Par Michel Dufour
Date de publication originale : 2002
(Il Commissario Bordelli)
Date de publication française : 2015
(Ed Philippe Rey, 10/18)
Traduction : Nathalie Bauer
Genre : Enquête
Personnage principal : Commissaire Bordelli
Quand Camilleri nous recommande un auteur, on n’hésite pas. Le commissaire Bordelli est le premier roman d’une série de polars qui se passe à Florence dans les années 60, romans d’enquête menée justement par le commissaire Bordelli. Comme le Montalbano de Camilleri, Bordelli (53 ans, nostalgique et solitaire, mais gourmand et amical) est flanqué de deux principaux assistants : Mugnai, un policier d’expérience, et Piras, un jeune Sarde dont le père a fait la guerre avec Bordelli, qui lui aurait sauvé la vie. Son patron, le commissaire divisionnaire Inzipone, garant de la loi et l’ordre, tente en vain de discipliner Bordelli, qui établit de trop bons rapports avec les petits truands, et qui agit selon la vie plutôt que selon le code. Bordelli peut se permettre d’affronter directement Inzipone, à cause de sa réputation de soldat et de policier, et du fait que son équipe l’aime bien. C’est là une différence d’avec Montalbano, qui ruse plutôt avec son supérieur, et qui est souvent bête avec ses hommes, qu’il aime bien quand même. Autre personnage espérons récurrent, le vieux légiste Diotivede, qu’il ne faut pas presser, solitaire lui aussi mais capable d’apprécier la bonne compagnie et une table bien garnie.
Nous sommes à Florence à l’été de 1963. Une chaleur d’enfer. Une vieille femme riche, Mme Pedretti, semble avoir succombé à une crise d’asthme, mais quelques indices suggèrent plutôt un assassinat. Ce ne sont pas les suspects qui manquent : les neveux Anselmo et Giulio et leurs épouses, qui mènent un train de vie extravagant et flambent beaucoup d’argent; le frère de la victime, Dante, génie inventif et original, qui consacre un certain temps à élever les rats de son appartement, et qui poursuit Bordelli de questions philosophiques : « La mort, la conscience, la vie, le mal… ». Et la résurrection de la chair ?!
L’enquête se poursuit lentement et n’empêche pas Bordelli de vivre et de fréquenter la trattoria Da Cesare où « il avait l’impression de manger entre amis ». Le commissaire organise aussi un souper chez lui pour le plaisir : d’abord et avant tout, Botta, voleur distingué et chef cuisinier incomparable; son ancien coéquipier, le truand malchanceux Canapini, que Bordelli surprend chez une vieille amie prostituée à la retraite, dont il doit arroser les plantes, tâche que Canapini assumera dorénavant pour se faire pardonner cette incartade dans l’appartement d’une amie du commissaire; le légiste Diotivede pour qui Botta a préparé une soupe lombarde; l’étonnant Dante qui mène la conversation; le policier Piras, qui a justement confectionné quelques gâteaux sardes; et le psychanalyste Fabiani tout-à-fait à l’aise dans une assemblée aussi hétéroclite.
On le voit, l’aspect social de la vie de Bordelli est important. Ça ne signifie pas que le modus operandi de (ou des) l’assassin est négligé. Mais, on n’a pas affaire à un Poirot, encore moins à un James Bond. Le lecteur baigne dans une atmosphère agréable, malgré la chaleur accablante, les personnages sont attachants et le commissaire sympathique. La ville de Florence est moins exploitée que la Venise de Brunetti, mais elle demeure une toile de fond bien agréable.
Bref, un roman que je quitte avec regret, mais un auteur que je retrouverai avec plaisir.
Extrait :
« Tu ne veux pas nous dire ce que nous attendons ? » Diotivede avait ôté ses lunettes, il arpentait la chambre de Mme Pedretti, les mains croisées dans le dos. Il brûlait de découvrir pourquoi Bordelli avait organisé cette visite subite à la villa à 20 h 30. Le soleil se couchait lentement, teintant le ciel d’orange. La chaleur était beaucoup plus supportable qu’en ville. Assis devant le secrétaire, Piras était plongé dans ses réflexions. Pour ne pas le gêner, le commissaire fumait à la fenêtre en consultant sa montre à tout instant (…) Il n’avait pas encore répondu à la question de Diotivede, qui insista :
« Nous sommes ici depuis une demi-heure. Peux-tu nous dire ce que nous attendons ?
– Pas encore, Diotivede, pas encore.
– Bah !
– Je n’ai pas l’intention de jouer les mystérieux.
– Ah non ?
– Je veux juste être certain de ne pas m’être trompé. As-tu apporté ton microscope ?
– Tu me l’as demandé, donc je l’ai apporté.
– Bien.
Bordelli ne cessait de surveiller la porte ouverte. Au bout de quelques minutes, il déclara : « Nous y sommes, c’est presque l’heure. Si j’ai vu juste, l’assassin ne va pas tarder à entrer.
– Monsieur, devons-nous éteindre la lumière ?
– Ce n’est pas nécessaire. »
Diotivede chaussa ses lunettes et laissa échapper un sourire. « D’après moi, c’est une plaisanterie. Piras, vous ne savez pas encore qui est vraiment Bordelli. Un casse-couilles.
– Chut, je ne voudrais pas qu’il prenne peur. »
Bordelli consulta sa montre encore une fois : « Il est 21 heures précises. Ne parlez pas trop fort. Il va entrer et s’allonger sur le lit ».
Niveau de satisfaction :
(4,3 / 5)