Sous la neige, nos pas – Laurence Biberfeld

Par Raymond Pédoussaut

Date de publication originale : 2017 (La Manufacture de livres)
Genres : Roman noir, rural
Personnages principaux : Esther, maîtresse d’école, puis propriétaire de galerie d’art – Lucien, paysan de la Lozère

Sur le plateau de la Margeride, en Lozère, près de Langogne, la vie s’écoule lentement, loin de l’agitation des villes. L’arrivée d’une nouvelle maîtresse d’école et de sa petite fille va apporter au village un peu d’agitation. Esther, venant de la Seine-Saint-Denis va découvrir ce qui est une nouvelle planète pour elle. Sa petite fille, Juliette, en jeune sauvageonne qu’elle est, va s’y épanouir. Les autochtones les observent d’un œil d’abord inquisiteur puis adoptent une attitude bienveillante et protectrice. Mais voilà, Esther a entraîné dans son sillage quelques uns des fléaux qui frappent les banlieues difficiles : drogués, petites frappes, maquereaux. Deux mondes ignorant tout l’un de l’autre vont se rencontrer. Pas pour le meilleur.

L’auteur nous montre d’abord la Margeride, un endroit rude, où la nature peut être à la fois magnifique et hostile, où les hivers sont terribles. La vie y est certes difficile mais il y règne une certaine harmonie et la paix. Les gens se connaissent tous, sont solidaires et s’entraident. Esther, habituée à un autre style de vie, va trouver dans ce lieu une sérénité qu’elle pas encore connue et une sorte de cocon protecteur bien agréable, aux antipodes de son précédent vécu. L’intrusion des délinquants venus de la ville va de nouveau la mettre en danger. Mais maintenant elle fait partie des habitants de la Margeride qui l’ont adoptée. Ceux-ci vont se sentir responsables d’elle et de sa fille, ils vont les protéger. Et ce ne sont pas toujours des agneaux !

L’auteur fait ensuite un saut dans le temps de plus de trente ans. Les chapitres entre période récente et ancienne deviennent alternés. Dans la partie consacrée à la période récente, nous découvrons ce que sont devenus les protagonistes de cette histoire. C’est la nostalgie qui domine alors.

Ce court roman (170 pages) décrit admirablement un monde rural, austère, où les valeurs humaines telles que l’amitié et la solidarité ne s’expriment jamais par les mots, seulement par les actes, chez ces gens durs, pudiques et bougons. Une écriture recherchée au vocabulaire riche sert remarquablement l’intrigue. Des touches d’humour parsèment agréablement cette histoire.

Un bon roman noir, âpre et mélancolique.

Extrait :
Cette immixtion infernale dans ma vie privée était constante, naïve et décomplexée. Je finis par conclure, en me familiarisant avec eux, que la vie privée était une notion trop luxueuse pour des conditions de vie pareilles. Ils étaient obligés de considérer loute existence cohabitant avec la leur sous toutes ses facettes et dans tous ses développements. Car savoir, c’est pouvoir agir ou, dans le meilleur des cas, prévenir les emmerdements. II fallait donc que tout le monde sût à quoi s’en tenir sur tout. Mais jamais ils ne s’en servirent contre moi ni n’émirent la moindre remarque. J’étais tout simplement sous leur responsabilité, comme une enfant mineure. Là où je me trouvais, toutes les compétences que j’avais acquises dans les charnière de mon enfance, dans les quartiers, dans la rue, dans la zone, me laissaient nue comme un nourrisson. Je ne connaissais ni la montagne, ni la neige, ni le froid, Je ne connaissais pas les codes ni les nécessités de cette vie moyenâgeuse qui réclamait tant de courage, d’abnégation et d’ingéniosité. Je ne savais rien du lien, ambivalent mais lourd comme un câble d’amarrage de pétrolier, qui unit les bêtes et les hommes. Je ne connaissais pas la terre, ni les arbres, ni les herbes. Je ne savais rien des rivières. Un nourrisson.

La Margeride en hiver

Ma note : 4 out of 5 stars (4 / 5)

 

 

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