De silence et de loup – Patrice Gain

Par Raymond Pédoussaut

Date de publication originale : 2021 – Albin Michel
Genres :
Aventures, roman noir
Personnages principaux :
Anna Liakhovic, journaliste – Son frère Sacha Liakhovic, moine chartreux

Après le drame de la mort de sa fille et celle de sa compagne, Anna Liakhovic, journaliste, fuit son ancienne vie. Elle se fait engager comme rédactrice des comptes rendus de travaux scientifiques menés en Arctique à partir d’un navire polaire. Sa mission commence à Titsi, une ville austère du nord-est de la Sibérie, où elle rejoint le reste de l’équipe. Lorsque toutes les autorisations délivrées par les autorités russes sont enfin réunies, le bateau prend la mer. Mais une terrible tempête cause des avaries et un membre de l’équipage est grièvement blessé. Le navire est contraint de jeter l’ancre près d’une île de l’archipel de Nouvelle-Sibérie. La mission capote définitivement quand le responsable de l’expédition trouve une mort suspecte. L’équipe se disperse, mais Anna est retenue par les Russes qui veulent lui faire payer son manque de coopération dans le trafic de défenses de mammouths mené par des militaires corrompus. Elle se retrouve seule. Le plus dur commence alors pour elle.
Sacha, le frère d’Anna, s’est retiré du monde : il est devenu moine dans un monastère de chartreux. Pendant la promenade hebdomadaire hors des murs du monastère, une femme lui remet furtivement un paquet en lui précisant : « C’est Anna qui vous l’envoie ». Cet étrange cadeau marque la fin de la sérénité de Dom Joseph (nom chartreux de Sacha).

L’intrigue nous fait voyager à travers la Sibérie. De Tiksi, au nord-est de la Sibérie, à la toundra, en passant par la station arctique de Samoylov, l’île aux mammouths, l’île Jokhov et la base abandonnée de Polyarka (observatoire hydrométéorologique international). Il y a aussi une excursion risquée en bateau en plein océan Arctique. La température varie de 32°C au début septembre à –47°C pendant la nuit polaire.

L’auteur nous plonge dans ce monde en pleine mutation où la fonte du permafrost transforme le paysage et ouvre de grands projets d’exploitation minière et de forage. Des squelettes de mammouths sont mis au jour, leurs défenses font l’objet d’un trafic auquel participent des militaires corrompus. Des virus très anciens peuvent aussi être libérés. Cependant le dérèglement climatique redouté est perçu par les autorités russes comme une opportunité d’accès à de nouvelles ressources : « Quand ils vont commencer à exploiter les richesses enfouies sous nos pieds, ce qui est aujourd’hui une réserve naturelle ne sera plus qu’un immonde cloaque puant la putréfaction de la toundra et le pétrole. »

Ce qui est aussi montré dans ce livre c’est que l’homme est un prédateur, de la nature et des femmes. La violence des hommes s’exerce envers les femmes et même envers les petites filles. Le harcèlement sexuel, la pédophilie et la prostitution enfantine sont mis en scène.

C’est dans cet environnement très rude à la beauté mortelle qu’évolue la journaliste Anna, d’abord au sein d’une équipe scientifique, puis seule et abandonnée au milieu de la toundra en pleine nuit polaire. C’est avec talent que l’auteur décrit sa lutte pour survivre et les dangers auxquels elle est confrontée : le froid d’abord, l’obscurité, les ours et les loups.

L’auteur alterne les chapitres concernant les aventures d’Anna en Sibérie et ceux traitant de la vie monacale de son frère Sacha. Le lien entre les deux est le carnet de voyage que la femme a remis à Sacha. Il a été rédigé par Anna, plus d’un an auparavant, il ramène le moine à sa vie d’avant, celle qu’il veut absolument oublier.

Ce n’est ni dans les paysages glacés de Sibérie ni dans un monastère que le frère et la sœur trouveront le réconfort et l’oubli qu’ils y étaient venus chercher.

De silence et de loup est à la fois un magnifique récit d’aventures et un roman noir saisissant dans lequel l’émotion trouve une bonne place. Un beau et fort roman !

Extrait :
Sans lumière, je crois que je deviendrais folle. Accolée à la cabane, il y a une remise avec un tas de bois à l’intérieur, du bois flotté fendu en bûchettes d’une trentaine de centimètres, ce qui me laisse à penser que la Léna ne doit effectivement pas être bien loin. Il y a aussi une hache, un long pic en métal et quelques outils. Je remplis de neige par trois fois la bouilloire noire et cabossée, pour obtenir à peine un quart de litre d’eau dans lequel je fais infuser le thé. Installée devant la fenêtre, je n’arrive toujours pas à croire que je suis là, seule dans ce grand vide. La nuit polaire est une sorte de crépuscule. La toundra s’étire vers le néant, blanche dans un ciel de suie, sans arbres et sans vent. Sans bruit. Rien. C’est terriblement angoissant. Oppressant et beau à la fois. D’une pureté désolante et primitive. Je n’avais jamais ressenti ça auparavant en arpentant ces terres gelées. Il faut dire que je ne sortais jamais seule, personne n’est autorisé à faire ça. C’est fou comme les compagnons de route concentrent nos attentions, gommant ainsi
l’austérité et le silence.

Niveau de satisfaction :
4.5 out of 5 stars (4,5 / 5)
Coup de cœur

 

 

 

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