’est un simple maillot gris avec un short assorti. Pas de logo. Pas de nom dans le dos. Rien qui dise « Regardez-moi ». Nous enfilerons ces tenues simples pour ne pas oublier les origines humbles de notre peuple. Elles nous rappelleront constamment d’où nous venons. Et lorsque nous nous distinguerons sur le terrain, et que l’on nous demandera pourquoi nous portons des vêtements aussi communs, nous leur répondrons fièrement que nous sommes sud-soudanais. Notre pays est jeune et pauvre, mais nous en ferons une belle et grande nation.

Niveau de satisfaction :
4 out of 5 stars (4 / 5)

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Maple – David Goudreault

Par Michel Dufour

Date de publication originale : 2022 (Stanké)
Genre :
Polar Trashicomique[1]
Personnage principal : Maple, péripatéticienne bien mûre

Récemment sortie de prison, Maple doit maintenant résider dans une maison de transition. Or, dans son quartier d’Hochelaga-Maisonneuve, sévit un tueur en série qui s’attaque aux prostituées, les forçant à manger leurs doigts et à mourir étouffées. Maple craint que les policiers ne prennent pas trop au sérieux le meurtre de prostituées et décide d’enquêter elle-même.

Défavorisée par la discipline qu’impose une maison de transition et par le policier Beaudoin qui mène l’enquête, Maple peut compter sur la communauté des travailleurs et travailleuses du sexe de son quartier. Pour la plupart, son âge (57 ans) et sa réputation (six ans de prison pour avoir agressé un policier) lui valent d’être perçue comme une sorte d’héroïne ou, au moins, de personnage respectable. Quand elle passera à l’attaque, ça sera plus facile pour elle de mobiliser des troupes motivées et débrouillardes. L’enquête est malgré tout assez complexe. Dans le milieu, bien des bizarres de mecs peuvent être suspects : le Chinois qui tient un dépanneur et mange des « doigts de dame » dissimulés sous son comptoir ? Pierre-André, un travesti à l’ancienne, opportuniste et douteux ? Ti-Ness, un ancien militaire expulsé de l’armée, joueur compulsif qui ne manque pas d’argent? Ou, pire, le beau Claude Lamoureux, son amant actuel ? Ou quelques autres ?

Des messages anonymes dans une enveloppe où on a inséré des ongles apparemment arrachés lui ordonnent de cesser son enquête. Maple prend ça pour des encouragements : « Donc, je suis sur une bonne piste! » Mais, peu après, Claude et elle se font arrêter, lui comme assassin et elle comme complice. Et quand elle finit par se libérer du poste de police, le « Ficeleur d’Hochelaga » parvient à lui mettre la main dessus. Ce n’est pas sans dommage qu’elle se sortira de là. Elle connaît maintenant le tueur. L’affrontement sera sans merci.

Même si ce résumé de l’enquête est conforme, ce n’est pas l’essentiel. L’originalité du roman tient au langage de l’auteur. Les habitants de l’Est de la ville, particulièrement les prostitué(e)s mâles et femelles et les gens du milieu, parlent de cette façon, même si on peut dire que Goudreault beurre épais. Dans le meilleur des cas, on dirait un Michel Tremblay contaminé par Jacques Prévert. Du genre : « Je suis une jouisseuse, moi. Si j’étais cul-de-jatte, j’arriverais encore à prendre mon pied ». Ou encore : « Les hommes de peu de mots ont tendance à tenir parole ». Le lecteur est agréablement surpris par les rebondissements de l’intrigue tout autant que par les jeux de langage. Puristes et grenouilles de bénitier auraient intérêt à s’abstenir.

[1]  L’expression est de l’auteur. Trash : d’un goût douteux

Extrait :
On a trouvé le corps dans une bouche d’égout, devant le stade olympique. Enroulé dans une bâche en plastique, sous un complexe enchevêtrement de cordes et de nœuds, évidemment. La commentatrice annonçait déjà, « sous toutes réserves », que ce quatrième cadavre était lié à la série de meurtres désormais attribués au « Ficeleur d’Hochelaga ». Ce surnom était apparu dans La Presse quelques jours plus tôt, adopté aussitôt par la communauté journalistique. Le pseudonyme sonnait moins bien que l’Étrangleur de Boston ou le Dépeceur de Montauban, mais il gardait le mérite de nous situer dans la méthode et la région. La brunette y allait ensuite des classiques « terreur dans le voisinage », « sentiment d’insécurité dans la population » et le sempiternel « les forces de l’ordre veulent éviter une psychose générale, et assurent une présence accrue dans les rues de blablabla… ».

