Par Michel Dufour
Date de publication originale : 2011 (La Courte Échelle)
Genres : Enquête policière et vie de famille
Personnage principal : Maud Graham, détective à la police de Québec
Je me suis dit que, après l’univers invraisemblable de Patricia Cornwel, un petit voyage du côté de Chrystine Brouillet entre Montréal, Québec et Rimouski me soulagerait de mes frustrations et de l’agressivité qui s’ensuit. Pour un changement, ce fut réussi.
Les romans de Brouillet s’apparentent aux cozy mysteries (Grimes, Wentworth, Izner, Braun), sauf que l’enquête est effectuée par une professionnelle, la détective Maud Graham de la police de Québec et que les scènes brutales ne nous sont pas toujours épargnées. Mais les Québécois reconnaissent le paysage, retrouvent des coins de la ville familiers, particulièrement des restaurants, une façon de parler, bref un ensemble de points de repère qui est rassurant et qui nous donne parfois l’impression de lire les nouvelles quotidiennes (qui comprennent évidemment des crimes crapuleux et des meurtres affreux). De plus, une bonne partie du roman s’attarde sur la vie de famille de Graham, de ses protégés, y compris son chat Léo, et ses collègues de travail avec qui elle a développé des amitiés solides, ce qui est aussi typiquement québécois, par contraste avec une société française où la hiérarchie apparaît encore comme une valeur dominante et où la virilité des mâles se sent en péril quand une femme est au poste de commande. Ce sentiment de proximité produit parfois des effets négatifs : trop près de nous pour être un vrai polar! Mais ça peut aussi être fort plaisant et rendre les intrigues plus concrètes, comme on dit.
Le problème avec les romans de Brouillet n’est pas tout à fait là. Une fois mis à part l’aspect un peu rapide de l’écriture qui se traduit par des abus de pronoms personnels où le lecteur se perd parfois, ou des confusions de nom qui échappent à une relecture (Maxime au lieu de Michaël, à la p.236), on a l’impression que ce qui intéresse l’auteure c’est la vie et la personnalité de ses personnages récurrents plutôt que l’intrigue policière comme telle. Ce roman-ci est typique de ce que je veux dire. D’abord, le titre est un peu trompeur : il y a 15 ans, une mère a perdu son fils qu’elle croit mort, et le fils en question a été adopté, donc a perdu sa mère. A la rigueur, on peut parler de disparition, sauf qu’une fois que la mère adoptive meurt et que le fils part à la recherche de sa mère, il la retrouvera assez rapidement. Le suspense est ici plutôt : comment le fils doit-il aborder sa mère, qui le croit mort? D’autre part, la véritable disparition est celle de la petite Tamara enlevée par deux pédophiles. Après une brève recherche, les deux complices sont arrêtés et, peu de temps après, on découvre Tamara.
Comme il reste encore une centaine de pages, on s’attend à un rebondissement qui va nous renverser complètement. Et c’est alors que le lecteur perçoit son erreur. Cette histoire de la petite Tamara n’était qu’une sorte de prétexte pour nous permettre d’observer, par ricochet, les réactions des collègues de Graham, et surtout de l’entourage immédiat de Graham, notamment de son fils adoptif Maxime, de son ami Michaël et de leur nouvelle connaissance Trevor. On se demande comment se terminera la fugue de Trevor et Michaël à Montréal. Et la mère hystérique de Michaël, qui surprotège son fils, a presque l’air d’être justifiée quand Trevor perd en partie son équilibre psychique. Faut dire que ces étudiants de Cegep ont la maturité de très jeunes ados qui entrent au secondaire. Les anxiétés de Graham semblent donc aussi justifiées dans ce qui apparaît comme un vibrant plaidoyer en faveur des mères qui s’efforcent de se guérir de leurs angoisses en maintenant leurs enfants dans un univers puéril aseptisé, en les castrant psychologiquement : l’autonomie, la bière, le sexe, un joint : LE MAL! Bien des mères doivent se sentir rassurées.
On s’éloigne du polar, sans doute, mais pas du roman. Brouillet, elle le confiait dans une entrevue, aime trop ses personnages récurrents pour pouvoir se priver de continuer à écrire sa série des Maud Graham. Le lecteur baigne dans ce monde amical et solidaire; l’univers sordide des crimes apparaît comme le faire-valoir de ce monde chaleureux où il fait bon vivre. Et on comprend maintenant pourquoi l’intrigue comme telle n’intéresse pas tellement l’auteure. Ce qui l’intéresse ce sont les effets de l’enquête sur les relations personnelles entre les collègues, les amis, la famille. Family life!
Soyons donc prévenus : Double disparition n’est pas un polar, c’est un Brouillet.
Ma note : (3 / 5)