Par Michel Dufour
Date de publication originale : 2018 (Alire)
Genres : Enquête, Thriller
Personnage principal : Inspecteur Théberge (SPVM)
En 2005, alors qu’il préparait la suite des Gestionnaires de l’Apocalypse, Pelletier avait publié une longue nouvelle dans la Revue Alibis : Radio-Vérité, la radio du vrai monde. Pourquoi reprendre le même sujet et en faire un roman ? Pelletier estime que ce texte était inachevé, que les personnages n’étaient pas assez étoffés et qu’il avait dû laisser de côté une personnage féminin, alter ego de l’inspecteur Théberge, Frédérique Roussel, as de l’informatique. Pelletier croit aussi que les ravages des radios-poubelles, relayés aujourd’hui (et multipliés) par les réseaux sociaux, valaient la peine qu’on développe la description des mécanismes et des mentalités qui animent la diffusion en liberté de ces incitations à la condamnation gratuite et à la violence.
Dans le roman de 2018, l’histoire est la même que celle de 2005 : l’animateur vedette de Radio-V est enlevé. Des sévices irréparables lui seront administrés si on ne livre pas au kidnappeur quelques millions de dollars (pour les victimes de Radio-V), et si on ne ferme pas la station. Le maire s’énerve. Les pistes sont trop nombreuses. Théberge procède avec méthode. C’est trop lent pour les partisans de l’animateur, qui décident d’envahir le quartier suspect et de fouiller les maisons pour le retrouver. On frise l’émeute. Avec l’aide de Roussel, Théberge suit une piste et découvre la vraie vérité.
On retrouve avec plaisir Théberge et ses répliques philosophiques qui désarçonnent les journalistes (et ses patrons). Le personnage de Roussel est intéressant mais on a toujours l’impression que c’est la machine qui fait le travail. Les Clones Rondeau et Grondin ne font que passer. Le duel entre l’animateur Cabot et le kidnappeur est plutôt répétitif. L’intrigue policière proprement dite passe au second plan et sert de prétexte à la dénonciation politico-sociale.
En 2005, l’œuvre était prémonitoire et on n’aurait pas alors imaginé qu’un Président des États-Unis incarnerait un jour ce qu’il y a de plus borné, de plus sectaire et de plus violent dans le sillage des radios-poubelles écervelées et des réseaux sociaux irresponsables.
Pour ceux qui ont lu la nouvelle, c’est assez redondant de lire le roman, qui n’ajoute rien de percutant à la version 2005. Sauf les 15 dernières pages où l’ex-prof de philo, dans un mot au lecteur, déploie une brillante réflexion sur la logique du fanatisme et le problème de la vérité : « Derrière le rapport à la vérité comme arbitre des opinions, c’est le dilemme auquel toute vie sociale est confrontée qui se pose : on discute ou on cogne ».
Extrait :
Debout devant le micro, Théberge paraît nerveux.
Le maire guette avec une certaine anxiété ses réponses. Gagnon, lui, sourit, l’air discrètement amusé.
– Avec la manifestation devant l’hôtel de ville, demande un journaliste, vous ne trouvez pas que votre mandat commence mal ?
Théberge s’efforce de prendre un ton mesuré, à la limite complice :
– Écoutez, mon mandat ne débute que dans une semaine.
– La manif, c’est quand même contre vous ! l’interrompt le journaliste.
– Vous parlez de ces jeunes ahuris qui psalmodient des slogans de radio-dépotoir ? Avouez que ça manque de sérieux…
– Comment pouvez-vous affirmer que ce n’est pas sérieux ?
– Ce n’est pas moi qui le dis, c’est Rimbaud : « On n’est pas sérieux, quand on a dix-sept ans » (…)
– Si ce n’est pas sérieux, demande finalement un des journalistes, pourquoi avoir mobilisé autant de policiers pour les surveiller ? Vous ne pensez pas qu’il y a des problèmes plus importants que quelques jeunes qui font des manifs créatives ?
– Des manifs créatives…
– Vous ne pouvez quand même pas être contre l’art et la créativité !
– Non. Mais je ne pense pas que le Bolchoï puisse servir à justifier les goulags.
Niveau de satisfaction :
(3,7 / 5)