Par Raymond Pédoussaut
Date de publication originale :
2020 ( La marca del viento)
Date de publication française :
2020 – Métailié
Traduction de l’espagnol (Argentine) : François Gaudry
Genres : road-movie, aventures de voyage
Personnages principaux : Parker, conducteur de camion – Maytén, foraine
Prix : Casa de las Americas 2019.
Parker est conducteur de camion. Il livre des fruits et légumes depuis les vallées fertiles de l’Argentine jusqu’aux ports de l’Océan Atlantique, aux confins de la Terre de feu. C’est en principe son boulot mais son rôle n’est pas aussi clair que ça. En fait Parker vit dans son camion, n’emprunte que des routes secondaires pour éviter les contrôles de police. Ses papiers ne sont pas en règle, son patron ne le paye pas toujours. Il s’arrête parfois pour camper. Alors il descend de son camion tous les meubles de son ancienne demeure au moyen d’un palan et s’installe pour quelques heures ou quelques jours dans cette maison à ciel ouvert. Aucune contrainte, même pas celle des délais de livraison. Au fil de son errance, il rencontre Maytén, une caissière qui tient aussi un jeu de massacre de fête foraine, dont il tombe amoureux. Il est alors plus préoccupé de la retrouver que de livrer sa cargaison. Lorsqu’il finit par la rejoindre, un mari jaloux contraint la belle à s’enfuir avec Parker sur les routes. Ils sont maintenant deux à vivre dans le camion. Mais pour combien de temps ?
Ce roman se distingue d’abord par son décor : des paysages immenses et désertiques, quelques villages éparpillés, le vent, la pluie. Quand vient l’hiver, la neige et les inondations contraignent les populations à migrer vers des régions plus hospitalières. Les noms des villages sont aussi folkloriques qu’évocateurs : Jardin Épineux, Le Succulent, Mule Morte, Vieille Mule, Indien Méchant, Colline Plate, Saline du Désespoir, La Pourrie … C’est dans ce cadre imposant et hostile que Parker roule sur des routes droites et vides.
Les personnages sont l’autre élément remarquable du livre. Parker est parfaitement à l’aise dans ce rude environnement. C’est un solitaire qui ne fréquente pas les autres routiers, mais la belle Maytén mettra un terme à sa solitude. Et si Parker est parfaitement adapté à cette vie de voyage hors civilisation, Maytén, bien qu’habituée au nomadisme avec la fête foraine, rêve d’une autre vie : d’une maison, de la ville, de rencontrer des gens. Malgré leur vision d’avenir divergente, leur amour réciproque les maintient ensemble. D’autres personnages secondaires sont hauts en couleur : – un journaliste voyage en voiture sans freins, à la recherche des sous-marins nazis – des jumeaux boliviens fervents croyants entretiennent un train fantôme – un groupe de néonazis venu d’Allemagne de l’Est écume les routes – des trinitaires anthropophages vivent dans un désert de sel – des habitants de village tiennent des conversations absurdes et Le Nouveau Cirque International de Catch donne des représentations de ses combattants se mesurant au terrible assassin récemment arrivé d’Allemagne, Adolf Killer ! Les personnages sont à la mesure, ou plutôt à la démesure du paysage.
Il se dégage de ce livre une impression à la fois d’immensité, d’étrangeté et de burlesque. Un roman aussi étonnant que dépaysant et captivant.
Extrait :
Le lendemain, aux premiers rayons du soleil, Maytén se réveilla lentement en sentant l’air froid sur son visage. Elle se retourna dans le lit en bâillant et ses yeux s’ouvrirent sur la teinte sépia du paysage, comme d’une vieille photographie. Elle vit d’abord en s’étirant les arbustes et les branches mortes que le vent avait accumulées, puis elle aperçut les ondulations des collines. Elle regarda autour d’elle, le camion, les braises fumantes et ces meubles installés sur le terrain, sans comprendre comment elle était arrivée dans cet endroit insolite. Incrédule, elle découvrit aussi Parker qui dormait près d’elle et comprit qu’elle venait de se réveiller. Un léger tressaillement parcourut tout son corps, c’était l’aube du premier jour d’une nouvelle vie, elle renaissait, son regard découvrait le monde. Les événements de la fête foraine et leur fuite lui revinrent en séquences brèves qui éclairaient sa situation, mais il lui restait à connaître quelque chose de très important. Où diable se trouvait-elle ? Et cette espèce de maison sans toit ? Elle se redressa et vit qu’elle était dans un lit posé sur un tapis en plein désert, à côté d’un camion, au bord de la route. Un hôtel sophistiqué ? Un mirage, un rêve ? Parker, le seul qui puisse lui répondre, continuait de dormir profondément. Du bout du doigt elle lui effleura l’épaule, non tant pour le réveiller que pour s’assurer qu’il était réel. Parker ouvrit les yeux et se tourna vers elle, mais il lui fallut aussi une ou deux secondes pour se rappeler ce qu’il faisait ici. Il voulut l’embrasser, mais elle restait éberluée.
Niveau de satisfaction :
(4,2 / 5)