L’excursion à Tindari – Andrea Camilleri

Par Michel Dufour

Date de publication originale : 2000 (La Gita A Tindari)
Date de publication française : 2002 (Fleuve Noir, Poche)
Traduction : S. Quadruppani et M. Loria
Genre : Enquête
Personnage principal : Commissaire Montalbano

Il y a des livres comme celui-là que je laisse de côté pour des jours où la déprime me gagnerait. Ce Camilleri, je crois que je l’avais franchement oublié au fond d’une boîte. J’ai retrouvé, du même coup, cette atmosphère du Sud de l’Italie fort particulière, qui sert ici de cadre à une intrigue policière complexe qui met à l’épreuve le pouvoir intuitif du commissaire Montalbano.

Dans une maison appartements de Vigata, un jeune don juan, Nenè Sanfilippo, se fait tuer d’une balle en plein front, et un couple de vieillards, les Griffo, disparaît la même journée au cours d’une excursion à Tindari, dans une activité pour âge d’or. Dans le cas de Nenè, deux indices ouvrent une piste : son besoin d’argent pour soutenir le train de vie qu’il mène; un paquet de lettres amoureuses et érotiques avec une dame apparemment mariée. Quant aux Griffo, qui mènent une vie tranquille et retirée, on ne comprend guère leur disparition, sauf qu’on apprend que tout au long du voyage une voiture les suivait, et qu’ils possèdent en banque une grosse somme d’argent dont leur fils est incapable d’ éclairer la provenance.

En même temps que Montalbano et Mimi (devenu son adjoint) poursuivent leurs enquêtes, le commissaire s’efforce de contourner le questeur qui aimerait se vanter de l’avoir mis au pas, c’est-à-dire sous sa botte, et, sur le plan sentimental, qui n’est pas la dimension préférée du maladroit Montalbano, ses hésitations entre la jolie Ingrid et la fidèle Livia risquent de perturber sa lucidité habituelle. Pour ajouter à la confusion, le parrain d’un des deux clans mafieux de Sicile, Balduccio Sinagra, le convoque soi-disant pour lui fournir quelques informations, mais Montabano se doute bien que c’est dans le but de l’utiliser, sans savoir ni comment, ni pourquoi.

Par ailleurs, les problèmes récurrents de Mimi avec les femmes nuisent souvent à son aptitude à discerner et à sa concentration sauf que, dans ce cas où il étudie la correspondance entre Sanfilippo et sa maîtresse, son expérience lui servira : le motif de son exécution semble se révéler. Et s’ouvre obscurément une nouvelle piste pour relier son assassinat à la disparition des Grillo.

Je me suis permis de simplifier pour ne pas effrayer le lecteur. Et pour le convaincre que l’intrigue n’est pas qu’un prétexte pour développer une tranche de vie sicilienne et les relations intéressantes entre les coéquipiers de Montalbano : l’expérimenté Fazio, le tout feu tout flamme Mimi, et le pauvre Catarella si dévoué mais tellement desservi par son langage tarabiscoté.

Montalbano n’est pas le héros qu’on souhaiterait, malgré ses méditations intuitives, à cause de son mauvais caractère avec ses hommes, mais on finit par comprendre que c’est parce qu’il les aime bien, et je pense ici surtout au tour hypocrite qu’il joue à Mimi. Au fond, on s’attache quand même à lui parce qu’il partage nos imperfections et nos impuissances.

L’humour de Camilleri allège continuellement le récit, comme cette description des familles qui habitent la résidence des Grillo et de Nenè. On se croirait parfois dans une histoire surréelle de Boris Vian. Ou comme l’aventure du vice-questeur à New-York, lors d’un Congrès organisé par le maire Giuliani sur Tolérance Zéro, ou la façon efficace d’irradier la criminalité dans une grande ville, et qui se fait tirer dans une jambe et voler son portefeuille.

Intrigue policière complexe, donc, résolue avec effort et intelligence, mais aussi roman d’atmosphère qu’on aime retrouver parce que, malgré tout, ça nous rappelle que la vie vaut la peine d’être vécue.

Extrait :
– Vous prenez quelque chose ? demanda don Balduccio en tendant une main vers le tableau de commande à trois boutons fixé sur le bras du divan.
Non, merci.
Montalbano ne put se retenir de se demander à lui-même à quoi servaient les deux boutons restants. Si l’un faisait venir la femme de chambre, le deuxième, probablement, convoquait le tueur de service. Et le troisième ? Celui-là déclenchait peut-être une alarme générale capable de provoquer quelque chose de semblable à une Troisième Guerre mondiale.
Dites-moi, par curiosité, commença le vieux en arrangeant le plaid sur ses jambes, si, tout à l’heure, quand vous êtes entré ici, je vous avais tendu la main, vous me l’auriez serrée ?
« Ah la bonne question, très grand fils de radasse ! », pinsa (sic) Montalbano.
Et aussitôt, il décida de lui donner une réponse qu’il sentait sincère.
Non.
Vous pouvez m’expliquer pourquoi ?
Parce que nous deux, nous nous trouvons des deux côtés opposés de la barricade, monsieur Sinagra. Et pour l’instant, il n’y en a plus pour longtemps, mais l’armistice n’a pas encore été proclamé.
Le vieux se racla la gorge. Puis il se la racla une autre fois. Ce n’est qu’alors que le commissaire comprit que c’était un rire.
Il n’y en a plus pour longtemps ?
Déjà, des signaux il y en a.
Espérons. Passons aux choses sérieuses. Vous, dottore, vous êtes certainement curieux de savoir pourquoi j’ai voulu vous voir.
Non.
Vous, vous savez seulement dire non ?
En toute sincérité, monsieur Sinagra, ce qui, pour moi, comme flic, m’intéresse sur vous, je le connais déjà. J’ai lu tous les dossiers qui vous concernent, même ceux qui vous concernaient quand je ne devais pas encore être né. En tant qu’homme, en fait, vous ne m’intéressez pas.
Vous pouvez m’expliquer, alors, pourquoi vous êtes venu ?
Parce que je ne me crois pas important au point de refuser de parler à qui me le demande.
Bien dit, approuva le vieux.

Tindari

Niveau de satisfaction :
4.3 out of 5 stars (4,3 / 5)

 

 

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