La cité hantée – Preston & Child

Par Michel Dufour

Date de publication originale : 2021 (Bloodless)
Date de publication française : 2022 (L’Archipel, J’ai lu)
Traduction (anglais, États-Unis) :
Sebastian Danchin
Genre :
Thriller
Personnage principal :
Pendergast

J’ai beaucoup aimé Preston et Child il y a une vingtaine d’années, et l’inspecteur Pendergast me plaisait assez, même si je ne lui prêtais pas l’intelligence de Sherlock, comme l’auraient sûrement souhaité les auteurs. Les décors étaient audacieux, les personnages intéressants, et l’enquête bien menée. Puis, ça s’est un peu gâté : dès Fièvre mutante (2011), ce n’était plus des couleuvres qu’il fallait avaler, plutôt des boas constrictors. Depuis ce temps, j’en lis un de temps en temps pour voir où ils en sont. Le dard du scorpion (2021) n’était pas mauvais. Et La cité hantée commence bien.

Dans cette ville mystérieuse de Savannah en Géorgie, des corps sont découverts vidés de leur sang. Ce qui réveille chez les habitants la légende du vampire de Savannah et qui amène dans cette petite ville l’inspecteur Pendergast, sa pupille Constance et son adjoint le jeune Coldmoon. Quand on découvre d’autres cadavres encore vidés de leur sang jusqu’à la dernière goutte, le mystère s’épaissit, d’autant plus que la façon dont ils ont été transportés du lieu du crime jusqu’au lieu de leur découverte est difficilement explicable. Les enquêteurs ne croient pas à des interventions surnaturelles et ne se laissent pas distraire par la réputation de la ville.

Un lien intéressant paraît exister entre un habitant de cette ville et un incident inexpliqué qui s’est produit cinquante ans plus tôt, quand un certain D. B. Cooper a détourné un avion, empoché 200 000 dollars, sauté en parachute, et n’a jamais été retrouvé. Pendergast parvient à éclaircir cette relation, ce qui le met sur une bonne piste. Pendant ce temps, l’équipe de tournage du cinéaste fouineur Barclay Betts, s’enfonçant gaillardement dans une crypte du cimetière, semble se faire massacrer par un monstre de nature inconnue.

Pendergast n’est pas au bout de ses peines.

L’atmosphère de mystère qui plane sur ce récit n’est pas désagréable. Les auteurs aiment bien flirter avec des événements apparemment irrationnels. On sait déjà que Constance a subi dans le passé une opération qui semble l’empêcher de vieillir. Mais, en général, ça s’arrête là, et le brillant inspecteur du FBI nous explique rationnellement les dessous de l’affaire. Un gros oiseau méchant qui écorche ses victimes et suce leur sang, voyons donc ! Et pourtant !!!

Extrait :
Terry O’Herlihy arrivait en vue du carrefour de New York Avenue lorsque Deuce, son Loulou de Poméranie, voulut s’intéresser à un gros étron, mais Terry n’était pas d’humeur à supporter ça et il tira sur la laisse.
Tu t’amuseras un autre jour, mon joli.
À ce train-là, il serait rentré chez lui dans une petite minute.
Le vent, en changeant de sens, lui apporta un bruit inhabituel du côté du cimetière. On aurait dit des cris.
Il se retourna, curieux de savoir ce qui se passait, quand un nuage sombre passa au-dessus de sa tête. Sauf que les nuages ne volaient pas à cette vitesse-là, et qu’ils n’avaient pas d’ailes.
Deuce poussa un petit cri avant d’aboyer furieusement. Terry ne s’en aperçut même pas, hypnotisé par la créature qui traversait le ciel. Celle-ci battait lentement des ailes et il remarqua, à la lueur bleutée de la lune, qu’elle avait un corps caoutchouteux. D’un battement d’ailes, l’énorme volatile se dirigea vers le canal et tournoya quelques instants au-dessus du cimetière en cherchant une proie quelconque avec ses horribles yeux, puis il changea brusquement de cap et fila comme une flèche en direction du centre.

Niveau de satisfaction :
3 out of 5 stars (3 / 5)

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La maison dans les nuages – Nickolas Butler

Par Raymond Pédoussaut

Date de publication originale : 2021 (Godspeed)
Date de publication française : 2023 – Stock
Traduction (américain) :
Mirelle Vignol
Genre :
Roman noir
Personnages principaux :
Cole, Bart et Teddy, associés d’une petite entreprise de construction

Cole, Bart et Teddy sont associés dans une petite entreprise de construction à Jackson dans le Wyoming. Leur quotidien est fait de petits travaux sans envergure qui leur permettent à peine de vivre. Mais voilà qu’une riche propriétaire fait appel à eux pour un projet colossal : il s’agit de construire une splendide maison en pleine montagne dans un cadre magnifique. Pour eux, c’est une opportunité unique, celle qui leur permettrait de changer d’existence et de statut social. Mais il y a un obstacle majeur : la maison doit être finie avant Noël, c’est-à-dire dans quatre mois. En plus la commanditaire est très exigeante sur la qualité, il ne s’agit pas de bâcler les travaux. D’abord réticents devant l’immensité de la tâche, les trois entrepreneurs finissent par accepter. Faut dire que Gretchen, la propriétaire, sait convaincre : elle paie très bien et promet un bonus faramineux en cas de réussite. Pour relever un tel challenge, le trio va devoir travailler jour et nuit. Cette somptueuse maison à construire est-elle la chance de leur vie ou une malédiction ?

Les trois amis, fondateurs de la société True Triangle Construction, sont des hommes très différents. Bien qu’à égalité dans leur association, Cole se présente comme le leader : c’est lui qui prend contact avec la propriétaire et qui négocie. Il est en instance de divorce et n’a pas d’enfant, il peut dorénavant se consacrer entièrement au boulot. Contrairement à Teddy qui a une vie familiale bien remplie avec son épouse et ses quatre filles. Teddy et sa femme rêvent de pouvoir acheter une grande maison. Bart est un colosse capable d’abattre une quantité de travail énorme. Il s’est fait plaquer par sa compagne à cause de son addiction à la méthamphétamine. Lui aussi est maintenant totalement disponible pour le grand projet. Pour la propriétaire Gretchen le temps est plus important que l’argent dont elle dispose en grande quantité. Malgré son âge, elle impressionne beaucoup Cole par sa beauté et sa classe.

