Par Raymond Pédoussaut
Date de publication originale : 2019 – L’Archipel
Genres : Roman noir, historique
Personnage principal : Nadia Kasmi, jeune femme algérienne, athée
Nadia Kasmi doit fuir l’Algérie : sa mère a été égorgée dans sa boulangerie par des fanatiques islamistes qui ne supportaient pas sa liberté. Elle se réfugie en France chez un cousin éloigné qui tient, lui aussi, une boulangerie dans le village de Fleurdécieux, dans le haut bocage vendéen. Elle est accueillie chaleureusement chez son parent et le village tout entier fête son arrivée. Jusqu’à ce qu’on apprenne qu’elle est l’arrière-petite-fille d’Henri Brissaud, le boulanger du village jusqu’en 1906. Dans cette région royaliste et catholique, en 1906, après le vote sur la loi de la laïcité, ce boulanger républicain s’est donné la mort après avoir subi une sorte d’excommunication religieuse et civile dirigée conjointement par le curé et le comte député de la circonscription. Les circonstances de la mort du boulanger et son étrange testament sont encore dans la mémoire des habitants. L’arrivée de Nadia va faire remonter à la surface cette histoire, vieille de cent ans. L’histoire du Boulanger du Diable semble se reproduire à Fleurdécieux.
L’auteur s’est librement inspiré d’une histoire vraie pour bâtir son roman. Juste après le vote de la loi de la séparation des Églises et de l’État (1905), la tension qui régnait en Vendée, région de résistance aux lois républicaines, va s’exacerber dans le village bien nommé Fleurdécieux suite à l’arrivée de soldats chargés de faire l’inventaire des biens de la paroisse. Le curé, alors tout puissant, ne supporte pas l’initiative du boulanger qui a donné un abri aux soldats. Appuyé par le châtelain local, ils vont tous deux condamner le boulanger à la misère en ordonnant à la population de plus acheter son pain. Après une période de résistance, le boulanger finira par se suicider. Ainsi d’un côté à l’autre de la Méditerranée, mais avec près de cent ans d’écart, des religieux condamnent des gens à mort simplement parce qu’ils ne partagent pas les mêmes idées. Parallélisme parfait entre les deux situations : celle de la France de 1900 et celle de l’Algérie à la veille de l’an 2000.
L’auteur ne se contente pas d’une dénonciation du fanatisme, il élabore aussi une intrigue prenante. Des testaments étranges, contradictoires avec les choix de vie, étonnent beaucoup : comment un boulanger laïque et républicain peut-il léguer ses biens à la paroisse au détriment de son épouse adorée ? Au fil des révélations du cousin et d’un vieil excentrique qui connaît le fin mot de l’histoire, s’installe un bon suspense.
Autre qualité du roman : une palette de personnages crédibles et consistants. Nadia est une jeune femme fragile par sa situation mais elle sait se montrer libre et impertinente. Elle est athée et allergique à toute contrainte religieuse. Le cousin Jacques, militant républicain, est un éternel opposant politique dans cette région où le curé et le comte font la loi. Quant à l’arrière-grand-père Henri, il est mort il y a cent ans, mais son ombre plane toujours sur le village.
L’écriture claire, précise et fluide rend la lecture facile et agréable.
La Boulangère du Diable est un livre passionnant abordant avec bonheur des thèmes aussi différents que l’intolérance religieuse, le poids de l’histoire, les secrets enfouis et l’identité familiale. Un excellent roman !
Extrait :
Parmi les carnages les plus insensés, les saignées religieuses tiennent sans doute le pompon. Moi, Algérienne anonyme et vaguement vendéenne, je ne prétends pas faire concurrence à Georges Brassens qui considère la guerre de 14-18 comme le modèle de la folie humaine, mais tout de même ! La Saint-Barthélemy pour l’hymen d’une vierge enceinte, Charlie Hebdo pour quelques poils de barbe, des batailles de tabernacles, des lapidations pour avoir dessiné des créatures de chair et de sang, des chambres à gaz, des croisades, des djihads, des femmes sous cloche, des bûchers, des lapidations, des humains qui se font sauter au milieu d’autres humains, des mitraillages à bout portant en vue d’une récompense dans l’au-delà, c’est à se taper la tête contre les murs ! Existe-t-il démence plus avancée, sauvagerie plus raffinée, que celles prônées par des prêcheurs costumés, triturant leurs écrits surannés baptisés Textes saints, pour en extraire la liqueur de leurs fantasmes ?
Qui avait donc choisi ce vieux refrain pour accompagner les compagnons morts dans la nuit, l’officier ou les soldats eux-mêmes ? Le village était empli de ces voix d’hommes qui résonnaient entre les maisons, avec entre chaque vers un silence cadencé par la marche, une, deux, une, deux, et ces petits mots naïfs lancés derrière des morts, « qu’il fait bon, fait bon, fait bon dormir », en devenaient déchirants.
Auprès de ma blonde (marche militaire du XVIIe siècle)
Niveau de satisfaction :
(4,5 / 5)
Coup de cœur