Hochelaga-Maisonneuve

Niveau de satisfaction :
4 out of 5 stars (4 / 5)

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3666 Km (à quelques mètres près) – Ludovic Merian

Par Raymond Pédoussaut

Date de publication originale : 2022 – Librinova
Genre :
Thriller
Personnages principaux :
Luc Hanson et sa fille Lana

Septembre 1966, banlieue de Chicago.
Dans la famille Hanson, Elizabeth la mère, a disparu. Trois semaines après, son mari Luc et sa fille Lana reçoivent une lettre  dans laquelle Elizabeth affirme avoir rencontré un autre homme avec qui elle veut refaire sa vie. La lettre est postée de Springfield. Le père et la fille décident de partir pour Springfield afin d’essayer de ramener la mère. Dans cette ville, une nouvelle lettre les attend contenant une énigme à résoudre pour continuer la poursuite. D’autres indices vont les amener sur la mythique route 66. C’est à son terme à Santa Monica, en Californie, qu’ils espèrent trouver les explications à cette étrange escapade. Cette traversée des États-Unis d’est en ouest sera difficile et éprouvante pour Luc et Lana.

Les deux personnages principaux de ce roman sont un père et sa fille. Ils partent sur les traces de l’épouse et mère disparue. Mais au lieu de se soutenir et s’entendre, ils se méfient l’un de l’autre. Entre eux il y a beaucoup de mensonges, de non-dits et de suspicion. Ils sont souvent en conflit. Tous deux ont également un côté obscur et changeant qui fait qu’on ne sait pas à quoi s’en tenir avec eux.

L’auteur semble s’être livré à un exercice de style ayant pour objectif de maintenir le lecteur dans l’incertitude. Il a construit une intrigue où rien n’est clair, où la vérité d’un jour est remise en question le lendemain. Les indices sont donnés au compte-gouttes pour faire durer artificiellement l’histoire. En contrepartie, on ressent un certain manque de naturel dans le déroulement chaotique des évènements. Les répétitions d’énigmes sont agaçantes. On se demande pourquoi Elizabeth et Lana s’acharnent à faire passer leurs messages sous la forme de devinettes plutôt que d’écrire en clair. On ne voit pas bien ce que cela apporte, à part d’introduire de façon factice encore plus de mystère dans une trame déjà bien ténébreuse. Mais le pire est la partie finale où tout devrait s’éclairer. Au lieu de ça, le thriller bascule dans le roman fantastique. La résolution de l’énigme de la disparition d’Elizabeth devient totalement invraisemblable et abracadabrante.

Autre désagrément : le texte est parsemé de fautes d’orthographes ou de frappe. Il semble ne pas avoir été relu.

Si je suis loin d’être emballé par ce roman, je constate, au vu de quelques critiques que j’ai pu lire, que d’autres y ont trouvé du plaisir et de la satisfaction. Tant mieux pour eux, tant pis pour moi qui ne suis pas de ceux-là.

Extrait :
En vérité, Luc n’avait pas fermé l’œil depuis le départ de Flagstaff mais juste fait semblant, occupé à retourner en tous sens la situation dans sa tête. Alerté par l’étrange mensonge de sa fille concernant l’envoi d’une soi-disant lettre à son ancienne amie, il avait déroulé le fil de leurs huit jours passés ensemble et du comportement parfois étrange de Lana. À chaque fois il avait mis ça de côté, comme s’il n’y avait rien à voir de particulier : sa fille était une ado et donc par définition avec des comportements illogiques. Mais tout de même… Maintenant qu’il les repassait un par un en revue, il trouvait que la liste était longue et l’ensemble donnait une impression étrange, voire inquiétante. Que ce soit son cri dans la chambre d’hôtel à Saint-Louis, sa perte de connaissance à Devil’s Elbow, ses pertes d’appétit certains soir, sa disparition au marché aux bestiaux d’Amarillo, ses hurlements au feu rouge à Tucumcari, son attitude bizarre sur le pont du Rio Grande à Albuquerque ou ses regards étranges qu’elle lui lançait parfois, tout ça n’était pas ce que l’on pouvait qualifier de normal. Ce n’était pas juste les réactions excessives d’une adolescente. Il y avait forcément quelque chose d’autre, mais quoi ?

