Par Michel Dufour
Date de publication originale : 2020 (Éd de l’Homme), 1947 (Police Journal)
Genre : Espionnage
Personnage principal : IXE-13, alias Jean Thibault
Cette œuvre de Pierre Saurel, alias Pierre Daignault, est un phénomène unique dans la littérature québécoise : de 1947 à 1966, bien avant James Bond et OSS 117, Saurel a fait paraître 934 fascicules de 32 pages, mettant en vedette un agent secret canadien-français, Jean Thibault, ou mieux IXE-13, qui a fait la pluie et le beau temps pendant et après la guerre de 39-45. Entre 20 000 et 30 000 exemplaires par semaine, soit plus de 20 millions d’exemplaires en 20 ans. Les Éditions de l’Homme ont eu la bonne idée de rééditer une quinzaine de ces romans en deux tomes, pour rendre hommage à cet hénaurme écrivain, méconnu en haut lieu parce qu’il travaillait au niveau de la culture populaire. J’ai traversé le premier tome avec plaisir et nostalgie : ce sont les 7 premières aventures d’IXE-13.[1]
Les thèmes de ces nouvelles sont ceux des romans d’espionnage courants : trouver et détruire une base secrète dans le Golfe du Lion qui assure le ravitaillement en armes et en marchandises des sous-marins allemands (Le repaire de la mort); éliminer un groupe d’espions allemands qui sabotent des pièces de sous-marins dans une usine (La tigresse); vol de plans secrets à Berlin au moment où la France est attaquée par l’Allemagne (Aux mains de la gestapo); organiser l’évasion du docteur Woodbrock (ou le tuer) qui a été enlevé à Vichy et est gardé prisonnier en Allemagne, (L’évasion du Dr Woodbrock); intervenir en Gaspésie où un sous-marin allemand a été repéré (Le mystérieux fauteuil no 24); dérober le contenu top secret du coffre-fort réputé invulnérable du savant allemand Adolf Freffel (Le secret du coffre-fort); regagner la France, alors qu’IXE-13, Marius et Gisèle Tuboeuf sont poursuivis par la Gestapo (Un piège). C’est à l’occasion de ces premières aventures que Jean Thibault rencontrera et fera équipe avec le Marseillais Marius Lamouche et la jolie Française Gisèle Tuboeuf.
La structure des récits est assez classique : présentation des principaux personnages et explication d’une mission; observation du terrain et IXE-13 fait un plan; on se rapproche de l’objectif; contre-attaque des Allemands (plus tard, ce sera les Russes); mission accomplie. Le langage est simple; beaucoup de dialogues; actions rapides clairement décrites. Mystique du western : les méchants sont vraiment méchants et les bons sont très très bons. La personnalité de Gisèle et le caractère impulsif de Marius sont rapidement exposés; Saurel insiste surtout sur les traits de caractère de Jean Thibault, en tant que Québécois des années 50 : paternaliste avec les femmes (surtout Gisèle qui deviendra sa conjointe), familier avec ses hommes mais conscient de son autorité; manifestant une certaine piété (on l’aperçoit, une fois, faisant sa prière avant de se coucher).
Des enquêtes ont montré que les romans d’IXE-13 étaient plus populaires chez les hommes que chez les femmes, et plus aussi chez les ados que chez les adultes. Je crois que c’est Oscar Wilde qui disait qu’il n’y avait pas de grande et de petite littérature, mais plutôt de la bonne et de la mauvaise. Les aventures de l’as des espions canadiens, c’est de la bonne littérature dans son genre. Beaucoup de jeunes Québécois ont développé leur goût de la lecture à partir de ces histoires, un peu comme, plus tard, joueront le même rôle les aventures dont vous êtes le héros.
Un autre méconnu qui a participé activement à ce projet IXE-13, c’est le peintre André L’Archevêque, dont la page titre de chaque fascicule est habilement imagée par un dessin qui rend compte avec intelligence et sensibilité de l’atmosphère de l’époque.
En 1972, l’écrivain et cinéaste Jacques Godbout (musique : François Dompierre) a tourné avec les Cyniques (groupe de 4 humoristes québécois) la comédie musicale IXE-13, inspirée directement des romans de Saurel mais délibérément caricaturale. C’est un très beau film agrémenté d’airs amusants et lyriques. C’est quand même moins émotivement poignant que, quinze ans plus tôt, les lectures hebdomadaires des aventures de l’as des espions canadiens.
[1] Je ne les avais pas déjà lues; j’ai commencé à lire les IXE-13 aux environs de 1956, avant les Bob Morane et les Biggles.
De 1944 jusqu’à la fin des années 60, c’est la période faste du polar québécois sous forme de fascicule.
cf. Spehner Norbert, Scènes de crimes (Éd Alire, 2007, p. 179 à 222).
Bande sonore 1971 : https://youtu.be/L6oiqjB9snQ
Film : https://youtu.be/0U45eWwz9zw
Extrait :
1939.
Le monde entier traverse une puissante crise. L’Allemagne commence à faire des siennes.
Les mois passent.
Un beau jour, tous les Canadiens pouvaient lire en grosses lettres sur la première page des journaux : « L’Angleterre déclare la guerre à l’Allemagne. »
Ce qui devait infailliblement arriver venait de se produire.
Quelques jours plus tard, le Canada suivait l’exemple de l’Angleterre (…)
Le lieutenant Georges Dupont était l’homme préposé aux inscriptions.
C’était un as qui, dès le début, savait en voyant le candidat si ce dernier pourrait rendre de précieux services aux Nations Unies.
– Suivant !
Une jeune secrétaire fit entrer une espèce de colosse, en qui les amateurs de tennis auraient vite reconnu Jean Thibault.
– Asseyez-vous.
– Merci.
Le lieutenant prit une fiche.
– Votre nom ?
– Jean Thibault.
– Votre âge ?
– Vingt-six ans.
– Quelles langues pouvez-vous parler couramment ?
– Le français, l’anglais et l’allemand.
– Connaissez-vous un peu d’autres langues ?
– Oui, je sais un peu d’espagnol et pas mal d’italien.
– Mais où donc avez-vous appris toutes ces langues ?
– Durant cinq ans, je suis allé en Europe représenter le Canada dans les tournois de tennis. J’ai aussi pris des cours de langues étrangères.
– En quelle année avez-vous terminé vos études ?
– J’ai fait mon cours classique, puis j’ai étudié le droit. Je suis diplômé en aéronautique.
– Vous pouvez donc conduire un avion ?
– Oui, je puis conduire un avion et un sous-marin (…)
– Avez-vous pratiqué d’autres sports à part le tennis ?
– Oui, j’étais champion de boxe au collège, j’ai aussi joué au football et au hockey.
Niveau de satisfaction :
(4,5 / 5)