Par Raymond Pédoussaut
Date de publication originale : 2016 (Payot & Rivages)
Genres : roman sociétal, humour
Personnages principaux : Thomas, créateur de clips publicitaires – L’Inconnu, créature virtuelle
Prix : Grand prix de littérature policière 2016 (roman français)
L’Inconnu fait le buzz sur le net. Ce personnage, s’il existe, est l’opposé de l’individu connecté moderne qui veut se faire connaître, s’expose narcissiquement sur le réseau. L’Inconnu n’est pas sur les réseaux sociaux, aucune trace de lui sur les connexions à internet, pas d’accès à un quelconque compte bancaire, pas de carte de crédit, pas de smartphone, pas d’ordinateur. Totalement invisible ! Mais c’est devenu un phénomène et même une sorte de légende sur les réseaux. Dans ce contexte Thomas, créateur de clips publicitaires dans un grand groupe mondial de communications, est un peu dépassé. Il travaille encore à l’ancienne, il est réfractaire à tous les gadgets technologiques dont sont friands ses jeunes collègues. A quarante ans passés, c’est un vieux dans sa boîte qui ne va pas tarder à l’éjecter. Sans conviction Thomas postule à une nouvelle agence qui vient de se créer : le Ministère des Nouveaux Médias. À sa grande surprise son patron l’engage avec pour mission de trouver l’Inconnu. La raison en est : « L’existence même de l’Inconnu est une insulte à la médiatisation en général, au désir de médiatisation pour être précis, donc une menace économique et sociale. » Et en plus il y a l’émergence du mouvement Off : des gens qui se déconnectent, qui n’utilisent plus les technologies de communication. Thomas a un nouveau job, même s’il ne saisit pas très bien en quoi il consiste, il a un salaire, c’est ce qui compte.
Le roman démarre comme une critique sociale sur les dérives du monde ultra connecté mais assez rapidement on s’oriente vers une toute autre direction : qu’est-ce qui fait l’existence d’une personne ? Ainsi l’Inconnu n’existe que parce les gens parlent de lui. Il n’a aucune réalité, aucune consistance. C’est une créature virtuelle qui ne se manifeste pas mais devient célèbre par sa non-existence. Mais on va chercher à l’identifier comme une personne humaine. Ainsi devant le succès de la créature, certains vont essayer de faire croire qu’ils sont l’Inconnu. Qui est l’Inconnu ? est la question qui hante les réseaux sociaux, les forums et la blogosphère. Le monde connecté bascule dans l’irréel. Certains vont même pousser jusqu’à l’extrême le processus : ils vont tenter de s’encoder, de devenir une suite de codes informatiques perdant ainsi toute matérialité pour passer intégralement dans l’univers numérique et devenir ainsi plus libre, plus vivant qu’une vraie personne. D’autres au contraire, vont se débarrasser de tous les objets de communication, c’est le mouvement Off.
L’intrigue est ambitieuse et pourrait devenir le sujet d’un roman de science-fiction. Mais l’auteur a pris un autre parti : traiter le problème par l’absurde, montrer une succession de situations totalement ubuesque, quasiment délirantes. Thomas, le personnage principal, avec son air d’ado attardé, toujours à côté de la plaque, qui n’adhère jamais complètement à quoi que se soit, faisant preuve d’un détachement insupportable, accentue le grotesque de tout cela.
J’avoue ne pas avoir été convaincu par la démarche de l’auteur qui, tout au long de l’histoire, oscille entre la farce et la critique sociale sans vraiment se décider de quel côté tomber. Si le livre ne m’a pas vraiment emballé, il semble avoir séduit les jurés du Grand prix de littérature policière, bien que je ne sois pas certain que ce roman soit de la littérature policière.
Extrait :
Le pouvoir, aujourd’hui, c’était l’Inconnu. Buzzati n’était pas encore de son côté, il était toujours du côté de ceux qui le craignaient : les médias, anciens ou nouveaux, et ceux qui les possédaient. Car le pouvoir officiel, c’était eux. Mais le vrai pouvoir ? Buzzati avait fait disparaître des strates entières de sa biographie, et il savait ce que cela représentait dans un monde où les satellites pouvaient dire à qui voulait le savoir, en temps réel, qui vous étiez, où vous étiez, ce que vous faisiez et avec qui. L’Inconnu, lui, échappait aux satellites. Il échappait aux bloggers, aux influencers, à la police et aux médias, tout en étant la personne la plus en vue du moment. L’Inconnu n’avait pas de biographie officielle, il n’avait pas de biographie du tout.