La construction d’une maison dans un délai restreint peut paraître une intrigue trop légère pour être vraiment captivante. C’est pourtant bien le tour de force qu’a réussi Nickolas Butler dans ce roman : y mettre du suspense, de la tension et des péripéties. Mais pas que ça, il y a aussi une fine description psychologique des personnages et une bonne dose d’humanité.

On peut aussi voir dans ce livre une critique du capitalisme : avec l’argent on peut presque tout acheter, mais pas le temps, celui qu’il nous reste à vivre. Ce roman questionne également sur les rêves de réussite et de gloire : valent-ils vraiment les sacrifices qu’ils imposent pour les assouvir ? La morale de cette histoire est assez amère, tout en évitant de dévoiler la finale du récit, on pourrait conclure en disant : tout ça pour ça ?

La maison dans les nuages est un magnifique roman noir et mine de rien, sans discours pompeux, c’est aussi une belle leçon de vie.

Extrait :
Puis des profondeurs de la vallée en direction de la route s’éleva un chœur de coyotes : aboiements, jappements et hurlements qui n’en finissaient pas.

« Putain, ce coin est maudit, dit Cole en séchant ses larmes. Je me fous que cette maison soit belle. Elle est hantée et elle le restera à tout jamais. Trois hommes sont morts ici, et toi… toi, t’as perdu ta main. » Ils se turent quelques instants. « Elle porte la poisse, enchaîna-t-il. C’est un putain de monument à la cupidité, et c’est nous qui l’avons bâti. Trois ploucs qui se bousculaient pour ramasser la menue monnaie que Gretchen nous balançait.

Dans le froid et les tourbillons de neige, sur la chanson de Led Zeppelin When the Levee Breaks, il posa le morceau de bois sur la table de sciage en se trémoussant sur les notes de basse et fit tourner la lame.

Led Zeppelin – When The Levee Breaks

Niveau de satisfaction :
4.5 out of 5 stars (4,5 / 5)
Coup de cœur

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Colère chronique – Louise Oligny

Par Michel Dufour

Date de publication originale : 2023 (Hachette, Marabout)
Genres :
Introspection, psychologique
Personnage principal :
Diane Choinière, photographe licenciée

C’est le premier roman de Louise Oligny, née au Québec en 1963 et déménagée en France depuis 1989, où elle travaille comme photoreporter.

Son personnage principal, Diane Choinière, travaille comme photographe pour le magazine La Chronique Hebdo, à Alfortville.  Par souci économique, on lui propose une diminution de salaire et elle refuse. 55 ans, divorcée, sans enfant, et maintenant ni travailleuse ni chômeuse. Diane n’avait pas imaginé la difficulté à se retrouver un emploi. Passer par les avocats pour obtenir un dédommagement prend du temps et de l’argent; elle n’a ni l’un ni l’autre.

Dans une bonne partie du livre, Diane nous confie sa dégringolade : elle sombre dans la rage et la rancune, maudissant la direction du magazine. Abrutie par l’alcool et les anxiolytiques, elle menace le directeur et ses larbins et elle les assassine fantasmatiquement, mais publiquement. Ce qui était imprévu, c’est que les directeurs successifs du magazine se font tuer ou pousser au suicide. Diane devient suspecte et, comme elle ne se souvient pas de ses faits et gestes au moment des meurtres, engourdie et endormie par l’alcool et les drogues, il lui est impossible de se défendre.

C’est bien écrit, ça se lit tout seul, mais ce n’est pas parce que des personnes sont assassinées qu’il s’agit d’un polar. C’est plutôt la description minutieuse d’une descente aux enfers. On finira par comprendre la signification de ces meurtres, et Diane semblera retomber sur ses pieds, mais pour combien de temps ?

Extrait :
Merde ! La panique commence à me gagner. Ma main tâtonne sur la table de chevet je n’ai pas encore mis mes lunettes jusqu’à trouver la boîte d’anxiolytiques. J’en avale trois, cul sec. Il faut que je vérifie mes appels. Je dois bien admettre qu’il m’arrive de plus en plus souvent de ne plus trop me remémorer ce que j’ai fait la veille, de me réveiller nauséeuse sur mon canapé, portant des vêtements que je ne me souviens plus avoir enfilés.
Chancelante, je me lève et me dirige vers le salon pour récupérer mon téléphone entre deux bouteilles vides. Je regarde les coups de fil des derniers jours : ouf, c’est bon ! N’apparaissent dans ceux émis que les quatre ou cinq numéros favoris de mon répertoire, les bonnes copines que j’appelle en larmes au milieu de la nuit. Ce n’est pas trop grave, ça ne les dérange plus car, Jeanne mises à part, il y a longtemps qu’elles mettent leur portable sur silencieux dès 23 heures. Avant, elles prenaient le temps de m’écouter, de me réconforter, mais quand elles ont réalisé que neuf fois sur dix j’étais trop soule pour m’en souvenir le lendemain, elles ont mis fin à leur compassion nocturne.

Niveau de satisfaction :
3 out of 5 stars (3 / 5)

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Le sacrifice du roi – Livie Hoemmel

Par Raymond Pédoussaut

Date de publication originale : 2023 – Plon
Genres :
Espionnage, historique, fantastique
Personnages principaux :
Bobby Fischer, champion du monde des échecs en 1972 – Olga Komarova, espionne russe

En 1972, à Reykjavik, l’Américain Bobby Fischer devient champion du monde des échecs, interrompant une longue série de champions russes. C’est un coup de tonnerre, perçu comme une humiliation au Kremlin. Les dirigeants soviétiques décident alors de tout mettre en œuvre pour reprendre le titre au prochain championnat, en 1975. Ils créent une cellule spéciale, nommée Enigma, chargée de trouver l’adversaire capable de battre Bobby Fisher. Après maintes recherches vaines, les membres d’Enigma doivent se rendre à l’évidence : aucun joueur d’échecs ne peut actuellement vaincre l’Américain. Leurs investigations vont alors prendre une autre voie : plutôt que de trouver un prodigieux joueur d’échecs, ils vont chercher un génie, comme l’est Fischer, pour comprendre comment celui-ci fonctionne et ainsi utiliser cette connaissance pour le vaincre. Le génie qu’ils vont dénicher est une femme, Olga Komarova, à qui on donne tous les moyens pour qu’elle mette en œuvre un plan diabolique pour abattre le meilleur joueur d’échecs du monde.

