On n’a pas toujours du caviar – Johannes Mario Simmel

Par Michel Dufour

Date de publication originale : 1960
(Es Muss Nicht Immer Kaviar Sein)

Date de publication française : 1966 (Robert Laffont)
Traduction de l’allemand : Paul Lavigne
Genres : Espionnage, aventure
Personnages principaux : Thomas Lieven, banquier et espion malgré lui

Quand j’étais dans la jeune vingtaine, après avoir épuisé les Agatha Christie et les Conan Doyle, j’étais tombé par hasard sur ce roman de Simmel qui m’avait bien satisfait. Je l’ai revu dernièrement en Pavillons Poche et j’ai voulu voir l’effet qu’il me faisait encore une cinquantaine d’années après. Simmel n’a pas beaucoup écrit, c’était d’abord un ingénieur chimiste, mais on a vendu plus de 30 millions d’exemplaires de ce roman. J’ai fait le pari qu’il n’avait pas trop vieilli.

En 1939, Thomas Lieven, d’origine allemande, a 30 ans et est un des banquiers les plus respectés à Londres. L’Allemagne et l’Italie viennent de signer le Pacte d’acier. Thomas se rend à Cologne pour rendre service à son associé Marlock et tombe dans un piège : la Gestapo l’arrête et le menace de travaux forcés; la seule façon de se sortir de ce merdier c’est d’accepter de travailler comme agent secret pour la Wehrmacht. Lieven parle couramment l’allemand, l’anglais et le français. Atout non négligeable pour un espion. Sauf qu’il est pacifiste, antiraciste, contre les uniformes et les hymnes nationaux, et contre le fait de tuer quelqu’un. Bref, c’est un idéaliste de type humaniste : « Je me plais à imaginer une époque où tous les hommes cohabiteront sur cette terre harmonieusement (…) Je propose que, pendant quelque temps, nous nous attachions moins à croire qu’à réfléchir (…) Je lève mon verre à la raison humaine ».

Revenant en Angleterre, heureux d’avoir échappé à la Gestapo et à la Wehrmacht grâce à une promesse qu’il n’entend pas honorer, le jeune homme se voit interdit de séjour en Angleterre, sauf s’il accepte de travailler contre l’Allemagne pour le Secret Service. Toujours un peu naïf, il croit se libérer en allant à Paris mais là aussi on l’arrête, sauf s’il accepte de travailler pour le Deuxième Bureau. En 96 heures, le banquier compétent et antiviolence se trouve maintenant à travailler pour l’Abwehr allemande, le Secret Service britannique et le Deuxième Bureau français.

Et ce n’est que le début. De 1939 à 1957, Thomas Lieven aura 16 passeports utilisables dans 9 pays différents. Même après la guerre, il devra se frotter à la Sûreté Soviétique et au FBI américain. Une seule arme de dissuasion massive : ses qualités gastronomiques (on hérite d’ailleurs d’un bon nombre de ses recettes). Et un atout à double tranchant : son amour des femmes qui parfois l’aimeront et, souvent, le trahiront.

De Marseille au Portugal, (où il apprend beaucoup d’un grand faussaire, et où un stage dans les prisons lui permet de rencontrer un petit criminel sympathique qui lui apprend foule de trucs), avec les maquisards français tapis dans les montagnes, et auprès de l’amiral Canaris, Thomas sillonne l’Europe à la recherche du repos, mais toujours écartelé entre ceux qu’il poursuit et ceux qui le recherchent pour l’éliminer.

En 1957, Lieven parvient à faire arrêter le grand espion soviétique Rodolphe Ivanovitch Abel, colonel des Services de renseignement soviétiques, qui dirigeait depuis 10 ans un énorme réseau d’espions à partir de son appartement newyorkais. Pour le récompenser, Edgar Hoover respecta sa promesse : faire disparaître une fois pour toutes Thomas Lieven.

Le rythme est endiablé. Les aventures se succèdent, les amantes se substituent les unes aux autres, les trahisons se multiplient, quelques amitiés se nouent, de grands repas ménagent quelque pause réparatrice. Le lecteur en ressort tout étourdi. Un énorme divertissement, situé quelque part entre les Tintin et les James Bond. Simmel n’a pas le temps de s’étendre sur la complexité des personnages ou sur l’idéologie pacifiste de Lieven. Quelle que soit leur nationalité, les espions se ressemblent tous; ce qui change, et à toute vitesse, ce sont les décors. Comme dit Lieven : « Dans ma vie, les événements se répètent avec une monotonie paralysante. Je monte une combine louche – et tout le monde m’adore : il pleut des distinctions, de l’argent, des baisers, et je suis le chéri des patries respectives. Je fais quelque chose de bien – et, paf ! je retombe dans la merde ».

Au total, le roman a un peu vieilli, mais sans doute moi aussi. Au sens où, en général, j’en demande un peu plus à un polar, un thriller ou un roman d’espionnage. Mais je ne lève pas le nez sur un bon divertissement : après tout, on n’a pas toujours du caviar !

Extrait :
La vie la plus atroce, se dit-il, est préférable à la plus glorieuse des morts. Néanmoins, mis en présence de l’amiral à cheveux blancs, il ne cacha nullement ses principes.
« Monsieur Canaris, je vais travailler pour vous parce que je n’ai pas le choix. Mais je me permets de vous faire remarquer que je refuse de tuer, de menacer, de tourmenter ou de kidnapper qui que ce soit. Si ce sont là les tâches que vous avez prévues pour moi, je préfère retourner avenue Foch. »
L’amiral secoua la tête avec un regard mélancolique.
« Monsieur Lieven, la mission dont j’aimerais vous charger a pour but d’éviter l’effusion de sang et de sauver des vies humaines, dans la mesure où cela est encore en notre pouvoir. (Canaris éleva la voix). Des vies allemandes et des vies françaises. La chose vous paraît-elle sympathique ?
Sauver des vies humaines me paraît toujours sympathique. Sans distinction de nationalité ou de religion.
Il s’agit de lutter contre de dangereux rassemblements de partisans français. Un de nos hommes nous a avisés qu’un fort groupe de résistance, nouvellement formé, s’efforce d’entrer en communication avec Londres. Vous n’ignorez pas que le War Office soutient la Résistance française et qu’il dirige un grand nombre de ces groupes. Le groupe qui nous préoccupe manque encore d’un émetteur-radio et d’un code. C’est vous qui leur fournirez l’un et l’autre, monsieur Lieven.
Ah ! dit Thomas.
Vous parlez couramment l’anglais et le français. Vous avec vécu en Angleterre pendant des années. Vous serez donc parachuté dans ce secteur de résistance et tant qu’officier britannique et vous emporterez un poste-émetteur. Un poste-émetteur spécial ».

Lisbonne, ville ouverte – 1940

 Niveau de satisfaction :
4.3 out of 5 stars (4,3 / 5)

 

 

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