Par Raymond Pédoussaut
Date de publication originale : 2019 (Flammarion)
Genres : Essai, prospective écologique
Quand une reine du polar, une de celles qui vendent le mieux ce genre de littérature, est hantée par la crise écologique au point qu’elle trouve dérisoire d’écrire un nouveau polar pour se consacrer à la mission d’informer le lecteur, ça interpelle. Un modeste blogueur comme moi peut, dans ce cas, écrire une chronique qui sort de son domaine de prédilection : la littérature noire. C’est le cas ici.
Commençons par le début : Pourquoi ce livre ? L’auteure opère une séparation entre deux types de population : Eux, ce sont nos gouvernants et les industriels milliardaires à la tête des lobbies qui les tiennent sous leur coupe et Nous, les gens, une addition de milliards d’individus différents et pensants. Eux, dissimulent ce que Nous aurions dû savoir, si bien que nous avons continué d’avancer à l’aveugle, inconscients et crédules, laissant continuer la destruction du monde. D’où ce livre pour lutter contre cette intolérable désinformation.
S’en suit une longue énumération des menaces qui pèsent sur notre monde mais aussi les solutions ou innovations qui permettraient d’y remédier. Cette partie, jugée indispensable par son auteur, est assez austère et truffée de renvois vers les sources utilisées. C’est un peu aride, bien que très riche en informations. Cela permet aussi de se rendre compte de la quantité de travail que s’est infligée Vargas pour écrire son livre. Il fallait qu’elle soit vraiment motivée !
Ainsi nous apprenons que face à la situation critique de notre monde, il existe plusieurs types de personnes :
– les partisans du déni : ils choisissent le refus de savoir, l’ignorance, l’évitement
– les collapsologues (familièrement les collapsos), tenants de l’effondrement ou collapse, ils prédisent un effondrement général si rien n’est fait
– les survivalistes anticipent la catastrophe imminente et s’y préparent en essayant d’apprendre à survivre en dehors du confort, du monde urbain. Une variante : les survivalistes riches qui se préparent de façon tout autre en s’armant jusqu’aux dents, construisant des bunkers et y stockant des vivres
– et enfin les espérantistes : ils espèrent que les actions actuelles et à venir arriveront à éviter le cataclysme. L’auteure se situe dans cette dernière catégorie.
Vous serez aussi éclairés sur les courbes de Meadows. Ce sont des simulations mathématiques sur les limites de la croissance. Modélisé depuis 1970 et appliqué à la période 1970-2010, le scénario qui correspond à ce qui s’est réellement passé est celui de Business as usual (« Les Affaires comme toujours »). Et si l’humanité continue à suivre un tel scénario, voilà ce qui s’annonce : – la quantité des ressources non renouvelables continuera de décliner très fortement jusqu’en 2030 – La production industrielle par habitant après un pic retombera en 2100 à celle des années 1920 – La nourriture par habitant décrochera et descendra pour atteindre en 2100 un niveau légèrement inférieur à 1900 – Les services par habitant, atteindront leur pic vers 2025 avant de s’effondrer pour aboutir en 2100 à un niveau un peu inférieur à celui de 1900 – La population mondiale augmentera jusqu’en 2030-2035 puis chutera lentement, égalant en 2100 son niveau de 1975. Enfin la pollution globale : elle croîtra fortement jusqu’en 2030-2035, puis chutera pour atteindre en 2100 le niveau de 1950. Pas d’apocalypse donc mais un retour en arrière. Ce serait presque rassurant mais deux paramètres très aggravants n’ont pas été pris en compte : le réchauffement climatique et la perte de la biodiversité.
Les mots clés du désastre qui a commencé sont Argent et Croissance. « Pour que l’argent continue à entrer à flots, à accroître encore et encore leurs milliards de milliards quasi exemptés d’impôts ou bien nichés à l’abri dans les planques fiscales, il faut de la croissance. Pour que cette croissance persiste et augmente, il faut donc que les gens achètent, consomment, tout et n’importe comment, mais toujours plus. » Quant aux responsables, ils sont nombreux mais Vargas en cible plus particulièrement deux : l’agriculture et l’élevage intensifs et l’industrie agroalimentaire.
Ce livre est assez touffu et l’impression de fouillis est accentuée par l’absence de parties bien identifiées et de chapitres qui auraient donné un peu d’air à la masse compacte d’informations qui nous est assénée dans le plus pur style livraison en vrac. On sent vraiment que l’auteure s’est concentrée sur le contenu et le message plus que sur la structure du livre.
Rappelons que Fred Vargas, avant d’être auteure à succès, est aussi docteur en archéozoologie et a exercé comme chercheur au CNRS. Elle a donc une solide formation scientifique, ce qui la rend tout à fait légitime pour aborder un sujet aussi lourd que l’avenir de l’humanité. Il est incontestable qu’elle a dû consacrer beaucoup de temps et d’énergie pour écrire cet ouvrage, probablement bien plus que pour écrire un polar. Elle s’est attaquée à cette tâche difficile avec conviction mais aussi avec quelques doutes semble-t-il. Il y a peut être un peu de naïveté ou de maladresse, parfois un manque de rigueur, ce qui n’ôte rien à son mérite. Certains esprits forts, ceux qui savent toujours tout, trouveront qu’il n’y a rien de nouveau et que les arguments sont convenus. Je leur ferai remarquer que malgré les avertissements des experts, rien n’a fondamentalement changé. Alors qu’une personnalité d’une notoriété certaine dans un tout autre domaine lance elle aussi un cri d’alerte ne peut être que bénéfique car elle va toucher un public complètement différent et c’est tant mieux. Remercions plutôt Fred Vargas d’affronter ce problème avec une telle détermination. Pour ma part j’ai appris certaines choses, fixé et précisé certaines autres. Et puis ce n’est pas si courant qu’un écrivain lève les yeux de la courbe de vente de ses bouquins pour se lancer hardiment dans une nouvelle direction risquée, de s’exposer ainsi aux critiques plutôt que de pondre un nouveau best-seller lucratif. Saluons cette démarche salutaire, et espérons-le influente.
Extrait :
Mais nous y sommes.
À la Troisième Révolution. Qui a ceci de très différent des deux premières (la Révolution néolithique et la Révolution industrielle, pour mémoire) qu’on ne l’a pas choisie.
« On est obligés de la faire, la Troisième Révolution ? » demanderont quelques esprits réticents et chagrins.
Oui. On n’a pas le choix, elle a déjà commencé, elle ne nous a pas demandé notre avis. C’est la mère Nature qui l’a décidé, après nous avoir aimablement laissés jouer avec elle depuis des décennies. La mère Nature, épuisée, souillée, exsangue, nous ferme les robinets. De pétrole, de gaz, d’uranium, d’air, d’eau.
Son ultimatum est clair et sans pitié : Sauvez-moi, ou crevez avec moi (à l’exception des fourmis et des araignées qui nous survivront, car très résistantes, et d’ailleurs peu portées sur la danse).
Sauvez-moi, ou crevez avec moi. Évidemment, dit comme ça, on comprend qu’on n’a pas le choix, on s’exécute illico et, même, si on a le temps, on s’excuse, affolés et honteux. D’aucuns, un brin rêveurs, tentent d’obtenir un délai, de s’amuser encore avec la croissance.
Niveau de satisfaction :
(4 / 5)