L’intrigue est bâtie sur des personnages et des faits réels que l’auteur a insérés dans une trame imaginaire. Elle est basée sur le livre écrit par un vieil homme qui aurait lui-même rassemblé des extraits d’un manuscrit, dont l’auteur inconnu retrace le parcours de Bobby Fischer depuis sa jeunesse jusqu’à l’abandon volontaire de son titre en 1975. C’est ainsi que nous est révélé « le plus grand secret du monde des échecs. »

Le roman de Livie Hoemmel est construit en trois parties : la première partie Le Kremlin, raconte comment les dirigeants soviétiques ont essayé de tout mettre en œuvre pour récupérer le titre de champion du monde en dénichant et formant la perle rare capable de détruire Fischer. La deuxième partie traite de l’itinéraire de Bobby Fischer qui l’a conduit jusqu’au titre mondial, elle est intitulée Bobby, tu seras roi. Enfin la troisième partie Le roi, la reine et les empires, révèle le secret de l’abandon du titre de champion du monde par Bobby Fisher.

Les deux premières parties sont intéressantes et captivantes malgré des envolées exaltées et lyriques de l’auteur et une écriture quelque peu grandiloquente. La troisième tourne carrément à la divagation mystique. Sans révéler la machination qui va permettre d’éliminer Fischer, je peux citer le titre d’un chapitre pour donner le ton de cette dernière partie du livre : Dieu est un joueur d’échecs. L’auteur sort complètement du domaine du rationnel pour nous servir un salmigondis de réflexions mystiquo-phylosophiques totalement accablant. Le récit devient long, saupoudré de nombreuses redites. En plus de perdre toute crédibilité, cette partie finale m’a semblé bavarde et interminable. J’ai eu l’impression que l’auteur se regardait écrire, émerveillé par son propre talent. Un peu plus de modestie et de sobriété n’auraient pas fait de mal.

Certains ont affirmé que Bobby Fischer était devenu fou. L’auteur défend la position contraire tout en montrant qu’il était d’une mégalomanie si grande qu’il se prenait pour l’égal de Dieu qu’il avait décidé de défier mais aussi qu’il était d’une naïveté confondante pour croire à un stratagème si grossier. Un génie des échecs, mais un homme inadapté aux réalités du monde, ce Bobby Fischer là.

L’auteur entretient le mystère sur son identité. Son pseudonyme Livie Hoemmel est l’anagramme de le vieil homme, le narrateur dans le roman. Probablement pas si vieux que ça, vu son aptitude à jouer avec les codes actuels du marketing : son identité tenue secrète semble plus une tactique pour susciter la curiosité qu’une nécessité de se protéger.

Le sacrifice du roi est un roman mêlant les genres, à la fois roman historique, d’espionnage, fantastique et même roman d’amour. La dernière partie discrédite complètement un livre dont les deux premières parties laissaient présager le meilleur. Dommage aussi que le sensationnel et l’esbroufe qui empreignent cette œuvre la rendent si pesante.

Extrait :
Jamais vous ne pourrez effacer de votre mémoire

qu’un homme sur cette Terre,
le plus grand joueur d’échecs de tous les temps,
dans un moment de lucidité extrême, a mis mat son propre roi pour sauver sa reine.
Il a signé de son dernier souffle la plus belle bataille qu’il nous soit donné de raconter.
Son nom est Bobby Fischer.

Championnat du monde des échecs Fischer – Spassky (Reykjavik, 1972)

Niveau de satisfaction :
3.5 out of 5 stars (3,5 / 5)

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Le suspect – Michael Robotham

Par Michel Dufour

Date de publication originale : 2004 (The Suspect)
Date de publication française : 2005 (JC Lattès), 2023 (Archipoche)
Traduction (anglais Australie) :
Stéphane Carn
Genres :
Suspense, enquête
Personnage principal :
Joseph O’Loughlin, psychologue

Petite famille anglaise sans histoire : Charlie, petite fille intelligente de huit ans, sa mère Julianne enseigne l’espagnol, et Joseph psychologue qui tient bureau. Mariés depuis 16 ans, sans trop de problèmes sauf que Julianne aimerait bien avoir un deuxième enfant.

Une jeune femme est retrouvée morte près d’un cimetière où Joseph et sa famille sont venus rendre hommage à tante Gracie. Le policier chargé de l’enquête, Vincent Ruiz, rencontre Joseph qui donne une conférence à des prostituées et fait circuler la photo de la morte aux filles et femmes présentes en espérant qu’une d’elles reconnaîtra la victime qu’il soupçonne d’être une prostituée. Puis, il demande l’aide de Joseph. Le lendemain, Joseph retrouve Ruiz à la morgue, qui finit par lui apprendre qu’il s’agit de Catherine Mary McBride, infirmière de 27 ans. Joseph la reconnaît mais ne le dit pas à l’inspecteur.

C’est le début du jeu de cache-cache entre le psychologue et le policier. Joseph est un spécialiste de l’écoute active, mais il a de la misère à s’ouvrir à autrui, qu’il s’agisse de Ruiz ou de sa femme. D’un petit mensonge à un autre, il se retrouve dans un énorme pétrin. On dirait un Boileau-Narcejac. Ça finit d’ailleurs par se retourner contre lui : Ruiz l’accuse de meurtre, et Julianne le met à la porte pour lui avoir dissimulé qu’il avait fait l’amour avec une ancienne prostituée.

Poursuivi par la police et désireux de protéger sa femme et sa fille qu’il croit en danger, Joseph se débat « comme un diable dans l’eau bénite ».

Ce roman est le premier d’une série qui met en scène le psychologue Joseph O’Loughlin. On en a tiré une série télévisée. C’est certain que Robotham ne manque pas d’imagination. Mais son personnage principal m’est carrément antipathique. Je sais bien que Poirot est vaniteux et que Holmes est prétentieux mais, au moins, ils sont intelligents. Ce n’est pas le cas de Joseph dont le jugement, affecté par son orgueil mal placé, manque de lucidité. Heureusement que la chance finit par être de son côté. Enfin, je n’aime pas beaucoup non plus les intrigues dont la solution doit être cherchée dans les complexifications sophistiquées du cerveau humain. Au moins, quand les indices sont matériels, on ne peut pas inventer n’importe quoi.

