Chambres froides – Philip Kerr

Par Michel Dufour

Date de publication originale : 1993 (Dead Meat)
Date de publication française : 2022 (Éd du Masque)
Traduction (anglais) :
Laurence Kiefé
Genres :
Enquête, sociologique
Personnage principal :
juriste et enquêteur moscovite (sans nom)

Nous sommes à Saint-Pétersbourg en 1993. Un juriste et enquêteur dans la quarantaine arrive de Moscou. C’est le narrateur. Il vient apparemment pour apprendre auprès de la police pétersbourgeoise et de son expérimenté colonel Grouchko comment combattre la mafia. Depuis le démantèlement de l’URSS, la « libération » des pays de l’Est, le bannissement du parti communiste, l’avènement d’une économie « libre », c’est-à-dire déréglée, où n’importe qui peut acheter et vendre n’importe quoi à n’importe qui, et depuis l’incapacité de Eltsine à mettre un peu d’ordre là-dedans, la mafia (ukrainienne, tchétchène, géorgienne) fait la pluie et le beau temps et infiltre toutes les sphères de la société, y compris les forces de l’ordre.

On commence par enquêter sur quelques lanceurs de cocktails molotov qui ont été projetés à travers une fenêtre du restaurant Pouchkine. Exemple simple de pression qui caractérise la mafia. Puis, beaucoup plus sérieux, le journaliste vedette Mikhail Milioukine a été assassiné. Il travaillait sur plusieurs dossiers dont certains concernaient le crime organisé. Dans la valise de l’auto où on a retrouvé Milioukine, on découvre aussi le cadavre de Vaja Ordzhonikidze, un des chefs de la bande des Géorgiens. C’est sur cette affaire que se concentreront les équipiers de Grouchko. La veuve de Vaja les met sur une piste. Grouchko émet l’hypothèse qu’on aurait pensé que le Géorgien voulait vendre des informations au journaliste, et qu’on se serait débarrassé des deux en même temps. Sinon, il n’en faut pas beaucoup aux Tchétchènes pour tuer un Géorgien, Sultan Kadziev, par exemple, qui en voulait personnellement au journaliste pour l’avoir dénoncé comme proxénète et criminel. Cette piste finira par nous entraîner, à travers pots-de-vin et pénuries de toutes sortes, jusqu’au cœur d’un problème crucial : le commerce de la viande avariée.

En vous livrant certaines étapes de l’enquête, je n’ai pas l’impression de vous dévoiler des informations importantes. C’est vrai que le roman expose dans les détails une enquête de la police de Saint-Pétersbourg contre les mafias russes, mais le livre de Kerr ressemble plus à un document sociologique qu’à un thriller proprement dit. Très bien fait d’ailleurs : pénurie de papier hygiénique, la queue pendant 2 heures pour obtenir un morceau de pain, augmentation délirante des prix, chute du rouble et des salaires, augmentation de la criminalité, consolidation du portefeuille des oligarques et 50% de la population sous le seuil de la pauvreté. On comprend que des Russes s’ennuient de Staline. Et, en 2000, l’élection de Poutine n’est pas un hasard.

Bref, une description magistrale de la vie dans les grandes villes russes dans les années 90.

Extrait :
Cela amusait toujours Grouchko de penser que certains étrangers, qui, bien sûr, parlaient russe, pouvaient espérer passer inaperçus. Une fois, il avait ébahi un Anglais, un ami de Tania qui parlait russe couramment et qui avait acheté tous ses vêtements dans des boutiques russes, en l’identifiant au bout de quelques secondes et sans échanger un seul mot. Grouchko avait expliqué à l’homme que ce qui l’avait trahi, c’était son visage souriant : un Russe, aujourd’hui, avait peu de raisons de sourire quand il déambulait dans les rues.

Saint-Pétersbourg

Niveau de satisfaction :
4 out of 5 stars (4 / 5)

Ce contenu a été publié dans Britannique, Enquête, Remarquable, Sociologique. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.