Par Raymond Pédoussaut
Date de publication originale : 2018 (Grasset)
Genres : Roman noir, social
Personnage principal : Alain, vendeur en électroménager au chômage
Alain, le narrateur, était un vendeur d’électroménager bien tranquille. Avec sa femme ils formaient un couple épanoui sexuellement. Avec ses potes ils faisaient de bonnes bouffes et de belles parties de rigolade. Il s’estimait heureux, il n’en demandait pas plus. Les choses ont commencé à se détériorer quand son épouse a subi le harcèlement sexuel de son nouveau chef. Puis quand l’industrie textile a été délocalisée, c’est toute la région qui a subi un désastre social. Et notre homme s’est retrouvé sans travail. Les problèmes s’ajoutant, c’est le naufrage pour lui : chômage et divorce. Mais il connaît les responsables de sa situation, il va les faire payer.
Ce livre a une forme narrative très originale : un seul personnage se livre à un long monologue. D’abord le narrateur s’adresse à un homme qu’il a enlevé. Celui-ci est attaché et bâillonné. Il lui présente en détail la suite des opérations : séance de torture, puis la mort. Il lui explique aussi pourquoi il est là : il s’est livré à une pression sexuelle incessante sur son épouse qui a perdu toute joie de vivre et commencé à voir son mari autrement. Il a détruit le couple. Deux autres personnes suivront le même traitement : d’abord le ministre qui passait par là. Il avait promis, à l’époque, qu’il y aurait des repreneurs, que les emplois seraient sauvés. Et, bien sûr, il n’en a rien été. Ce qui ne l’a pas empêché de revenir parader dans le coin. Bien que non prévu au programme, son enlèvement était l’occasion de lui faire payer sa légèreté. La troisième personne kidnappée sera la psychologue qui a mis dans la tête de sa femme des idées saugrenues comme l’intériorisation du stigmate par exemple. Depuis elle voit tous les hommes, y compris son mari, comme des ennemis. Ces trois personnes ayant bousillé sa vie, il va bousiller la leur, lentement en les faisant souffrir.
La description des malheurs de notre héros sont pour l’auteur l’occasion de développer un volet social. Il montre l’impact qu’ont les méthodes du capitalisme financier sur les gens, fermant les usines, délocalisant et asséchant ainsi toute une région. Dans le viseur également : ces catégories qui se font grassement payer pour aider les personnes et qui ne font que les enfoncer davantage : avocats, psychologues, cabinets de reclassement et bien sûr ministres. La charge est lourde, peu nuancée, mais pleine de lucidité et de tonus. En fait Alain ose faire ce que rêveraient de pouvoir faire d’autres victimes qui se résignent, s’enferment dans la solitude et s’effacent. Lui, il réagit. Violemment.
Le long soliloque du narrateur est à la fois empreint de haine, de fureur, de cynisme parfois, mais aussi plein de bon sens. Les malheurs d’Alain sont révélateurs de notre époque. Le lecteur se sent facilement concerné par les problèmes du narrateur. Mais le fait qu’il vire psychopathe empêche la sympathie mais provoque quand même l’empathie. On finit par trouver que les salopards qui ont détruit la vie d’Alain méritent bien le sort qui leur est réservé. Le style est celui du langage parlé, du langage de la rue. C’est fruste, grossier, avec beaucoup de fautes de syntaxe et d’accords, mais plein de vitalité. C’est la façon de s’exprimer d’un homme simple, pas très cultivé et totalement courroucé. En outre un humour noir donne au roman une note moins dramatique. C’est techniquement très bien réussi.
VNR est un roman original, plein d’énergie, de verve et d’humour.
Extrait :
Moi j’ai rien fait. J’étais dans mon coin, j’étais heureux de mon sort, je demandais pas plus de blé, pas une plus grosse bagnole, j’étais bien comme j’étais. Juste, qu’on touche pas à ma vie de couple. Sérieux. Je demandais rien d’autre à l’existence : ça et mes mômes en bonne santé, j’étais content. Explique-moi qui je faisais chier ? Explique-moi qui ça dérangeait que je sois heureux ? Mais non, il a fallu qu’ils viennent foutre leur merde, l’autre avec ses SMS cochons et ses plans drague lourdingues à la cafette. Et après l’avocate et la psy avec leurs théories qui ont rendu Véro antimecs. Donc c’est à eux de morfler. C’est eux qui vont payer, le harceleur de merde et l’autre grosse toute pourrie – toi, comme je t’ai dit, au départ, t’étais pas sur la liste. Là, ce soir, c’est l’occasion qui a fait le larron. Et, bref, je me dis, c’est ça la solution pour, moi, pas devenir frappadingue à petit feu. Œil pour œil, fils de pute. Et avec les agios et les pénalités. Je vais te rendre la monnaie et j’irai mieux après. Plus léger. Peut-être que Dieu pardonne, Il fait ce qu’Il veut, ça Le regarde. Mais moi, t’inquiète, va : je vais te mettre la misère à tous ceux qui m’auront offensé.
Niveau de satisfaction :
(4,2 / 5)