Extrait :
Certains parlent de « péché par omission », mais qu’est-ce que ça veut dire ? Qui décide de ce qui est ou n’est pas un péché ? Je joue peut-être sur les mots, mais à en juger par l’empressement que mettent certains à se poser en juges et à édicter leurs conclusions, on pourrait croire que la vérité est une, indestructible et inaliénable. Qu’il s’agit d’une chose qu’on peut isoler, fixer, saisir mentalement et se repasser, afin de la jauger, ou de la soupeser, avant de parvenir à un accord unanime.
Mais il n’en est rien. Si je devais vous raconter cette histoire demain, mon récit serait déjà différent de ce qu’il est aujourd’hui. J’aurais eu le temps de passer chaque élément dans le filtre de mes systèmes de défense, de trouver des explications rationnelles à chacune de mes actions. Quoi qu’on puisse en dire, la vérité n’est que nuances, jeux de mots et problèmes de sémantique.

Cimetière de Kensal Green

Niveau de satisfaction :
3.9 out of 5 stars (3,9 / 5)

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En ces temps de tempêtes – Julia Glass

Par Raymond Pédoussaut

Date de publication originale : 2022 (Vigil Harbor)
Date de publication française : 2023 – Gallmeister
Traduction (américain) :
Sophie Aslanides
Genres :
sociologique, psychologique
Personnages principaux :
Quelques habitants de Vigil Harbor

Vigil Harbor est une ville construite sur une presqu’île qui s’avance dans l’océan Atlantique sur la côte du Massachusetts. C’est un havre de paix et d’immobilisme. Ses habitants forment une communauté privilégiée implantée là depuis plusieurs générations. Peu ouverts sur le reste du monde, les autochtones finissent par se ressembler. Leur douce quiétude est bouleversée par les tempêtes et par les attentats qui font l’actualité.

À Vigil Harbor les gens s’estiment protégés des dangers du monde extérieur. Leur ville est pour eux une garantie de sécurité. Leurs jeunes enfants ne vont pas à l’école publique qu’ils appellent avec dédain Le Broyeur. L’école est assurée à tour de rôle par les parents, dans leur maison, et ils sont payés pour cela. Le Yacht Club est très actif et organise régulièrement des réunions et des fêtes auxquelles participent de nombreux habitants. Celestino, le paysagiste originaire du Guatemala, est le seul à ne pas avoir la peau blanche et bien que naturalisé américain depuis des années il craint encore d’être expulsé. Pourtant, les temps perturbés finissent par arriver à Vigil Harbor. Cela commence par une vague de divorces inédite. Deux membres bien connus du Yacht Club ont décidé de quitter épouse et mari pour partir vivre ensemble dans une communauté survivaliste. C’est un choc pour la population. Puis arrivent deux étrangers : une soi-disant journaliste s’intéresse particulièrement à Austin, architecte de renom avec qui elle semble avoir un compte à régler, et un voyageur de passage au charme envoûtant tente de renouer des liens de jeunesse avec Celestino. L’influence de ces deux arrivants va rompre la belle sérénité de la ville.

Les habitants de Vigil Harbor qui avaient cru créer dans leur ville un cocon protecteur des violences du monde ont été rattrapés par la brutalité de la société actuelle. Les tempêtes évoquées par le titre français ne sont pas que des phénomènes météorologiques, il s’agit aussi des attentats terroristes qui font des victimes et maintiennent l’angoisse. Angoisse omniprésente et peur de l’avenir sont ce qui caractérise ce petit monde vivant sur des valeurs du passé.

L’histoire est racontée par huit habitants de Vigil Harbor qui prennent tour à tour la parole et exposent leurs sentiments et leurs points de vue. L’autrice s’attache surtout à la psychologie des personnages et à leur ressenti, il y a peu d’action, c’est un roman d’ambiance qui n’est ni palpitant ni accrocheur. La vie ordinaire de ces gens repliés sur eux-mêmes engendre une certaine monotonie et même un peu d’ennui, le roman m’a paru alors lent et long, même s’il se lit assez facilement avec la présence de personnages variés analysés finement.

Extrait :
Cette ville, où on rencontre plein de gens qui prétendent être de la treizième génération – comme s’il y avait de quoi se vanter quand on traîne depuis toujours à l’endroit où ses ancêtres diluviens se sont installés par le plus grand désespoir – cette ville donne l’impression d’être entourée d’isolant, ou plutôt d’un halo de protection, bien qu’on ne soit qu’à quarante-cinq kilomètres de la grande ville. Les gens qui habitent ici ont tendance à ne jamais vraiment partir – ou ils reviennent, même après avoir juré qu’ils ne le feraient jamais. (Connie par exemple.) Mes parents sont un cas inhabituel : ni l’un ni l’autre n’a grandi ici. Elle est un peu comme un ruban de Moebius, cette ville.

Niveau de satisfaction :
3.8 out of 5 stars (3,8 / 5)

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Enterrez vos morts – Louise Penny

Par Michel Dufour

Date de publication originale : 2010 (Bury your dead)
Date de publication française : 2016 (Flammarion)
Traduction (anglais Canada) :
Claire et Louise Chabalier
Genres :
Enquête, géographique
Personnage principal :
Armand Gamache (Sûreté du Québec)

Un archéologue amateur mais passionné, Augustin Renaud, bouscule tout et tout le monde sur son passage pour retrouver la sépulture de Champlain. On le découvre assassiné dans le sous-sol de la Literary and Historical Society de Québec qui avait refusé de le rencontrer. L’inspecteur Langlois hérite de l’enquête mais, comme le chef de la SQ, Armand Gamache, réside justement à Québec chez son ami et mentor Émile Comeau, Langlois lui demande un coup de main. Difficile de décliner l’invitation, mais Gamache n’est pas au mieux de sa forme, se remettant tant bien que mal de sa dernière aventure (Révélation brutale, 12 juin 2020 in Sang d’Encre). Au cours de son enquête, il est hanté par le dernier cas qu’il a eu à régler (des terroristes voulaient faire sauter le barrage de La Grande) : quatre policiers ont été tués, son ami Beauvoir et lui ont été gravement blessés. La culpabilité le ronge. Et il est aussi perturbé par le fait d’avoir mis en prison Olivier, qui gérait le bistro de Three Pines, accusé d’avoir tué l’Ermite du village.

