Par Michel Dufour
Date de publication originale : 2018 (Greeks Bearing Gifts)
Date de publication française : 2019 (Seuil)
Traduction (anglais) : Jean Esch
Genres : Enquête, historique, aventures
Personnage principal : Bernie Gunther, flic recyclé
J’ai délaissé Kerr pendant un bout de temps parce que, malgré les qualités indéniables de l’auteur, la longueur de ses romans et les tourments personnels de son policier Bernie Gunther m’épuisaient. Les années ont passé; nous sommes à la fin des années 50 (1957), et Gunther, qui veut tout oublier du passé au point de changer son nom (Christof Ganz, maintenant), travaille à Munich comme préposé à la morgue : un travail solitaire avec des clients peu bavards, c’est l’environnement qui convient à Gunther.
Jusqu’au jour où il entre au service de la puissante compagnie d’assurances Munich Re comme enquêteur. Après quelques réussites mineures, on l’expédie à Athènes pour enquêter sur le naufrage mystérieux d’un bateau, dont le propriétaire serait un ancien officier de la Wehrmacht. Il remplace Walther Neff, l’enquêteur régulier pour ce genre de sinistres maritimes, tombé malade, et est attendu par Achilles Garlopis, le représentant de la compagnie en Grèce qui lui servira d’interprète et s’occupera des tâches administratives.
À partir de son arrivée à Athènes, l’histoire se corse. Le propriétaire du Doris qui a brûlé et coulé est un Allemand, Siegfried Witzel, spécialiste de la plongée et réalisateur de films sous-marins. Son bateau a coulé lors d’une expédition pour retrouver des antiquités grecques. Les garde-côtes du Pirée et le ministère de la Marine marchande enquêtent en principe mais, selon Garlopis, ils ne sont pas très zélés parce que, durant la guerre, la Grèce a perdu 429 navires coulés par les Allemands.
Il arrive malheur à Witzel, Gunther est arrêté et doit collaborer avec la police s’il veut récupérer son passeport. Il semble que les occupants du Doris ne s’intéressaient pas tellement aux antiquités. Peut-être plutôt à l’or des Juifs. En tout cas, d’anciens SS paraissent faire partie du tableau. Gunther se sent de plus en plus menacé, même par le Mossad qui s’intéresse à l’affaire. La Munich Re exige que Gunther mette fin à l’enquête; il ne demande pas mieux mais, d’une part il n’en a pas encore fait assez pour récupérer son passeport; et, d’autre part, la jolie et troublante Elli Panatoniu lui permet d’apprécier une partie du pays qu’il avait ignorée jusque là.
Et même lorsqu’il aura contribué à mettre derrière les barreaux un des responsables du massacre des Juifs de Salonique, la justice risque de ne pas l’y maintenir bien longtemps parce que le gouvernement grec tient plus à obtenir des réparations financières de la part de l’Allemagne qu’à pourvoir à l’entretien de ses concitoyens en prison.
Rien ne dit, cependant, qu’une fois entré en Allemagne, Bernie Gunther ne poursuivra pas sa croisade expiatoire au profit d’une nouvelle organisation.
Cette histoire, qui introduit plusieurs personnages historiques réels, est compliquée. Le lecteur ne doit pas essayer de deviner les cartes cachées. Le plaisir consiste à suivre les aventures de Bernie Gunther, d’apprécier ses jeux de mots, sa grande culture, sa débrouillardise. D’essayer d’oublier son sentiment de culpabilité, bien que ça semble faire partie de chaque Allemand qui a vécu plus ou moins près du pouvoir pendant la guerre. Fin des années cinquante : en Allemagne comme en Grèce, les effets de la guerre sont partout présents. Le récit colle à l’Histoire, ce qui le rend souvent lourd et indigeste. Mais les amateurs d’Histoire se régaleront.
Extrait :
– C’est moi que Munich Re a envoyé à Athènes pour enquêter sur la demande en indemnisation déposée par Siegfried Witzel après le naufrage du Doris.
– Je vois. Enfin, non, pas vraiment. Vous n’êtes pas un spécialiste des questions maritimes. Vous êtes incapable de différencier la poupe de la proue. Alors, pourquoi vous, Bernie ?
– Neff, l’expert dans ce domaine, est tombé malade, et Alois Alzheimer m’a demandé de le remplacer à la barre. Et, sincèrement, j’aurais aimé pouvoir refuser ».
Merten toussa pendant plusieurs secondes, en se tapotant la poitrine, puis il montra le paquet de Fina.
– « Cigarettes », haleta-t-il.
Je les lançai sur le lit, suivies d’une pochette d’allumettes.
Merten alluma une cigarette et tira dessus avec reconnaissance.
– J’aimerais dire que c’est bon de vous revoir, mais je n’en suis pas certain. J’ai le sentiment que vous n’êtes pas ici seulement pour régler un litige. Allons, Bernie. Avouez que c’est très bizarre (…)
– Pour faire court, depuis mon arrivée en Grèce, j’ai appris ce que vous maniganciez avec vos amis. Spiros Reppas m’a parlé de l’or des Juifs de Salonique. Et je sais que depuis le naufrage du Doris au large du Péloponnèse, vous vous cachez ici tous les deux.
– Allons, pourquoi Spiros raconterait-il des choses aussi saugrenues ?
– Parce que son patron, Siegfried Witzel, est mort, et il a sans doute estimé qu’il n’avait plus rien à perdre en me racontant tout. Witzel a reçu une balle dans chaque œil ».
Niveau de satisfaction :
(4 / 5)