La Mort du Temple (T2, Corpus Christi) – Hervé Gagnon

Par Michel Dufour

Date de publication originale : 2020
(Hugo & Cie)

Genres : Historique, aventure
Personnage principal : Hugues de Malemort, templier

Malgré l’intérêt historique indéniable du premier tome de La Mort du Temple, j’étais resté sur ma faim, parce que les tomes 1 et 2 ne sont pas vraiment relativement autonomes. Le premier tome nous abandonnait en plein mystère. Gravement amoché, Hugues de Malemort se retrouvait dans un lieu secret, entouré de personnages menaçants qu’il ne connaissait pas ou qui ne paraissaient pas ceux qu’il croyait connaître. On le menace de mort à moins que … ?

C’est à cela que répond le premier chapitre du deuxième tome. Hugues a été entraîné dans une crypte par un groupe d’Apostats, apparemment mené par le vieux Johannès, et comptant Gersande Benvoglio qui l’avait secouru auparavant, son vieux copain Raoul, Ponz de Fortefoy et Pierre de Marseille. Les Apostats croient en Dieu mais refusent de croire que Jésus est le fils de Dieu. En réalité, certains de ses disciples ont créé une fausse représentation : la résurrection, les miracles, l’assomption. Un personnage s’est rapproché de tout ça, c’est Gestas, un jeune juif d’Alexandrie, le Christ véritable, dont la naissance fut annoncée par l’étoile du matin et qui fut baptisé par Anup le Baptiste. On lui prêtait le pouvoir de guérir les malades, de chasser les mauvais esprits, de voir l’avenir. Plusieurs croyaient qu’il était le sauveur promis aux Juifs par Yahvé. Le charismatique Gestas séduisait les foules. Un peu comme le faisait Jésus de Nazareth, petit prophète comme il y en avait des centaines. Les deux, Jésus et Gestas, furent crucifiés en même temps. Seul Gestas en réchappa. Les apôtres de Jésus constatèrent sa mort, mais certains d’entre eux, dont Pierre et André, firent courir le bruit que Jésus était ressuscité. Ceux qui s’opposèrent à cette stratégie, Simon, Matthieu, Jude et Jean (selon les Évangiles de Thomas) ont été chassés par les premiers.

Peu de temps après la crucifixion, Thomas retrouva Gestas, le décapita et lui déroba la Magna clavem, la pierre philosophale aux pouvoir étendus et ambigus même pour celui qui la possède. Or, la mission des Apostats est de garder cette pierre. Mais c’est justement cet objet sacré qui était dissimulé dans la barrique qui a été volée en même temps que les pierres précieuses. Si Hugues accepte de continuer à chercher le contenu de la barrique volée, il le peut, à condition de devenir membre des Apostats, ce qui implique de renier Jésus, de cracher sur le crucifix et de ne plus faire le signe de croix. S’il n’accepte pas, il meurt.

Pendant que Hugues s’interroge, les soldats du Roi Philippe Le Bel, avec la complicité du Pape Clément, forcent les portes de la Commanderie, pourchassent et emprisonnent les Templiers, et organisent un système de tortures qui ferait pâlir les disciples de Sade. Le Roi se doute bien que les richesses des Templiers ont été déplacées ailleurs, mais on veut savoir où est la pierre philosophale que le Temple devait protéger. Seuls les Templiers qui sont devenus Apostats, en plus de Gersande, savaient où était cachée la pierre mystérieuse, qui était maintenant disparue avec la barrique dérobée. Comme tout le monde est soupçonné, tout le monde est torturé, spécialement les Templiers, accusés d’hérésie, d’idolâtrie et de sodomie.

La violence sévit à l’intérieur comme à l’extérieur de la Commanderie et c’est dans ces conditions que Hugues recherche la pierre et celui qui a organisé le vol; au prix du meurtre de la plupart de ses amis, torturés au point où ils sont mieux morts que vivants. Tout est sale et sanglant. Peu d’amitié résiste à l’argent ou à la peur. Le monde décrit par Hervé Gagnon est impitoyable pour les enfants, les femmes et les pauvres. En historien minutieux, l’auteur se complaît dans la peinture de l’horreur d’un univers qui ne convient qu’à ceux qui possèdent le pouvoir militaire ou religieux. Et, comme Gagnon appelle un chat un chat, la fresque est difficilement supportable, même pour des lecteurs accablés par la pandémie.

Le problème reste de savoir si Hugues trouvera la pierre et le voleur. Il y a donc un certain suspense, agrémenté de folles poursuites, d’échappées belles, de passages secrets, et de rencontres inattendues. Mais l’intrigue elle-même reste moins fascinante que l’époque et la scène où se déroule l’action. On ne ferme pas le livre en se disant : « Ouf ! Notre héros s’en est sorti in extremis ! », mais plutôt : « Ah, si j’avais eu un aussi bon prof d’histoire ! »

Un bonus : en cette époque où les grenouilles de bénitier s’irritent et se scandalisent de l’usage ou même de la simple mention d’un mot, les comportements obscènes et le langage vulgaire de bien des personnages du roman ont un petit quelque chose de rafraîchissant.

Extrait :
– L’Ordre n’est pas très aimé, constata une fois de plus le sergent.
Il n’a rien fait pour se faire aimer. La plupart des habitants de Paris lui vouent une rancune justifiée, que ce soit pour le vil prix d’achat des marchandises ou celui, élevé, de leur revente, reconnaissez-le. Sans compter le fait que les Templiers n’ayant à répondre à personne a ouvert tout grand la porte à tous les excès. Le Templier est reconnu pour s’enivrer et devenir aussi violent avec les hommes qu’insistant avec les dames. Alors, oui, le Temple est honni et personne à Paris ne pleurera son sort. En ce sens, le roi avait la partie belle.
Hugues ne répondit rien. Il savait qu’elle avait raison. En suivant les petites rues, ils atteignirent leur destination. La scène était celle qu’il avait souvent vue : des miséreux couverts de pustules et de croûtes, des mendiants en haillons, de véritables estropiés légitimes, mais aussi de faux infirmes, des catins fatiguées de leur journée, des coupe-jarrets prêts à occire n’importe qui pour quelques sous, des voleurs, des enfants crasseux qui ne semblaient appartenir à personne et des pauvres d’esprit qui gesticulaient en se parlant à eux-mêmes. Çà et là, des couples copulaient au vu et au su de tous, debout ou à quatre pattes, telles des bêtes en chaleur.

La pierre philosophale

Niveau de satisfaction :
4.1 out of 5 stars (4,1 / 5)

 

 

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