La recherche de l’assassin de Renaud est fastidieuse et délicate parce que tout tourne autour de l’institution anglophone de la Literary and Historical Society. Le milieu anglophone craint que cet événement ne soit utilisé par les séparatistes contre la minorité anglaise, qui aurait  intérêt à ce qu’on ne  retrouve pas la dépouille de Champlain, symbole par excellence d’un Québec francophone.

Pendant que Beauvoir se démène à Three Pines pour vérifier si Olivier était vraiment coupable, Gamache interroge bien des gens qui ne savent rien, et lit des centaines de pages qui le conduiront plus ou moins directement au meurtrier de Renaud.

Penny raconte bien des histoires en même temps. Pour qu’on comprenne bien que Gamache continue à vivre toutes ces histoires qui ont mal tourné, elle enchaîne, sans prévenir, la perception actuelle et les souvenirs qui hantent Gamache. Le lecteur est un peu confus non pas parce que l’histoire en elle-même est mystérieuse, mais parce que l’écriture de l’auteure le déconcerte. On a l’impression que Penny en met trop. Et qu’elle  compte trop sur l’intérêt qu’auraient les Québécois pour la découverte du lieu où Champlain aurait été enterré.

Étant donné que les enquêtes menées par Gamache et Beauvoir sont laborieuses et plutôt lassantes, il me semble que, pour apprécier le roman, il faut être disposé comme quand on regarde Murder She Wrote (Elle écrit au meurtre) : une sorte de cosy mystery où la vie d’un village et de ses habitants est aussi importante que l’intrigue policière. Ici, évidemment, en plus de Three Pines, Penny nous livre une sympathique et précise description de la ville de Québec en hiver. Tout en montrant, mine de rien, que les relations peuvent être correctes entre francophones et anglophones.

Extrait :
La tempête s’abattait sur Québec et, vers les deux heures du matin, la capitale fut fouettée par des vents violents et de la poudrerie. Les autoroutes furent fermées à cause de la visibilité nulle.
Dans la mansarde de la vieille maison en pierre de la rue Saint-Stanislas, Armand Ganache était couché et fixait le plafond aux poutres apparentes. Sur le plancher à côté de lui, Henri ronflait, sans avoir conscience de la neige qui frappait les vitres.
Doucement, Gamache se leva et regarda par la fenêtre. Il ne voyait pas le bâtiment de l’autre côté de la rue étroite et réussissait tout juste à discerner les lampadaires, dont la lumière était presque obscurcie par la neige soufflée.
Il s’habilla rapidement, puis descendit sans faire de bruit. Derrière lui, il entendait le cliquetis des griffes d’Henri sur les marches en bois. Gamache enfila ses bottes, son parka, mit sa tuque, ses mitaines épaisses et enroula une longue écharpe autour de son cou. Se penchant, il flatta son chien et fit :
Tu n’es pas obligé de venir, tu sais.
Non, Henri ne savait pas. D’ailleurs, ce n’était pas une question de savoir. Si son maître sortait, il sortait aussi.
Dès qu’il mit les pieds dehors, Gamache eut le souffle coupé par le vent. Il se tourna et le sentit qui le poussait.
S’aventurer dehors par ce temps était peut-être une erreur, se dit-il.

Québec sous la neige

Niveau de satisfaction :
3.6 out of 5 stars (3,6 / 5)

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Les aigles de Panther Gap – James A. McLaughlin

Par Raymond Pédoussaut

Date de publication originale : 2023 (Panther Gap)
Date de publication française : 2023 – Éditions rue de l’Échiquier
Traduction (américain) :
Christian Garcin
Genres :
Grands espaces, thriller
Personnages principaux :
Bowman et Summer, frère et sœur

Bowman et Summer, frère et sœur, sont élevés par leur père de façon non conventionnelle, leur mère est morte quand ils étaient plus jeunes. C’est dans un ranch caché du Colorado, appelé Panther Gap, qu’ils élèvent des aigles et que leur père leur donne des leçons de vie et de sagesse en insistant sur l’expérience de la nature sauvage. À l’âge adulte, chacun suit son chemin. Bowman quitte le ranch et part vivre dans la jungle du Costa Rica et devient une sorte de chaman qui entend des voix et a des visions, tandis que Summer, beaucoup plus terre à terre, reprend l’exploitation de la ferme, aidée par ses oncles, les frères de sa mère. Les affaires du ranch n’étant pas florissantes, c’est opportunément qu’arrive la succession du grand-père qui avaient des comptes cachés en Suisse. Le grand-père était un malfrat notoire, lié à la mafia. D’autres sont au courant de son magot caché, ils veulent le récupérer. Cet argent sale peut sauver le ranch mais aussi leur créer de gros ennuis.

L’intrigue se développe sur deux périodes : une de 1983 à 2002 qui concerne la jeunesse du frère et de la sœur, l’autre « actuelle » traite des années 2009 à 2010, elle décrit les aventures de Bowman et les péripéties autour de Panther Gap. L’auteur ne fait pas dans la simplicité puisqu’une multitude de protagonistes entrent en scène : des touristes qui se font enlever par un gang, un conseiller fiscal apparaît à point nommé pour aider pour la succession du grand-père, un gang dirigé par un taulard qui non seulement veut récupérer le butin du grand-père mais aussi liquider sa famille, un dirigeant de banque dont on ne sait pas très bien s’il est un allié ou un ennemi, ce même personnage, qui sous un autre nom, fait partie d’une mystérieuse société de protection qui intervient contre les truands mais dont on a du mal à cerner quels sont les objectifs réels … Bref, c’est compliqué et si on ajoute les allers-retours passé-présent, on a un peu de mal à suivre et on perd facilement le fil principal de l’histoire. De plus, la fin de l’histoire me semble bâclée : l’auteur, au lieu de conclure logiquement, nous sert brutalement une fin quasi miraculeuse, comme s’il n’arrivait pas à se dépêtrer des situations qu’il a crées.

