Par Michel Dufour
Date de publication originale : 2011 (titre original : Odore di chiuso)
Date de publication française : 2012 (Christian Bourgeois)
Genres : Enquête, historique (1895)
Personnages principaux : Artistico (enquêteur), Pellegrino Artusi
Après le roman consistant d’Anne Perry, j’avais besoin de me détendre un brin. Le Mystère de Roccapendente me semblait taillé pour cet usage; écrit par un jeune auteur toscan qui n’a pas 40 ans, formé en chimie, chercheur à l’Université de Pise, passionné d’art lyrique et même chanteur professionnel, ce court roman policier est le quatrième de Marco Malvaldi.
L’histoire se situe en 1895, en Italie, où le baron désargenté de Roccapendente a invité dans son château le gastronome Pellegrino Artusi (1820-1911), considéré comme le fondateur de la cuisine nationale italienne, et le photographe Fabrizio Ciceri. Les plaisirs de la table produits par la remarquable cuisinière Parisina et le calme champêtre de la région de Bolgheri sont malheureusement perturbés par la mort inattendue du majordome, Teodoro Banti. Apparence de suicide parce que sa chambre était fermée de l’intérieur. Sauf qu’il s’apprêtait à épouser la jolie femme de chambre Agatina, persuadée que l’hypothèse du suicide est absurde. Le lendemain, on tire sur le baron avec un fusil de chasse. Il semble qu’Agatina soit responsable de ce tir, ce qui est étonnant parce que le mobile d’un tel geste est incompréhensible.
Pas facile pour Artistico, délégué à la sécurité publique, d’enquêter parmi la faune du château : le baron lui-même assez secret, ses deux fils mal embouchés et vulgaires, sa fille Cecilia aux vertes espérances mais, pour le moment, triste victime du patriarcat de l’aristocratie italienne décadente, la grand-mère Speranza, mère du baron, quasi paralysée, crainte, cependant, comme on craint un mauvais sort. Sans parler des cousines germaines du baron, à fuir si on tient à passer une bonne journée. Artistico aura besoin de l’aide du docteur, d’Artusi et d’une sorte de deus ex machina, Poglianti, pour y voir clair. Et les méchants seront châtiés.
Le livre n’est pas mauvais, mais comporte plusieurs faiblesses : l’écriture ne coule pas de source et les dialogues sont souvent artificiels; l’auteur touche à beaucoup d’éléments qui appartiennent à la thématique policière, mais ça reste superficiel : les allusions à Sherlock Holmes, le mystère de la chambre close, le contresens sur la théorie de la falsifiabilité de Popper, les ajouts gastronomiques mal intégrés, le déroulement de l’enquête, la solution du meurtre et le recouvrement de l’argent grâce à de beaux hasards. Pour un nostalgique du whodunit, c’est loin d’être satisfaisant. Enfin, on a cru voir une critique de la société berlusconienne à travers ce récit : ça prend plus qu’un riche corrompu, un voyeur pédophile et un baiseur de bonnes pour établir ce parallèle. D’un autre côté, c’est plaisant et on sourit parfois. Certaines caricatures sont réussies, bien qu’elles nuisent parfois à la crédibilité du récit, à laquelle l’auteur paraît tenir. Il n’en manque pas beaucoup pour qu’on s’attache à d’autres personnages, plus sérieux. Bref, si c’était un premier roman, on pourrait dire l’auteur qu’il promet. Dans ce cas-ci, j’ai eu le sentiment qu’il hésitait entre deux ou trois styles possibles, d’où une certaine impression d’hétérogénéité.
Extrait :
Il y a bien des façons de se réveiller, le matin.
Au château de Roccapendente, la domesticité se réveille au chant du coq, le seul qui soit enthousiasmé par le fait que, cette fois encore, le soleil a réussi à rouler jusqu’au sommet de la montagne. Parmi ces travailleurs, il y en a qui n’entendent pas ou qui font semblant de ne pas entendre ce stupide animal. Ceux-ci sont placés en position verticale par le régisseur, le brave Amidei, toujours heureux de cueillir à coups de pied dans le cul ceux qui ne sont pas levés ou pas suffisamment lestes.
C’est à un tout autre réveil qu’ont droit monsieur le baron et les autres occupants du château, habituellement prévenus par Teodoro (pour les hommes) ou par la gouvernante (pour les femmes) que ce matin encore, il y a environ deux heures, le soleil s’est montré au-dessus de la vallée; tout cela tandis que le parfum du café et des croustillantes tartes aux fruits de Parisina vient supplanter l’odeur lourde et vaguement rance des chambres au matin.
Quoi qu’il en soit, ce samedi-là un beau hors-programme occupa la scène; car jamais, avant ce jour-là, ni les résidents ni les domestiques n’avaient été réveillés par un hurlement aussi terrifiant que celui qui venait de surprendre le château.