Le soleil rouge de l’Assam – Abir Mukherjee

Par Michel Dufour

Date de publication originale : 2019 (Death in the East)
Date de publication française :
2023 (Liana Levi)
Traduction (anglais) :
Gonzalez Battle
Genres : Enquête, historique
Personnage principal :
Sam Wyndham, policier

C’est un roman plutôt inhabituel parce que l’auteur est un écrivain peu commun. Ses parents sont arrivés de l’Inde en Angleterre dans les années 50, à une époque où l’immigration paraissait avantageuse pour tous. Né en Écosse en 1974, où il a grandi, Mukherjee a été amèrement déçu par la montée du populisme en Europe, particulièrement en Grande-Bretagne, comme aux États-Unis. Il retrouve une forme de racisme comme l’Inde a connu sous l’occupation anglaise après la Première Guerre mondiale. C’est en grande partie pourquoi le fantasme d’écrire son mystère de la chambre close s’est vu intégré dans une description sociale critique de l’Angleterre de 1905 et de l’Inde de 1922.

Le policier qu’on retrouve dans ses histoires, l’anglais Sam Wyndham, est jeune en 1905. Il arpente les ruelles de Whitechapel, de sinistre mémoire, en compagnie du sergent Whitelaw, son supérieur immédiat. Il assiste, impuissant, à une bataille de rue entre deux hommes, alors qu’une femme reste étendue au sol. C’est une femme qu’il connaît; elle sera assassinée quelques jours plus tard dans sa chambre, fermée de l’intérieur, la clé dans la porte, et une fenêtre par laquelle il ne serait pas facile de s’évader.

Le récit de cette enquête alterne avec l’histoire d’une tranche de vie de Wyndham, alors qu’il est maintenant, en 1922, capitaine de police à Calcutta depuis la fin de la guerre. Plus précisément, on le retrouve en cure de désintoxication  dans les collines de Cachar, au fin fond de la province de l’Assam, à trois jours de train de Calcutta : il séjourne dans un ashram, dirigé par un vieux sage, pour se défaire de son intoxication à l’opium. Après une quinzaine de jours, il ira terminer sa convalescence dans le village de Jatinga chez un ami de frère Shankar, l’ingénieur Charles Preston. Et alors qu’il s’apprête à arrêter une vieille connaissance qui vient d’engager deux types pour le tuer, l’instigateur en question décède dans son lit d’une mort qui semble naturelle, d’autant plus que la porte de sa chambre est barrée et que les fenêtres sont fermées. L’enquête se poursuit et aboutira à une conclusion doublement  inattendue : l’identité de l’assassin et le sort qui lui est réservé.

En réalité, je viens de décrire la colonne vertébrale du roman. J’ai omis ce qui est peut-être le principal pour Mukherjee : le racisme contre les immigrés, surtout les Juifs, à Londres en 1905, qui conduit d’ailleurs à une condamnation injuste; et le manque de respect pour les Indiens en Inde après la guerre de 14, où les riches Anglais ne tolèrent pas d’être interrogés par un policier indien et supportent mal que ce même policier s’adresse à une dame anglaise. Il est certain que cette dimension sociale donne plus de chair aux personnages.[1] C’est dans ce contexte que sont subtilement décrits les rapports entre le policier anglais et son second indien, de même que les contradictions de Wyndham lui-même, épris de justice sans doute, mais pas moins anglais pour autant. Ces critiques ne sont pas négatives pour l’auteur parce qu’elles sont indissociables de l’espoir d’un retour au fair-play britannique.

[1] L’auteur plante son décor de la même façon dans L’Attaque du Calcutta-Darjeeling, dont mon collègue a ici fait le compte rendu le 28 octobre 2020.

Extrait :
« J’ai insulté le pasteur ? » Sat recule d’un pas. « Je n’ai employé aucune épithète désobligeante. Lui, m’a traité d’avorton païen et de subalterne prétentieux. Vous n’avez rien à dire là-dessus Il s’est fait payer pour régler une affaire impliquant deux Indiens morts, mais c’est moi qui suis insultant ?
─ Ce n’est pas ce que …
─ Le docteur Deakin m’a appelé noiraud et M. Preston s’est moqué de moi en m’appelant le Mahatma. Vous ne les avez pas jugés insultants ? Ou bien croyez-vous qu’un Anglais peut dire à un Indien ce qui lui plaît, mais que lorsqu’un Indien a la témérité de contester un Anglais c’est une insulte au sahib ? » (…)
Je me rends compte avec une clarté douloureuse qu’il a raison. Mais je ne suis pas assez honnête pour admettre quoi que ce soit de la sorte devant lui.

Suicide des oiseaux à Jatinga

Niveau de satisfaction :
4.2 out of 5 stars (4,2 / 5)

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