Par Raymond Pédoussaut
Date de publication originale : 2018 (Ring)
Genres : Roman noir, thriller
Personnages principaux : Vladimir Radiche, alias Zéro, flic détesté et brutal – Milovan Horvat, rescapé croate d’une attaque de paramilitaires serbes – Irena Ilić, avocate serbe chasseuse de criminels de guerre
Dans le dark web le Manufacturier de Jasenovac met en ligne sur son site des scènes de meurtres et de tortures. Il y a des amateurs pour ce genre de vidéos, le Manufacturier gagne beaucoup d’argent. Au Havre, le capitaine de police Vladimir Radiche est un flic efficace aux méthodes brutales, détesté par tous ses collègues et collaborateurs, mais respecté par la hiérarchie car il a des résultats. Il est appelé sur une scène crime horrible, une des œuvres du Manufacturier. Dans le Causse de Mende Milavan Horvat, survivant croate d’une attaque d’un commando sanguinaire de paramilitaires serbes, s’occupe de son père adoptif devenu grabataire. À Belgrade Irena Illić, avocate de l’ONG Dignité et Justice traque les criminels de guerre de l’ex-Yougoslavie. Tous ces personnages sont liés par les violents conflits qui ont opposé, de 1991 à 2001, les républiques de l’ex-Yougoslavie. En 2017 la haine née de cette époque est toujours vivace chez certains protagonistes, prêts à tout pour l’assouvir.
Avec en toile de fond la dislocation de la Yougoslavie et la guerre qui a opposé les républiques qui la composaient, l’auteur développe une intrigue touffue où la haine et la vengeance tiennent une part prépondérante. Pour le montrer Köping n’y va pas de main morte. Il y a dans ce roman toute une série de scènes vraiment horribles. Deux anges de la mort, l’un serbe, l’autre croate, se livrent à un concours de monstruosités. Viols, tortures, supplices raffinés se succèdent. Faut s’accrocher !
J’avais apprécié son précédent livre Les démoniques malgré sa noirceur et sa violence. Mais ce n’était rien à côté des spectacles monstrueux décrits en détail dans ce présent ouvrage. Sans être d’une sensiblerie excessive il est quand même difficile de supporter un tel niveau d’horreur. Cette complaisance gratuite dans les atrocités me paraît totalement inutile. Si l’intention de l’auteur était de secouer, de mettre mal à l’aise le lecteur, c’est réussi. Sans nul doute ce livre provoquera la répulsion chez certains. D’autres m’objecteront que ce qui est décrit n’est plus ni moins que la réalité en temps de guerre et que l’impact n’aurait pas été le même si l’ultra-violence ici présente avait été édulcorée. Je pense que c’est céder à la facilité de décrire dans le détail les supplices infligés, qu’il aurait été tout aussi efficace de suggérer et de laisser le lecteur se créer ses propres images. Mais peut être est-ce plus subtil et plus difficile à réaliser ? On peut se demander à quel objectif correspond un tel déballage d’abominations : choquer ? montrer la sauvagerie, l’inhumanité ? Ou plus simplement faire étalage de perversité ? En quatrième de couverture, l’éditeur indique : « N’ayez pas peur ». Ce n’est pas la peur qu’inspire ce bouquin, c’est le dégoût.
C’est bien dommage que le roman soit ainsi plombé par son côté gore. On ne retient que ça alors que d’autres qualités sont de ce fait sont totalement estompées par des tableaux d’épouvante rebutants. Et pas la moindre lueur d’espoir, pas le moindre rayon de soleil ne viennent éclairer les ténèbres, comme c’était le cas dans Les démoniaques. Rien de positif, tout est noir, très noir. La justice et le droit sont représentés par l’avocate serbe Irena Ilić qui traque les criminels de guerre de quels côtés qu’ils soient. Mais elle est mourante, ravagée par un cancer. Le bien est à l’agonie tandis que le mal triomphe. Cependant je dois reconnaître qu’il y a quelque chose d’envoûtant et d’hypnotique dans cette noirceur sans fond. D’autre part Köping est parfaitement documenté, il connaît en profondeur les sujets dont il parle. Son écriture est percutante et incisive, dépourvue de fioritures inutiles. Des qualités indéniables qui se remarquent tout de même.
Finalement, outre l’horreur, l’auteur montre que :
– Des psychopathes profitent de la guerre pour laisser libre cours à leurs pulsions destructrices.
– L’homme est capable de tout, surtout des pires abjections.
– Le mal est partout et il triomphe.
Si la violence, le viol, les tortures vous effraient ce livre est déconseillé. Si vous n’êtes pas dans cette catégorie nous pouvez lire Le Manufacturier, émotions fortes garanties !
Extrait :
La réplique prouvait en tout cas à Marthe qu’elle ne s’était pas trompée. Aleksandar était mouillé d’une manière ou d’une autre dans la mort de Sanja et de son fils. Et les quatre, là, avec leur sale gueule mal rasée d’égorgeurs, ils puaient le meurtre à plein nez. Elle les avait vus arriver chez eux, à sa table, des criminels identiques à ceux-là, dans les années 80, quand Radomir était devenu un fervent ultranationaliste. Ils avaient débarqué, la fureur plein la gueule, mousseux et enragés, affolés par les odeurs des massacres à venir. Ceux d’en face, chez les Croates et les Bosniaques, ne valaient pas mieux. Les mêmes ordures fanatiques, sous des bannières différentes, tous avec de grands principes pour justifier leurs horreurs et maquiller leurs forfaits. Et les peuples imbéciles de suivre en bêlant, moutons qui méritaient finalement le carnage qu’ils appelaient de leurs vœux. Tous ces pourris qui précipitaient le pays dans la guerre civile… Quant à son mari, l’homme qu’elle avait aimé et épousé, qu’était-il devenu ? L’effondrement du communisme avait révélé ses appétits et à sa véritable nature. Cet homme cultivé s’était peu à peu transformé en un machiavélique pousse-au-crime, un politique corrompu, puis un membre éminent de la Sûreté. Il avait bercé Aleksandar, encore un gamin, de ses visions d’une Grande Serbie, et lui, son fils, devenu un adolescent à la froideur détestable, un sociopathe avéré, il avait deviné tout le parti qu’il y aurait à tirer d’une guerre, pour assouvir ses penchants sadiques. Sa progéniture n’était qu’un tueur en série habillé d’une commode idéologie.
Niveau de satisfaction :
(3 / 5)
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