Les personnages sont nombreux, les deux principaux sont le frère et la sœur. Le mystique Bowman entend et voit ce que les autres ne voient ni n’entendent. Il préfère entrer en contact avec les animaux plutôt qu’avec sa famille, je l’ai trouvé assez horripilant mais il a une qualité : il n’est pas intéressé par l’argent, contrairement à tous les autres. Sa sœur, qui fait bouillir la marmite, s’entête à penser que son frère peut l’aider. Elle balance constamment entre exaspération et admiration envers lui. Finalement c’est les deux tontons, pragmatiques et efficaces, qui m’ont paru les plus sympathiques.

Dans ce livre James A. McLaughlin développe l’art de raconter une histoire simple de façon compliquée, d’où une impression de longueur et de lourdeur préjudiciable au plaisir de lire. Trop de sujets dans cette histoire la rendent indigeste. Cependant il y a de bons moments dans ce roman, ce sont ceux où l’auteur décrit la nature sauvage.

Extrait :
Il avait échoué. Plus qu’échoué : en revenant ici, en livrant ses mains à scanner, il avait permis à Summer et à ses oncles de prétendre à la totalité de l’héritage qui, il en était sûr, contenait davantage que de l’argent «propre». Sa famille, déjà fortunée, s’était enrichie. Ils allaient garder le ranch. Et un gang de prisonniers meurtriers les traquerait à jamais. Peut-être était-ce là la malédiction du grand-père Martin : la famille devrait s’isoler encore plus, elle devrait se cacher, confirmant et amplifiant la vieille paranoïa transmise de génération en génération. Ils vivraient de la même manière que Martin, probablement pour toujours, jusqu’à ce qu’ils s’éteignent.

Le feu brillait et brûlait, emportant Summer encore plus loin

Niveau de satisfaction :
3.8 out of 5 stars (3,8 / 5)

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Les Promises – Jean-Christophe Grangé

Par Michel Dufour

Date de publication originale : 2021 (Albin Michel, Livre de poche)
Genres :
Thriller, noir, historique
Personnages principaux :
Simon, (psychanalyste), Beewen (Gestapo), Minna (psychiatre)

Berlin 1939.
De jolies femmes, mariées à des hommes riches et favorables au nazisme, se réunissent régulièrement à l’hôtel Adlon pour bavarder et sabler le champagne. Au cours de l’été, plusieurs d’entre elles se font mystérieusement tuer et éviscérer. La police officielle, la Kripo, est rapidement dessaisie de l’enquête, qui est alors confiée à la Gestapo. Plus particulièrement, à Franz Beewen, un colosse de 35 ans qui a déjà fait ses preuves dans les sections d’assaut.

Parmi les suspects interrogés par Beewen, le psychanalyste Simon Kraus, qui avait traité les victimes et qui avait même couché avec plusieurs d’entre elles avant de les faire chanter. Une de ces femmes avait déjà parlé à son époux d’un certain homme de marbre qui la hantait; or, des femmes ont raconté à Simon des rêves dans lesquels se serait manifesté un homme de marbre.

Beewen va visiter son père interné à Brangbo, hôpital pour aliénés dirigé par la psychiatre et baronne Minna von Hassel, désabusée et alcoolique. Il apprend avec intérêt qu’elle a fait sa thèse sur les tueurs en série et qu’elle connaît Kraus depuis l’université. Elle le tient pour un génie et un salopard.

Beewen, Kraus et Minna formeront une étrange équipe pour retrouver le psychopathe qui massacre ces femmes, comprendre son mobile et cette manie bizarre qui consiste à faire disparaître leurs chaussures.

Ce résumé porte sur l’aspect policier du roman mais fausse passablement l’essentiel du récit : on est à Berlin au moment où le nazisme fait la loi, la guerre se prépare, éclate, et contamine la population. Les nazis ont exterminé tellement de monde (Juifs, Gitans, malades mentaux, déshérités, homosexuels…) qu’ils doivent prendre des mesures radicales pour que les femmes produisent de futurs soldats du Reich. La population, malmenée par la dictature après avoir été appauvrie sous la République de Weimar, se noie dans les spectacles de cabaret, l’alcool et la drogue. C’est une fresque effrayante que Grangé peint sans complaisance. Et on s’attache aux principaux personnages, malgré la violence de l’un, le cynisme de l’autre et la fuite dans l’alcool de la troisième, parce qu’on comprend que leur enquête est leur planche de salut dans un océan qui les chavire cul par-dessus tête. Le monde hallucinant dans lequel ils évoluent les révèle à eux-mêmes et leur permet, en quelque sorte, de développer un embryon d’amitié fort peu prévisible. Après avoir été écartés aux quatre coins de l’Europe, Franz, Simon et Minna se retrouvent pour élucider le dernier problème de leur enquête. Après quoi, ils s’emparent d’un camion, lancent un Heil Hitler aux sentinelles pour sortir du camp, et foncent sur la route enneigée. « Un atome insignifiant dans un grand désert blanc. Un électron qui ne pouvait plus arrêter sa course insensée. Une particule qui contenait, sinon la promesse, du moins le rêve d’un avenir meilleur ».

Fresque historique impressionnante, description fascinante de l’évolution psychologique des principaux personnages, et saga policière où nos héros errent sans relâche mais rebondissent sans répit.

Extrait :
Le couvre-feu avait été instauré à Berlin. Plus une seule lumière dans la ville. Les réverbères, les néons des restaurants, les monuments habituellement éclairés, tout était plongé dans l’obscurité. Peu de voitures circulaient et, avec leurs phares occultés, il était difficile de les discerner. Les bus n’avaient pour se guides qu’une seule lanterne bleutée et les feux des tramways étaient eux aussi enveloppés de gaze noire. Quant aux fenêtres des immeubles, elles étaient toutes voilées par des tissus ou des couvertures.
Les piétons, et ils étaient nombreux (personne ne croyait encore à un bombardement), utilisaient des torches à ampoule bleue. Le résultat était une espèce de Voie lactée couleur saphir, une myriade de pierres précieuses répandues çà et là au pied des immeubles de Berlin, virevoltantes comme des lucioles.

