Par Raymond Pédoussaut
Date de publication originale : 2016 (La Manufacture de livres)
Genre : Thriller
Personnage principal : Jean Mourrat, époux d’une disparue et père de deux enfants
La femme de Jean Mourrat est partie un soir d’orage. Sans explication, sans même un mot. Cette disparition aussi brutale que mystérieuse va laisser Jean complètement désemparé. D’autant plus qu’il va trouver sur son répondeur téléphonique un message déconcertant de son épouse Liz : « Pardon, Jean ! Pardon ! ». Jean, complètement dérouté aura besoin du soutien de ses amis, de ses enfants … et de la bouteille avant de réagir et de chercher une justification à ce départ précipité. Un livre sur l’ésotérisme avec une dédicace à son épouse, un prénom et un numéro de téléphone, seront le point de départ de sa recherche. Cela le mènera jusqu’en Belgique pour une étonnante découverte.
Plusieurs thèmes sont abordés dans ce roman. D’abord celui de la connaissance de l’autre : même aussi proche que mari et femme, connaît-on vraiment la personne avec qui on vit ? Jean va faire un constat amer : il ne savait rien du passé de son épouse ni de ses activités hors du domicile. Le deuxième thème est celui des apprentis sorciers de la recherche scientifique, qui, après une réussite, deviendraient totalement mégalomanes, poussant leurs expériences jusqu’à la catastrophe. Un troisième thème apparaît vers la fin : celui de la dérive sectaire.
L’intrigue utilise successivement ces thèmes pour créer une atmosphère de mystère, d’angoisse et de doute dans une première partie réussie. Mais les choses se compliquent quand on aborde les explications dans la deuxième partie. C’est là que j’ai commencé à tiquer, en lisant des phrases telles que : « un langage symbolique de l’ordre de l’ésotérisme et de l’alchimie. » Ou encore « le principe philosophique allié à la molécule miracle de Thauma-conseil. » Qu’es aquò ? Si encore c’était présenté comme un délire de savant fou, on l’accepterait mieux. Mais non, ce sont des affirmations « sérieuses »! Des explications qui épaississent le mystère au lieu de le lever. À ce niveau l’auteur aurait pu carrément basculer dans le fantastique au lieu de simplement l’effleurer, cela l’aurait exempté d’éclaircissements aussi alambiqués. Mais Maneval a choisi de rester dans le domaine du rationnel. Dans ce contexte, l’association de l’alchimie et de l’ésotérisme avec la recherche avancée en pharmacologie est surprenante. Peut être a-t-il voulu montrer qu’il y a une quête commune entre les alchimistes et quelques scientifiques de pointe ? La connaissance pourrait leur donner un sentiment de supériorité et ils en viendraient à se prendre pour des dieux. Alors l’échec deviendrait insupportable. La mort, la solution, encore plus s’ils sont convaincus de pouvoir renaître ailleurs. Ce qui expliquerait la sérénité affichée au moment fatal. On pense évidemment aux suicides collectifs des membres de l’Ordre Temple Solaire en 1994 et 1995. Le rationnel bascule dans le totalement irrationnel. C’est une interprétation, je ne suis pas certain que ce soit vraiment ce qu’à voulu exprimer l’auteur.
C’est le personnage principal, Jean, qui raconte l’histoire. Jean, est un type bon, c’est dit et répété. Un gars aimant et aimé croit-il. Mais complètement aveugle. Croyant le bonheur familial définitivement acquis, il passe son temps à collectionner les maisons qu’il retape, sans voir qu’autour de lui il se passe des choses qui devraient l’inquiéter. Sa cécité concerne autant sa famille que son meilleur pote. Quand tout s’effondre brusquement autour de lui, il est complètement paumé. L’auteur a cherché à le rendre sympathique en montrant son désarroi et ses efforts pour tenter d’appréhender les évènements. Insouciant avant et malheureux comme les pierres après le drame. J’ai eu autant envie de lui botter le cul que de le plaindre. D’autres personnages manquent d’un peu de crédibilité, comme le policier statisticien et sa compère voyante qui ont compris avant tout le monde.
Le titre Inflammation est aussi énigmatique. Encore une référence à l’alchimie ou simplement le rapport avec les incendies de la partie finale ? Même les couvertures (il y en a plusieurs) sont sujettes à questionnement : tantôt une madone penchant à gauche, la même penchant à droite mais avec une robe à fleurs, une autre version la montre avec des dents de vampire ! Pourquoi ces différentes couvertures ? Et pourquoi surtout cette vampirette qui donne une mauvaise idée du bouquin ? Bien que l’image cinématographique du vampire soit bel et bien évoquée.
Ceux qui liront ce livre pour passer un agréable moment de lecture, pour bouquiner un bon thriller, y trouveront mystère, tension, rythme et quelques retournements bien sentis. Ils seront probablement satisfaits. Ceux qui analysent un peu plus, s’attachent à la vraisemblance, à la cohérence, seront beaucoup plus critiques. Pour ma part je me pose beaucoup de questions. En plus de celles soulevées plus haut il y a : quel genre de roman a voulu écrire Maneval ? Une simple distraction ? Une œuvre plus ambitieuse abordant de grands sujets ? Je penche pour la deuxième proposition : l’œuvre ambitieuse. Peut être un peu trop ?
Thriller étrange, frisant l’ésotérisme et le fantastique sans vraiment tomber dedans. Tout pose question dans ce roman. L’auteur n’apporte pas les réponses. Au lecteur pas trop flemmard de les trouver. Expérience intéressante !
Inflammation serait un beau livre si l’on en croit Jean Cocteau : « Un beau livre, c’est celui qui sème à foison les points d’interrogation. »
Extrait :
— Il y a beaucoup trop d’éléments, Jean. Il faut dissocier. Prenons Markus, Liz, la molécule et les effets secondaires, d’accord ? Si j’en crois ton récit, ta femme et son ancien compagnon étaient des génies de la pharmacologie à l’origine de la découverte d’une molécule révolutionnaire, mais désastreuse. Néanmoins, cette découverte, alliée à un mystérieux principe philosophique, représenterait une formidable avancée. Cela ferait une quinzaine d’années que la société Thauma-Conscils en tirerait d’énormes bénéfices tout en parvenant à maintenir secret le fondement de la découverte. Imaginons que tout soit vrai. Cela exigerait un secret absolu, un cryptage total des activités de la société, ce qui paraît tout à fait improbable. Aujourd’hui, un lanceur d’alerte est en mesure de divulguer les plus grands secrets de la CIA, et personne n’aurait jamais eu accès à la formidable découverte de cette société ? Personne n’aurait jamais entendu parler du sort de Markus ? Aucun de ces fameux chercheurs ayant accès aux données de Thauma-Conseils n’aurait été tenté de reprendre à son compte cette incroyable découverte ? Ils seraient tous tenus par un entier secret ? C’est difficile à croire.
Très belle chronique. Du coup j’ai marquepagé ton blog, et m’en vais y jeter un œil dubitatif (pas dans le sens donné par Desproges)…
Merci. J’ai moi aussi mis un lien vers ton blog que je visite de temps en temps.
Bon, là il faut vraiment que je trouve ce livre, tu es le troisième dans mes amis à avoir aimé. Je ne peux te remercier de limiter mon sommeil…
Ce n’est pas le cas de tout le monde (d’avoir aimé le livre). La première partie est tout à fait réussie et la deuxième partie un peu déconcertante, appréciée ou pas suivant ses goûts.