Niveau de satisfaction :
3 out of 5 stars (3 / 5)

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Chaîne de glace – Isabelle Lafortune

Par Michel Dufour

Date de publication originale : 2022 (XYZ)
Genre :
Noir
Personnage principal :
Émile Morin, Directeur des enquêtes criminelles (SQ)

Isabelle Lafortune aime bien les gens de la Côte-Nord. Pas surprenant qu’on découvre un cadavre près de Havre-Saint-Pierre, sur le site de la centrale hydroélectrique La Romaine : un Chinois dont les lèvres ont été cousues. Dans ses vêtements, on a glissé un message incitant le monde (« bandes d’abrutis ») à se méfier de l’Empire du Milieu qui « vole et pollue la planète et notre territoire ». Ce Chinois, c’est Taï Zhan, vice-président et directeur des opérations et du marketing de la compagnie BitChain. Or, BitChain est une division de l’important conglomérat PowerChain, dont le fondateur est le père de Taï Zhan. Les rapports entre cette compagnie chinoise et Hydro-Québec ne sont pas innocents.

Le directeur des enquêtes criminelles, Émile Morin, son ami Giovanni Celani et la profileuse Camille Labelle mèneront l’enquête. Le père de Taï Zhan, Taï Lian, entouré d’hommes de main redoutables, veut aussi savoir qui a tué son fils. Il soupçonne un cadre important d’Hydro-Québec, Jonathan Dumont, avec qui son fils entretenait des relations pas très claires. Et Dumont disparaît justement. Et on le retrouve bientôt assassiné.

Pendant ce temps, Sam, l’ami de Giovanni et Émile, a été enlevé par Gary Lindman, le grand actionnaire de la Métald’Or, compagnie sur laquelle Émile avait enquêté quelques années plus tôt. Sam, Gary et Margaret, spécialiste des arts martiaux, qui avait été la garde du corps de Taï Zhan, sont réfugiés dans un bunker souterrain et suivent les événements. Sam craint pour sa vie, même s’il ne comprend pas très bien ce qu’il fait là, et c’est Gary qui semble surtout sur le point de disparaître. Émile enquête en même temps sur cette disparition.

Puis, Angelune, la fille d’Émile qui la couve comme un bébé, est en train d’organiser avec son ami Karl, un écolo radical, une manifestation à Havre-Saint-Pierre. Émile est d’autant plus inquiet que, pour lui, Karl est un faux-jeton, qu’une empreinte de bottes qu’Angelune prétend avoir égarées a été retrouvée près du corps de Taï Zhan, et qu’une bombe éclate au moment de la manifestation.

Deux éléments sont introduits, peut-être pour nous aider à y voir plus clair, peut-être pas : d’abord, les dates indiquées au début de plusieurs chapitres, et qui désignent plusieurs retours en arrière; puis, les citations et les références à Spinoza dont la compréhension n’est pas aisée. Ajoutés à plusieurs fausses pistes et à un grand nombre de personnages, ces éléments ne rendent pas la partie facile pour le lecteur.

L’auteure répète son amour pour la région et les habitants où l’action se déroule, mais le roman est moins sociologique que le précédent. On se préoccupe davantage des crimes et des recherches pour éclaircir les situations. La thématique elle-même des vols d’informations techniques et scientifiques dont est victime Hydro-Québec est bien d’actualité. Mais l’essentiel se perd dans un fatras de détails qui déroutent enquêteurs et lecteurs. Parmi ces diversions, les sombres introspections de nos enquêteurs et leurs sentiments d’hommes immatures nous empêchent d’embarquer facilement dans cette histoire.

Extrait :
L’énervement de même que l’intolérance sont des émotions qui s’entretiennent bien. C’est comme une drogue : plus on critique, plus on a envie de critiquer. Ça fait du bien sur le coup, on s’exprime, ça donne l’impression d’avoir compris le sens de l’existence, de mettre le doigt sur quelque chose, mais cette illusion ne dure qu’un moment. Je crois que c’est l’expression de quelque chose qui nous échappe et peut-être également le reflet de la déception qu’on peut éprouver par rapport à soi, sans doute rehaussée par l’inéluctable incapacité à façonner notre monde selon nos idéaux.
Je ne jetterais pas la pierre à Émile : j’étais contaminé par cette morosité aussi. Nous avons assurément besoin d’un peu plus de lumière dans nos vies et je n’étais pas exactement certain que l’accumulation de morts s’avérait une bonne thérapie.