Hôtel Adlon

Niveau de satisfaction :
4.5 out of 5 stars (4,5 / 5)
Coup de cœur

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Montée des Eaux – Pierre Lieutaghi

Par Raymond Pédoussaut

Date de publication originale : 2023 – Actes Sud
Genres :
post apocalyptique, utopie
Personnages principaux :
Les habitants du village de montagne Les Serres

Le matin du 12 août, Noé ouvre les volets et reste stupéfait : devant lui s’étend un golfe immense qui va du bas du village jusqu’à un horizon où les montagnes sont devenues des îles éparses. Tout a disparu sous l’eau, plus de vallée, plus de villages ni de hameaux, de routes, de chemins. Complètement hébétés, les gens se rassemblent sur la place du village, le nouveau maire prend la parole pour dire son incompréhension du phénomène et inciter les gens à la solidarité. L’eau s’est arrêtée à huit cents mètres d’altitude, tout ce qui était en dessous a disparu, mais il reste des villes au-dessus. Plus d’électricité, plus d’internet ni de téléphone fixe, mais il reste l’eau, les sources sont intactes. Les gens vont devoir tout mettre en commun et essayer de survivre en n’utilisant que les ressources du village et travailler à refaire ensemble de la confiance.

La Montée des Eaux est un grand désastre qui va se transformer en une réussite collective. Les villageois n’ont d’autre choix que de changer de mode de vie. Plus d’individualisme, ils doivent jouer collectif s’ils veulent survivre. Personne ne rechigne, tous participent de leur mieux. La nourriture est rare et doit être économisée, comme beaucoup d’autres choses : médicaments, papier entre autres, mais la débrouillardise pallie le manque. Chacun se trouve valorisé dans son rôle et devient irremplaçable.

Le village Les Serres n’a que deux cents habitants, mais il a la chance d’avoir une formidable palette de compétences : deux médecins, une infirmière, un herboriste, une cuisinière de haut vol, des cultivateurs, des éleveurs, des bergers, des chasseurs, un groupe de jeunes élèves ingénieurs qui étaient en vacances, un maire rassurant qui en impose et une équipe municipale dévouée. De quoi faire envie à bien des localités, même avant la catastrophe.

Noé, l’herboriste, est aussi le scribe de la petite communauté. Il tient une sorte de journal dans lequel il note les évènements au jour le jour et ses impressions. Un jour il s’abîme la main droite, il doit suspendre ses écrits, mais Marie, qu’il a sauvée des eaux et qui s’est installée chez lui, accepte de poursuivre le journal. Quand la main de Noé est guérie, le journal se transforme en dialogue écrit lourd de sous-entendus amoureux, mais pour l’instant les deux tourtereaux se cantonnent à un amour courtois et platonique, c’est d’autant plus méritoire (ou ridicule) qu’ils dorment dans le même lit, mais chacun dans son duvet.

Montée des Eaux est une utopie (l’auteur préfère employer contre-dystopie) dans laquelle un cataclysme mondial transforme la vie d’un petit village de montagne. Les rapports humains deviennent plus vrais, plus profonds et sincères qu’avant le désastre. La solidarité et la force collective sauvent l’humanité. Roman optimiste, étonnant et rare dans le genre post apocalyptique.

Extrait :
C’est bizarre : autant, dans la société d’avant, on était transparent à moins d’occuper une position publique quelconque entre champion de foot, star de cinéma ou fier menteur politique, ce qui te rendait, toi, à peu près aussi importante que la fourmi de base, autant ici c’est l’inverse, les gens prennent tous une grande importance, celui ou celle qui défriche les terres vaut exactement autant que ceux qui réparent le moulin, font du bois, soignent les autres ou travaillent aux cuisines. Notre petit nombre le facilite, bien sûr, mais je crois que ça pourrait encore fonctionner si on était dix mille, en tout cas si chacun avait pris conscience qu’il est vraiment irremplaçable.

Niveau de satisfaction :
4.2 out of 5 stars (4,2 / 5)

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Trahison – Lilja Sigurdardóttir

Par Michel Dufour

Date de publication originale : 2018 (Svic)
Date de publication française : 2020 (Métailié, Points)
Traduction (islandais) :
Jean-Christophe Salaün
Genre :
Thriller
Personnage principal :
Ursula Aradottir, ministre

Prix du polar islandais en 2019.

On s’attend toujours à ce qu’un roman islandais nous dépayse un peu. Pourtant, ce n’est pas tellement le cas : le jeu impitoyable des politiciens, les ruses cruelles des journalistes, la vie difficile des SDF, les harceleurs hypocrites des réseaux sociaux, on connaît bien ça aussi bien au Québec qu’en France. Ce genre d’histoire nous est donc assez familier.

L’auteure[1], en réalité, nous raconte plusieurs histoires qui finiront toutes par se recouper: l’histoire principale est celle d’Ursula Aradottir, femme énergique dans la trentaine, qui a longtemps œuvré dans des missions humanitaires, et qui vient d’accepter de remplacer au pied levé le ministre de l’Intérieur. On suit aussi de près les aventures de Stella, femme de ménage au ministère, aux tendances ésotériques (sa croyance au symbole magique islandais d’Aegishjalmur, le Heaume de la Terreur), soudoyée par un sombre individu pour ramasser et lui refiler les documents jetés dans la poubelle par Ursula et par le chef de cabinet Odinn. S’ajoutent à ces deux récits, celui de Marita et son mari Jonathan, accusé d’avoir violé la gardienne d’enfant Katryn Eva, et les aventures de Peter, le père d’Ursula, assassiné en prison. On pourrait compter également une partie de la vie du sympathique et excessif Gunnar, la chauffeur et garde du corps d’Ursula, et de la colérique Iris, dont la vie de couple se terminera bientôt.

Au cœur du drame, l’anxieuse, mais non démunie, Ursula, qui se rend compte que, en politique, règne la loi de la jungle. Son projet d’aider les réfugiés n’intéresse personne; le dossier sur la nationale Sud n’avance pas d’un pouce; et la promesse faite à une mère d’enquêter sur le viol de sa fille par un policier semble avoir peu de chances de se réaliser. Ursula reçoit par ailleurs des menaces de mort; un faux site internet à son nom envoie chez elle des candidats pour jouer à la violer; un SDF lui court après. Assez rapidement, elle se demande ce qu’elle est venue faire dans cette galère.

En regardant de plus près la mort de son père survenue plusieurs années auparavant, Ursula est mise sur la piste du policier qui aurait violé la jeune gardienne. De là, elle découvre une magouille politique et le rôle artificiel qu’on lui a confié. On cherche même à la tuer.

Si elle démissionne, ce ne sera pas sans pertes ni fracas.

Lecture satisfaisante. C’est bien fait, assez classique, pas de grande surprise, et une habileté certaine pour tenir tous les bouts de la chaîne.

