Par Raymond Pédoussaut
Date de publication originale : 2024 – Fleuve noir
Genres : Enquête, roman noir
Personnages principaux : Teddy Schaffran, criminologue et père d’une fille assassinée – Léonie Rock, lieutenante de police à Baie-Comeau (Québec)
Teddy Schaffran, détective et criminologue à Lyon, apprend que sa fille est morte et qu’elle a été sauvagement mutilée. C’est arrivé à Norferville, un bled paumé au milieu du Grand Nord canadien. Rien que des forêts et des milliers de lacs autour, aucune autre agglomération à moins de plusieurs centaines de kilomètres. Sans réfléchir, Teddy confie son agence de détectives à son associée et prend un vol pour le Québec. Pendant ce temps Léonie Rock, lieutenante de police à Baie-Comeau, est envoyée à Noferville pour enquêter sur la mort de Morgane Schaffran, la fille de Teddy. Pour Léonie c’est le retour en enfer : elle est née dans cette ville et lorsqu’elle était adolescente, elle et une de ses copines ont été violées par trois individus cagoulés. Ce retour vers sa ville natale pour enquêter sera aussi pour elle l’occasion de régler quelques comptes. Teddy et Léonie vont se retrouver dans un territoire inhospitalier où les températures peuvent descendre jusqu’à – 50°C.
Ce roman c’est d’abord un cadre et une ambiance. L’auteur a choisi de placer l’action dans une ville éloignée de tout, dans un climat extrême. Norferville ne vit que par sa mine dans laquelle huit cents mineurs arrachent le fer des entrailles de la Terre, dans le froid et la douleur. C’est une ville de quatre mille habitants, en incluant les mineurs et les autochtones innus de la réserve Papakassik. C’est un caillou de fer dans un désert de glace. Aucune route ne mène à Norferville qui est seulement accessible par un unique train qui circule deux fois par semaine et par de petits avions réservés aux allers-retours des mineurs. L’isolement, le froid, la neige, la fumée de mer arctique, cette brume glaciale très dangereuse, installent une ambiance oppressante de danger permanent.
Mais le danger ce n’est pas que le climat, des prédateurs agissent dans l’ombre. Les Innus invoquent le Windigo, une créature mi-homme mi-animal qui vit dans la forêt et se rapproche lorsqu’elle est en colère pour se nourrir de tout ce qui vit et de préférence de chair humaine. Léonie et Teddy, eux, ne croient pas au Windigo, ils savent que les meurtres sont dus à des humains et ils font tout pour découvrir les coupables.
Les deux protagonistes sont des personnes en souffrance. Teddy a perdu sa femme et un œil dans un accident de voiture dont il s’attribue la responsabilité. Depuis, sa fille s’est éloignée, physiquement et sentimentalement. Quand il la retrouve, elle est morte. Quant à Léonie, elle n’a jamais pu oublier l’agression sexuelle qu’elle a subie dans sa jeunesse.
La présence des autochtones innus dans l’intrigue donne l’occasion à Franck Thilliez de dénoncer les pratiques abusives de la police envers eux, telle la cure géographique : les représentants de l’ordre emmenaient les autochtones qui avaient un peu trop bu ou qui étaient drogués à l’écart de la ville et les abandonnaient au milieu de nulle part pour les punir. Parfois, ça allait même jusqu’au viol. Autre sujet abordé : les disparitions de filles amérindiennes qui se sont évanouies dans la nature sans que personne, à part leur famille, ne s’en inquiète. D’ailleurs Morgane, la fille de Teddy, enquêtait sur ces disparitions avant d’être assassinée.
Norferville est un roman dense qui se déroule dans un cadre austère et un climat extrême, avec des personnages marqués par les épreuves endurées. Les pratiques arbitraires subies par les tribus amérindiennes et l’indifférence devant les disparitions inexpliquées de jeunes filles sont aussi dénoncées. C’est un roman noir magistral.
Extrait :
Les monstres étaient partout, même dans les coins les plus reculés. Le Mal n’avait pas de frontière, pas de hiérarchie, il frappait tout le monde, il habitait tout le monde. Paul Liotta, tout comme Sid Nikamu, faisait partie de ces prédateurs. De ces hommes qui avaient décidé de se laisser guider par leurs obsessions, leurs déviances. Et aujourd’hui, Léonie comptait bien les faire passer à la caisse. Chacun leur tour.
Niveau de satisfaction :
(4,3 / 5)