La Romaine

Niveau de satisfaction :
3 out of 5 stars (3 / 5)

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L’un des nôtres – Larry Watson

Par Raymond Pédoussaut

Date de publication originale : 2013 (Let Him Go)
Date de publication française : 2022 – Gallmeister
Traduction (américain) :

Élie Robert-Nicoud
Genre :
roman noir
Personnages principaux :
George et Margaret Blackledge, parents d’un fils décédé et grands-parents d’un garçon dont ils sont séparés

Septembre 1951 dans le Dakota du Nord.
Margaret et George Blackledge ont perdu leur fils qui s’est tué en tombant de cheval. Par la même occasion ils ont vu s’éloigner leur petit-fils, la veuve de leur fils s’étant remariée avec un autre homme. Margaret soupçonne cet homme de maltraiter l’enfant. Elle décide, seule, de partir récupérer le gamin, mais elle propose quand même à son mari de l’accompagner. George accepte et les voilà partis en voiture pour le Montana où sont installés leur ancienne belle-fille et son compagnon. Arrivés sur place, à Gladstone, ils se rendent dans la famille Weboy dans laquelle leur petit-fils est accueilli. Quand ils font part de leur projet, ils se heurtent à l’opposition de Blanche Weboy qui dirige tout le clan Weboy. Ce refus n’entame pas la détermination de Margaret qui va insister et essayer de convaincre son ex-belle-fille de revenir avec son fils vivre avec elle et George. Cela va déplaire au plus haut point à la tribu Weboy et particulièrement à Blanche qui va leur faire savoir de la façon la plus brutale.

L’auteur nous présente d’abord le vieux couple des Blackledge. Margaret est une femme déterminée qui sait ce qu’elle veut. Ainsi elle prépare seule son expédition de récupération de Jimmy, leur petit-fils, car elle est persuadée qu’il est malheureux dans sa nouvelle famille. Elle prépare tout : la voiture, les provisions, les vêtements … et quand tout est prêt, alors là seulement elle demande à son mari de l’accompagner, s’il le souhaite. Mais avec lui ou seule, elle partira, c’est décidé. George est un ancien shérif, maintenant à la retraite. C’est un taiseux qui garde pour lui ce qu’il pense. Il ne se plaint jamais et ne s’épanche guère. Il a plus de recul sur les évènements que sa femme. C’est un calme, mais quand il se décide à agir il fait alors preuve d’une grande détermination. Leur longue vie en commun est marquée par le double drame de la mort de leur fils et de la séparation avec un petit-fils adoré. La mort du fils est irrémédiable, il n’y a rien à y faire si ce n’est l’accepter, par contre la séparation du petit-fils Margaret la refuse d’autant plus qu’elle est persuadée que le garçon est maltraité.

L’intrigue débute calmement avec les états d’âme de ce couple de soixantenaires et l’on commence à penser que l’histoire risque de paraître longue si la suite est de la même veine. Mais tout change lors de l’arrivée à Gladstone dans le Montana et la confrontation avec le clan Weboy. Le roman devient alors plus nerveux, il y a de la tension du suspense et de l’action. On est alors en plein western moderne dans lequel, dans un premier temps, les femmes fortes, les grand-mères, s’affrontent férocement, avant que les hommes ne s’en mêlent. On ne voit pas passer le reste du livre. L’un des nôtres s’avère être un excellent roman noir.

Ce livre est une traduction de l’édition originale de 2013, parue aux États-Unis sous le titre de Let Him Go. Cette œuvre a fait l’objet d’une adaptation cinématographique du même nom par Thomas Bezucha avec comme principaux interprètes : Kevin Costner (George Blackledge), Diane Lane (Margaret Blackledge) et Lesley Manville (Blanche Weboy).

Extrait :
Si vous le dites. Bill Weboy regarde, au-delà de George, Margaret qui ouvre la porte de la voiture. À partir comme ça, comme des voleurs, vous blessez Blanche. Elle ne le dira pas mais je le vois bien.

La blesser ? Elle, la blesser ? Margaret laisse la porte ouverte et se précipite vers Bill Weboy. La faible lumière de la voiture la suit. On a fait tout ce chemin pour voir notre petit-fils – notre petit-fils, pas le sien ! – et elle nous accorde deux minutes avant de chasser Jimmy comme un chien qui aurait pissé sur son précieux lino.
Bill Weboy lève les mains au ciel. Du calme, madame. Restons polis. Je suis sûr que Blanche serait heureuse de vous accueillir à nouveau. Mais elle fait beaucoup d’efforts pour mettre Donnie et Lorna sur le droit chemin. Ces deux-là ils ne savent pas vraiment ce que c’est que d’élever un gamin. Si on les laissait faire, il resterait debout jusqu’à pas d’heure et il mangerait de la glace au petit déjeuner.
Et elle vous a envoyé ici pour arrondir les angles ?
Ha ! Si vous croyez ça, c’est que vous ne connaissez pas Blanche Weboy. Elle n’en a rien à faire d’arrondir les angles pour qui que ce soit.

Bande annonce du film L’un des nôtres de Thomas Bezucha (2020)

Niveau de satisfaction :
4.3 out of 5 stars (4,3 / 5)

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