[1] Ne pas confondre avec Yrsa Sigurdardottir, qui a écrit Succion.

Extrait :
À pas de loup, Ursula s’approcha de la porte et colla son oreille contre le battant. Retenant son souffle, elle prit garde de se déplacer le plus doucement possible afin qu’on n’entende aucun bruit de l’extérieur. Il ne pouvait s’agir d’une connaissance, tous leurs amis savaient désormais parfaitement qu’il valait mieux téléphoner avant de venir étant donné leur emploi du temps chargé. Cela ne pouvait être un démarcheur non plus, il serait bientôt 23 heures. Elle sursauta en entendant de nouveaux coups contre la porte et en sentant la vibration contre sa joue. Il n’y avait qu’une fine planche entre elle et la personne qui se trouvait à l’extérieur, et elle se demanda qui pouvait montrer un tel entêtement et continuer à frapper alors que personne n’avait répondu les deux premières fois.

Aegishjalmur, le Heaume de terreur

Niveau de satisfaction :
4.2 out of 5 stars (4,2 / 5)

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Le tournoi des ombres – Jean-Pierre Perrin

Par Raymond Pédoussaut

Date de publication originale : 2023 – Rivages
Genre :
Thriller géographique
Personnages principaux :
Judith, romancière – Charles, ancien commando – Marc-Antoine, étudiant à la recherche d’un manuscrit ancien

Charles, ancien commando des forces spéciales en Afghanistan, s’est reconverti en vigneron dans un petit village de Bourgogne. Un beau jour, il voit débarquer dans la cour de sa ferme une longue femme brune dans une Porsche d’une rose brillant. C’est Judith Tissot, une romancière à succès. Elle se dit d’abord intéressée par son vin et demande à lui acheter quelques bouteilles. Ensuite, elle avoue le but réel de sa visite : lui proposer d’être son guide en Afghanistan, où se situera son prochain bouquin. Après avoir refusé dans un premier temps, Charles finit par accepter. Mais derrière les raisons officielles de ce voyage se cachent en réalité d’autres motivations pour Judith. De même pour Charles qui voit là l’occasion de régler quelques comptes anciens. Dans un pays en guerre où les talibans gagnent de plus en plus de terrain, l’expédition ne sera pas une sinécure.

Ce qui ressort comme une évidence à la lecture de ce roman c’est la connaissance profonde de l’Afghanistan que possède l’auteur. Il ne perd pas une occasion d’en décrire sa géographie, ses montagnes, ses fleuves, ses villes, ses provinces, son climat, son histoire, sa culture, ses traditions, sa démographie, ses langues … bref, tous les aspects de ce pays sont décrits de façon savante. Mais si le cadre de ce roman est bien réel et s’il s’inspire de faits authentiques, c’est une œuvre de fiction mettant en scènes des personnages imaginaires.

Judith est une romancière qui a rencontré le succès, elle a raflé pas mal de prix littéraires, elle a été invitée dans tous les grands médias où elle a joué de son charme : de grands yeux magnifiques, sourire ravageur, minijupe et décolleté plongeant. Le talent plus la séduction en ont fait une écrivaine star. Elle tient beaucoup à ce qu’on prononce écrivaine et pas écrivain comme le dit Charles, qui, lui, ne s’embarrasse pas d’une telle nuance. Mais en situation difficile ou périlleuse, Judith montrera un tout autre visage : moins sûre d’elle, plus fragile, mais plus déterminée. Elle révélera aussi le vrai objectif de son voyage.

Charles a été un de ces militaires des forces spéciales envoyés en Afghanistan à l’époque de l’invasion soviétique pour faire du renseignement, conseiller les chefs de maquis afghans et à l’occasion leur livrer des armes. Il a été proche du commandant Massoud. Il connaît bien l’Afghanistan et il a conservé quelques contacts bien utiles. Lui aussi avait une idée derrière la tête en acceptant l’offre de la romancière. Judith l’a surnommé Grosse Braguette à cause de sa voix de Jupiter qui semble jaillir tout droit de ses testicules. Un peu macho, Charles, mais pas trop, Judith réussit à l’amadouer la plupart du temps. Charles et Judith c’est un peu l’Ours et la Poupée. Leur relation, souvent conflictuelle, varie entre l’irritation, l’admiration et l’affection.

Bien que n’ayant rien à voir avec les précédents, un autre personnage entre sur cette même scène : Marc-Antoine. C’est un étudiant lunaire qui veut retrouver le manuscrit en pachto qu’un poète avait été contraint d’abandonner dans un sanctuaire de la vallée de la Kunar infestée de talibans. La dure réalité va se rappeler à ce doux illuminé.

Une intrigue solide avec du rythme et de l’action, des personnages convaincants et attachants qui évoluent dans le cadre d’un pays en guerre font de ce roman une œuvre à la fois instructive par la qualité des descriptions de l’Afghanistan et divertissante par toutes les nombreuses péripéties vécues par les protagonistes.

Extrait :
Jusqu’alors, je ne savais pas exactement pourquoi j’étais venue en Afghanistan. Pour écrire l’histoire de Roxane et d’Alexandre ? Pour capturer l’Hypnotiseur ? Aujourd’hui, je sais que je suis venue ici pour le tuer. Ce qui est incroyable, c’est qu’il me fait peur, mais pas au point de m’arrêter. Ce n’est qu’un petit manipulateur fanatique, pas un guerrier. Je le traquerai et je le tuerai.

Mais où trouver l’Hypnotiseur dans ces tourbillons de poussière ? Au cœur de la fumée et des explosions, toutes sortes de cris entrent en fusion. On n’entend plus du tout la musique. Elle s’est arrêtée après nous avoir conduits aux portes de l’enfer, remplacée par le soleil. Ses rayons percent les brouillards comme des glaives et nous aveuglent.

Jaillies de nulle part, des guitares électriques annoncent le couronnement de Satan qui s’est mis à hurler Highway to Hell, le morceau mythique d’AC/DC. Les haut-parleurs, que les hommes de Jafar ont installés sur la ligne de crête, ont une puissance démoniaque. Les djihadistes sont pétrifiés.

AC/DC – Highway to Hell

Talibans dans Kaboul

Niveau de satisfaction :
4.4 out of 5 stars (4,4 / 5)

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