Par Michel Dufour
Date de publication originale : 2015 (Falling in love)
Date de publication française : 2016 chez Calmann-Lévy
Genre : Enquête
Personnage principal : Commissaire Brunetti
Depuis quelques romans, j’étais déçu que Donna Leon mette moins d’énergie sur les éléments mystérieux de l’intrigue ou sur les subtilités de l’enquête au profit de la juste cause qu’elle défendait. J’allais l’abandonner tranquillement, quand la télésérie allemande a ressuscité mon intérêt pour Brunetti et sa famille, Vianello et Elettra, Venise et ses décors fascinants. Il arrive souvent qu’une télésérie ou un film ne rende pas justice à un roman (par exemple : Les petits meurtres d’Agatha Christie, délibérément humoristique; ou la série britannique des Enquêtes de l’inspecteur Wallander, où notre pauvre Kurt ressemble à un sans abri déprimé et alcoolique). La série allemande des Brunetti rehausse, à mon sens, la valeur des romans de Leon, et c’est peut-être pourquoi elle ne l’aime pas beaucoup.
Dans ce roman-ci, pas de cause à défendre, sinon celle des malheurs et de la solitude des divas. En l’occurrence, on retrouve Flavia Petrelli, à la Fenice de Venise, qui chante Tosca avec beaucoup de succès, noyée sous les roses. Elle avait rencontré Brunetti à cette même Fenice dans le premier roman de la série, Mort à la Fenice, vingt-cinq ans auparavant. Quatre ans plus tard, Brunetti avait revu Flavia et son amie archéologue Brett Lynch (Entre deux eaux), impliquée dans une affaire de fausses figurines chinoises, et violemment agressée pour l’empêcher de déplacer trop d’air.
Elle vit maintenant à Milan, est marié et a deux enfants. Souvent en tournée, sa vie est remplie mais difficile. Donna Leon, elle-même amateur d’opéra, décrit avec empathie la solitude et la vie difficile d’une diva. Dans ce cas-ci, en particulier, Flavia semble victime d’un admirateur excessif, qui n’a de cesse de la submerger de roses jaunes (des centaines!), et de lui faire des cadeaux exorbitants, sans se faire connaître. Puis, le supposé adulateur semble s’attaquer physiquement aux personnes pour qui Flavia éprouverait de l’estime. Comment Brunetti parviendra-t-il à neutraliser un tel individu qui menace réellement la santé mentale (et peut-être aussi physique) de Flavia.
Peu d’action, et on reconstitue les attentats contre Francesca et Freddy une fois qu’ils ont eu lieu. À la questure, ça ne bouge pas trop non plus, parce qu’Elettra est en grève contre l’affreux Scarpa, et Patta qui a tendance à le couvrir, au détriment de l’infortuné et vulnérable Alvise, suspendu pour avoir agressé un manifestant. Vianello et Paola n’ont pas non plus un grand rôle. Quant à la musique, c’est un prétexte pour développer le personnage de Flavia, sa vie, l’éducation de ses enfants, son mariage; c’est sa prestation qui émeut Brunetti, plus que la musique de Puccini : les plaisirs musicaux de l’auteure commencent à Haendel et s’arrêtent à Mozart.
Le contexte de l’opéra n’en est pas moins plaisant et Leon nous ménage quelques belles surprises comme le premier chapitre du roman. Par contre, j’émettrais quelques réserves sur les dialogues (entre Brunetti d’une part, et Elettra, Flavia et Claudia d’autre part). Est-ce un problème de traduction ? Les principaux personnages manifestent une étonnante agressivité; pour Flavia, on comprend son stress, mais ses réactions vis-à-vis de Brunetti frisent l’hystérie. Ça m’a rappelé certains romans de Patricia Cornwell qui dotaient ses personnages d’une bonne dose d’agressivité, peut-être pour avoir l’impression d’écrire quelque chose de dramatique. Enfin, j’ai trouvé la finale plutôt bâclée et difficile à se représenter.
Vivement la télésérie !
Extrait :
Brunetti se tourna vers elle et déclara, sans ambages : « J’ai besoin d’informations sur vos derniers amants, Flavia. Peu m’importe qui c’était, ou qui c’est, mais j’ai besoin de savoir comment ils s’appellent et comment ces relations ont fini, s’il y avait du ressentiment entre vous. » S’il s’était penché sur une table dressée pour le dîner et qu’il eût craché dans la soupe, elle n’en aurait pas été plus choquée. Et dégoûtée.
« Et voulez-vous savoir, aussi, ce que j’ai fait avec eux?
− Contentez-vous de jouer la comédie sur scène, Flavia, rétorqua-t-il, soudain lassé par son attitude. Celui ou celle qui a fait cela à Freddy est la même personne que celle qui vous a envoyé les fleurs et qui a poussé cette fille sur le pont. Vous êtes le seul lien entre eux. »
Brunetti lui laissa la possibilité d’émettre une objection ou d’exprimer sa colère, mais elle resta assise en silence, le regardant fixement, le visage encore figé par la surprise et tout rouge sous l’emprise de la rage.
Ma note : (3,5 / 5)