Par Michel Dufour
Date de publication originale : 2016 (VLB)
Genres : Enquête, noir
Personnage principal : Eugène Duchamp, détective
En juin, j’ai commenté le tome I de Red Light, Adieu Mignonne. C’était le premier polar de Bourassa, pas loin d’un coup de maître. J’avais hâte de lire la suite. Je recommande la lecture du premier tome d’abord : le deuxième tome développe une intrigue particulière, mais les principaux personnages, le milieu, l’époque (deux ans après) sont les mêmes, et le sens du récit suppose la compréhension de ce qui se joue dans le premier.
C’est en même temps l’inconvénient du deuxième tome : l’effet de surprise est passé et l’auteure n’ajoute pas grand-chose à ce qu’on connaît déjà : les personnages n’ont pas vraiment évolué; les clubs se modernisent un peu, mais sont dirigés par les mêmes caïds, Tony Frank à la tête des Italiens, et Harry Davis, leader des Juifs; alcool, drogues, prostitution, règlements de compte, c’est toujours la même histoire, même si le prix de l’héroïne a augmenté. L’enquête que mène Duchamp ressemble aussi à celle qui caractérisait le premier tome : Duchamp tentait alors de retrouver un bébé; dans ce cas-ci, Duchamp recherche une adolescente disparue, Vera, à la demande de sa grande et insupportable sœur, Nellie, et de leur oncle, le docteur Haywood du Montreal General Hospital.
L’accent est mis sur les relations entre Duchamp et Beaudry, déjà paradoxalement liés dans la première histoire du fait que les deux hommes avaient été, tour à tour, amoureusement liés à l’irrésistible Mignonne et abandonnés par elle. On aimerait bien que ce tandem ressemble un peu au duo redoutable de Dave Robichaux et Clete Purcel (cf. James Lee Burke), mais c’est loin d’être les cas : Beaudry est fort sur l’alcool et les femmes, mais il semble tremper dans des magouilles risquées, et il est d’ailleurs diminué par une vilaine blessure à l’abdomen tout au long du roman; Duchamp se perd tellement dans la drogue, principalement l’opium, qu’il n’a plus toute sa tête et encore moins son cœur; ses jugements manquent d’intelligence et ses élans manquent leur cible, sa femme, son amie Marcelle, son ex Mignonne, son vieux pot Beaudry, détournés par son obsession schizophrénique de la drogue. Il est donc difficile de s’attacher à eux.
Enfin, on parle beaucoup dans ce roman; peu d’action, sinon pour aller d’un tripot à l’autre. Donc, rythme très lent, sans grand rebondissement, sans surprise.
Extrait :
Après l’incendie de la fumerie et, par conséquent, du domicile que ma femme et moi partagions, je m’étais installé seul dans une chambre de la rue De La Gauchetière en attendant le retour de Pei-Chan, toujours hospitalisée. Je n’avais pas été surpris outre mesure de voir le beau Beaudry atterrir avec ses bouteilles de bière, et ce, dès le premier soir. Abandonné par sa femme, il ressentait le besoin de tromper la solitude et, pauvre gars, n’avait pas trouvé mieux qu’Eugène Duchamp pour épuiser l’ennui. Suffisant, fiérot, arrogant, chicanier, l’inspecteur Beaudry n’avait malheureusement jamais été particulièrement doué pour se faire des amis : il était donc tout naturel qu’il vienne frapper à ma porte et, au bout du compte, je dois avouer qu’on était bien assortis, lui et moi. L’habitude s’était donc installée d’elle-même, sans qu’on la force; d’ailleurs, si on s’y était attardés ne serait-ce qu’un instant, elle nous aurait probablement donné la nausée. À la manière d’un vieux couple qui ne s’est jamais aimé, on était trop fatigués, surtout trop peureux pour remettre en question une routine qui, contre toute espérance, fonctionnait plutôt bien. Et, invariablement, chaque soir, on s’installait côte à côte au bar du Paradise.