Par Raymond Pédoussaut
Date de publication originale : 2018 (Taurnada Éditions)
Genres : Enquête, thriller
Personnage principal : Rebecca de Lost, commandant de police
Hugo, 12 ans, assiste au meurtre de sa mère. Son père la tue devant lui à coups de pieds dans le ventre. Vingt-cinq ans plus tard le commandant Rebecca de Lost enquête sur le meurtre d’une femme. L’autopsie révèle que ce n’était pas une vraie femme mais un transsexuel, un homme devenu femme. L’enquête va permettre de faire remonter à la surface l’histoire de Hugo. Rebecca de Lost va devoir ouvrir une investigation supplémentaire quand une femme de 60 ans est assassinée. Cet homicide la vise particulièrement puisque le meurtrier a laissé un message à son attention : « En souvenir du bon vieux temps ». La façon dont la victime a été abattue rappelle à l’équipe du commandant d’autres assassinats perpétrés sept ans plus tôt. Le cauchemar du Tueur au marteau semble recommencer. Avec deux enquêtes sur les bras, dans une situation où elle-même est menacée Rebecca et son équipe ont du pain sur la planche.
Ce roman policier, assez classique, permet d’aborder plusieurs thèmes, qui eux ne sont pas habituels dans ce genre d’ouvrage. Le premier est celui des troubles de l’identité. L’auteure est à ce sujet très didactique : elle précise les différences entre le transvestisme (s’habiller avec des vêtements de l’autre sexe), le transgenre (personne qui vit dans le genre qui ne correspond pas à son sexe de naissance) et enfin le transsexualisme (changement de sexe). À un autre moment c’est la nuance entre sociopathe et psychopathe qui est développée. Autre sujet : la manipulation mentale. Elle peut amener des suspects à endosser des crimes qu’ils n’ont pas commis, soit pour la gloire, soit pour protéger la personne faisant l’objet de leur adoration. Il y a un passage savoureux sur la fascination des femmes pour les meurtriers : il y a les killer groupies qui se conduisent envers les criminels prisonniers comme s’ils étaient des stars et celles qui plaignent les tueurs et veulent les aider. Ainsi un juge, éberlué, avait constaté que “les mecs en prison, ils font deux castings : un pour choisir leur avocat, un autre pour choisir les filles.” Tous ces sujets sont intégrés dans le cadre du travail des policiers, ils pimentent les enquêtes d’une touche d’érudition bien agréable. Comme quoi lire des polars est parfois très instructif.
Cette pédagogie est au service d’une intrigue complexe qui se développe sur plusieurs niveaux. C’est avec habileté que l’auteure déploie un scénario bien élaboré qui retient toute l’attention. Plusieurs fausses pistes apparaissent, le lecteur est un peu baladé. Ainsi quelques faux indices l’orientent vers un probable coupable puis vers autre pour finalement le surprendre totalement quand le vrai coupable est révélé. Le final tourne au thriller avec l’action qui s’emballe et le suspense atteint son maximum. Tout cela est réalisé avec une belle maîtrise.
Le personnage principal est le commandant de police Rebecca de Lost. C’ est une femme qui approche la cinquantaine, elle est veuve sans enfant. Elle entretient une relation suivi avec un collègue, lui aussi policier mais aussi marié. Cette relation lui convient, pendant un certain temps. En marge des enquêtes, les relations entre les divers personnages sont intéressantes et apportent une dimension humaine et des sentiments qui atténuent la dureté de l’environnement policier.
Mauvais genre est le troisième volume qui met en scène Rebecca de Lost. À plusieurs occasions l’auteure fait références aux événements relatés dans les tomes précédents, malgré cela ce livre peut se lire indépendamment des autres. D’ailleurs Isabelle Villain laisse dans ce roman suffisamment de choses en suspens pour présager une suite probable. C’est vraiment le seul reproche que je ferai : celui de ne pas boucler complètement une histoire dans chaque livre et d’utiliser le procédé, irritant pour moi, des épisodes qui s’enchaînent même si le lien entre-eux est suffisamment ténu pour pouvoir les lire séparément.
Mauvais genre est un roman policier assez classique dans le sens où c’est une enquête avec simplement une recherche de coupable, n’abordant pas de grand problème de société ou politique, mais qui se distingue par la connaissance en profondeur des thèmes évoqués, par une intrigue bien bâtie et des personnages attachants. Du classique dans le genre mais de l’excellent !
Extrait :
– Il y a en fait deux types de femmes. Les premières sont celles qui en général ont été violentées par un père dans leur enfance ou bien par un petit ami ou un mari. Elles sont fragiles et pensent qu’une relation avec un homme derrière les barreaux est une relation “sécurisée”. Cet homme ne pourra pas leur faire de mal. Leur vie leur paraît tout de suite plus excitante et dangereuse. On les appelle les killer groupies. Elles écriraient de la même façon à des stars de rock, mais ne pourraient espérer au mieux qu’une réponse formatée. Alors que là, elles peuvent rêver d’une demande en mariage. Les secondes leur offrent le bénéfice du doute. Elles estiment que leur homme n’est pas coupable, qu’il a des circonstances atténuantes et dans tous les cas qu’il ne mérite pas de rester seul durant son enfermement. Elles les voient comme des personnes extraordinaires, car ce sont des hors-la-loi. Après, elles ont envie de les aider, elles les plaignent. Je me souviens d’un juge qui n’en revenait pas du fan-club de l’un des meurtriers qu’il avait en face de lui au procès. Je me rappelle parfaitement de ce qu’il m’avait dit à l’époque : “Les mecs en prison, ils font deux castings : un pour choisir leur avocat, un autre pour choisir les filles.”
– Mais de là à assumer un crime à sa place…
– Effectivement, c’est moins courant.
Niveau de satisfaction :
(4 / 5)