Par Raymond Pédoussaut
Date de publication originale : 2016 (Québec Amérique)
Genres : roman sociétal, thriller
Personnage principal : Jérôme Lupien, jeune homme ambitieux
Jérôme Lupien commence sa carrière professionnelle par une année sabbatique. Son diplôme d’études en lettres en poche, il décide de prendre un peu de bon temps avant de se lancer dans le monde du travail. Mais son année sabbatique vire au cauchemar, victime de deux escroqueries successives, il déprime et se fait larguer par sa petite amie. Ses déconvenues vont transformer Jérôme : le jeune idéaliste laisse la place à un jeune homme froid et cynique. Lors de vacances à Cuba, il va faire la connaissance d’une ravissante maman qui deviendra sa maîtresse. Il va également sortir d’une situation difficile un fils à papa victime d’une agression. Ces deux événements vont changer sa vie. Le père du garçon secouru sera reconnaissant en l’embauchant pour un travail un peu spécial mais bien payé. Son nouveau patron est un lobbyiste influent de Montréal dont les affaires ne sont pas toujours très nettes. Partagé entre scrupules et ambition, Jérôme va tracer son chemin dans ce milieu de requins de la magouille et de la politique.
L’intrigue montre la transformation d’un garçon plein de bonnes intentions mais un peu naïf, en un homme ambitieux, efficace, évoluant dans un milieu où la moralité et l’honnêteté n’existent pas. C’est l’occasion pour l’auteur de dénoncer toutes sortes de manigances utilisées par des agents d’influence peu scrupuleux pour aider des entrepreneurs ou hommes d’affaires à détourner l’argent des contribuables. Il y a des exemples assez savoureux comme celui de la construction d’un pont où sévissait autrefois la guerre des pharaons et des modernes. Auparavant c’est la conception des pharaons qui s’imposait : construire solide pour durer des siècles. Aujourd’hui c’est celle des modernes : construire fragile pour continuer à rapporter aux entrepreneurs après la construction car on bâtit seulement une fois mais on entretient et on répare plusieurs fois. Il y a aussi ces appels d’offres truqués où les soumissionnaires se sont entendus entre eux et dont les dépassements de coût sont prévus d’entrée. Ces combines se font avec la complicité du pouvoir politique qui en profite pour ramasser l’argent qui servira à sa prochaine campagne électorale.
L’auteur dénonce ces méthodes qui se pratiquent au Québec, comme elles se pratiquent aussi dans beaucoup d’autres pays. Mais dans tous les tripatouillages décrits il y en a un qui est typique du Québec : l’anglicisation de la Belle Province. Programmée en douce, par un petit groupe rassemblé autour du premier ministre, elle a pour but de favoriser l’économie en unifiant la langue du Canada. Il serait dommage qu’une particularité identitaire gêne les affaires, surtout si elles sont juteuses. Les Québécois ne sont pas surpris par la corruption, ils ont l’habitude, ils sont blasés, mais l’anglicisation décrétée dans leur dos c’est beaucoup plus grave, c’est impardonnable ! Par cet épisode l’auteur exprime son inquiétude concernant la pérennisation de la langue française au Québec.
À travers le parcours initiatique d’un jeune homme revanchard, Yves Beauchemin nous propose avec Les Empocheurs un roman fort intéressant, édifiant sur les méthodes utilisées par des affairistes avides pour capter l’argent des contribuables. La délinquance des riches et des puissants est ici concrètement mise en évidence. Un humour froid contribue à rendre cette lecture bien agréable.
Extrait :
Séverin Sicotte suivait le débat attentivement, mais pour de tout autres raisons. Une de ses antennes à Québec venait de lui apprendre qu’à la reprise de la session d’automne le premier ministre Labrèche annoncerait la participation du Québec au projet du musée ; des modalités restaient à être précisées, mais l’implication financière du gouvernement s’annonçait importante. En fait, Westwind et Labrèche avaient conclu une entente officieuse trois mois auparavant, souhaitant par cet exemple spectaculaire de collaboration promouvoir l’unité canadienne.
L’unité canadienne, tout comme le sort du Québec, n’avait jamais empêché Séverin Sicotte de dormir ni même de ronfler. Par contre, à l’idée des montants colossaux que les deux paliers de gouvernement s’apprêtaient à dépenser dans un but de pure propagande, il lui passait dans tout le corps des frissons de plaisir qui le tenaient parfois éveillé durant de longues heures.
… il s’était assis au piano pour tenter de se remettre le Träumerei sous les doigts et au bout d’une dizaine de minutes, à son grand étonnement, les choses étaient tombées en place assez rondement.
Schumann – Träumerei