Par Michel Dufour
Date de publication originale : 2016 (Éd. Pierre Tisseyre inc.)
Genre : thriller politique et écologique
Personnages principaux : Amélie Breton, biologiste – Marie-Lune Beaupré, journaliste à Radio-Canada
J’ai eu beaucoup de satisfaction à traverser le précédent polar de Lessard, Le puits, en mars 2015; l’expérience de Lessard comme journaliste-observateur, sa nostalgie de la Beauce, sa région d’origine, la restitution d’un passé pas si lointain, et une histoire touchante, c’étaient là des éléments suffisants pour agrémenter un bon polar.
Dans Péril sur le fleuve, on se familiarise encore avec une région du Québec, mieux connue dans la mesure où elle longe le fleuve Saint-Laurent entre Berthier-sur-Mer et Montmagny : l’Anse-aux-Sarcelles. Située (vers l’est) à environ 60 km du port de Lévis et de la ville de Québec. Il y a 40 ans, c’était une superbe région pour la faune et la flore; or, la pollution de l’espace et du fleuve, devenu un véritable dépotoir pour les égouts, a causé la disparition d’un grand nombre d’oiseaux. Lessard a vécu dans cette région et, cette fois-ci, c’est à partir de son expérience d’ornithologue et son souci écologique qu’il élaborera ce thriller.
La jeune écologiste Amélie Breton examine les bords du fleuve et tente de sauver, en vain, deux cannetons d’une sarcelle empoisonnés par les déchets d’huile usée et de mégots de cigarettes de quelques riverains qui se débarrassent dans le fleuve de leurs produits toxiques. Le premier ministre René Saint-Martin et le gouvernement québécois ne s’en préoccupent guère, comptant sur la puissance du fleuve qui finirait bien par venir à bout de toutes ces cochonneries.
Certains écologistes, rassemblés dans la cellule Sauvons le Saint-Laurent, décident d’entreprendre des actions ambigües et audacieuses pour réveiller les décideurs : d’abord, l’explosion d’un petit bateau rempli de barils de pétrole; puis, un béluga est retrouvé mort sur la grève de l’Isle-aux-Grues, portant l’inscription : « Mort à Saint-Martin et à Mesmer ! ». Le gouvernement préfère tenir ça mort, mais la journaliste de Radio-Canada, Marie-Lune Beaupré, qui bénéficie de sources occultes bien renseignées, annonce au bulletin de midi : « Une vague de terrorisme menace le Québec ».
L’action se situe en 2018, peut-être par prudence, mais on dirait bien que ça se passe hier. Du moins jusqu’à l’apparition d’un superpétrolier en pleine tempête, qui semble s’être enlisé dans les fonds marins en face de l’Anse-aux-Sarcelles. La cargaison d’une énorme quantité de pétrole doit être déchargée à Lévis; déjà une partie a été déversée dans le fleuve pour tenter d’alléger le bateau. Rien n’y fait. Quelques marins semblent s’être sauvés; d’autre sont retrouvés morts. Aucune possibilité de communiquer avec le capitaine, ce qui paraît inexplicable. Là réside le mystère de ce thriller qui, après un début sentimental un peu fade, se transforme soudain en suspense international qui nous réserve quelques belles surprises. Lessard ne veut pas ralentir l’action par des considérations politiques trop poussées, mais on comprend bien les relations tumultueuses entre le maire, le premier ministre québécois, le premier ministre du Canada et, à la rigueur, la Maison blanche et ses services de sécurité. Il y a là matière à un bon film d’action.
Beaucoup de qualités dans ce nouveau roman de Lessard, qui m’a intéressé sans trop m’émouvoir. Son engagement est clair et fort opportun. Mais les personnages, y compris les deux jeunes femmes Amélie et Marie-Lune, sont moins attachants que les personnages du Puits. Peut-être parce que, comme il s’agit d’un récit d’action plutôt que d’un roman historique, l’auteur glisse plus sur les personnages qu’il ne critique pas pour insister sur l’affrontement entre les forces de l’ordre et les forces obscures qui gouvernent le bateau. Les hommes politiques, par contre, prenant parti pour les intérêts économiques au détriment de la qualité de l’environnement, sont dénoncés avec force. De même que l’autocensure des media et la surveillance policière des journalistes. Sujet d’actualité s’il en est un, au moment où on enquête, au Québec, sur la surveillance électronique de plusieurs journalistes dont celui de La Presse et de TVA, Patrick Lagacé.
Le plaidoyer écologique de Lessard, fort louable par ailleurs, apparaît comme l’essentiel de ce roman. Un peu comme ces écrivains de polars qui, craignant vers la fin de leur carrière, d’être associés à des amuseurs publics, se livrent à quelques romans sérieux pour montrer qu’ils en sont capables, que leur rôle ne se réduit pas à celui de divertisseur. Pour ceux qui ont suivi sa carrière à Radio-Canada, jamais Lessard ne saurait être soupçonné de n’être qu’un amuseur. Il ne doit donc pas hésiter à se laisser aller à développer davantage l’aspect ludique de ses romans.
Extrait :
Le premier ministre reprend la parole.
− J’ai promis que l’environnement serait la priorité de ce mandat, mais sans négliger les projets créateurs de richesse. Nous avons trop souvent reculé, abandonné des projets prometteurs et baissé les bras devant les pressions des écologistes. Ce temps est révolu. Chaque fois qu’un écolo nous attaquera, nous devrons répliquer. Nous devons démontrer que nous prenons l’environnement au sérieux, mais sans pour autant écarter les projets rentables. Quand les Steven Guilbeaut de ce monde hurleront, nous crierons plus fort qu’eux. Et s’il devait s’avérer que des écologistes sont les auteurs de ces deux incidents et des deux communiqués, il faudra leur donner une bonne leçon. Mais ça ne doit pas nous détourner d’aller vers une économie de plus en plus verte.
Le ministre des Finances branle furieusement la tête.
− Une économie verte ! répète-t-il d’un ton railleur. En promettant des milliers d’examens environnementaux, en consultant ad nauseam et en dépensant des millions pour sauver des bibittes et faire plaisir à ces tarés d’enverdeurs ! C’est ça notre grand projet ?