Par Michel Dufour
Date de publication originale : 1976 (Last Seen Wearing)
Date de publication française : 2020 (L’Archipel)
Traduction : Élisabeth Luc
Genre : Enquête
Personnages principaux : Inspecteur Morse (Oxford)
C’est mon deuxième Dexter-Morse en peu de temps. Le charme de la nouveauté ne joue plus mais, au-delà de la séduction, mes observations gagnent en précision : je comprends mieux pourquoi j’ai été séduit.
Dans Portée disparue, le problème est simple : la jeune Valerie Taylor est disparue depuis plus de deux ans; l’excellent enquêteur Ainley s’est attelé à la tâche sans avoir rien découvert, sauf peut-être la dernière journée où il est allé à Londres mais, en revenant, il s’est tué dans un accident de voiture, sans avoir pu communiquer quoi que ce soit à qui que ce soit. Et, le lendemain, les parents de Valerie reçoivent une lettre de leur fille : « Tout va bien. Bons baisers, Valerie ».
On confie à Morse la mission de retrouver la petite, qui doit avoir maintenant 19 ou 20 ans. Morse est peu enthousiaste : d’une part, si Ainley n’a rien trouvé en 2 ans, il ne voit pas ce qu’il pourra faire de plus; d’autre part, il est persuadé que Valerie est morte et que, malgré l’opinion d’un spécialiste, la lettre envoyée aux parents est un faux. Armé de son fidèle sergent Lewis, il enquête auprès de l’entourage de la jeune fille au lycée Roger Bacon et dans sa famille, tout en écumant les pubs et les boîtes à strip-tease de Londres à la recherche d’une piste.
Servi par une imagination explosive qui déconcerte le pauvre Lewis, Morse entrevoit plusieurs pistes, la plupart brillantes, mais qui ne mènent nulle part. Cependant, comme disait l’autre, « une fois qu’on a éliminé l’impossible, ce qui reste doit être la vérité, même si elle est improbable ». Encore faut-il pouvoir déterminer ce qui reste et, dans ce cas-ci, c’est d’autant plus obscur que Morse ne tient pas tellement à ce que la vérité apparaisse toute nue.
Ce qui rend les romans d’enquête de Dexter captivants, c’est que lecteur est, la plupart du temps, dans la tête de Morse : nous sommes directement en contact avec sa façon de penser, plus exactement avec tout le travail de la réflexion qui examine des hypothèses, met à l’épreuve des arguments, imagine une issue, revient sur ses pas, et aboutit à une conclusion, qu’il restera à vérifier expérimentalement. Or, quand on a l’impression que tout est clarifié, (et qu’il reste encore le tiers du roman à lire), on s’aperçoit que quelque chose ne colle pas et, donc, que l’idée de Morse était fausse. L’inspecteur paraît alors découragé, démoralisé, il ingurgite quelques pintes de bière, passe une bonne nuit, et rebondit allégrement le lendemain matin, sûr de son coup cette fois. Le processus recommence sans nous lasser parce que les commentaires de Morse nous divertissent, que ce soit pour taquiner ou encourager Lewis, pour critiquer une interprète de Wagner, pour apprécier une silhouette féminine, ou pour traiter de con un con.
Dexter aime les jeux compliqués et le lecteur ne doit pas hésiter à revenir sur ses pas pour revoir une scène, relire un texte, vérifier un horaire. Souvent, au début d’un chapitre, des personnes parlent, ou quelqu’un écrit quelque chose, et on ne sait pas de qui il s’agit. Dexter exige de nous une attention constante. Et son humour, fin et discret, nous garde éveillés. Enfin, si la reconstitution d’un crime comporte une erreur, à nous de la dénicher.
Les esprits simples s’abstiendront. Dexter joue serré.
Extrait :
Il n’eut même pas l’idée de rentrer directement chez lui. Il était pleinement conscient, même s’il ne pouvait pas l’expliquer, du fait étrange que son esprit n’était jamais aussi résistant et alerte que quand il semblait abattu. Dans ces moments-là, son cerveau s’agitait en tout sens dans son crâne comme un tigre féroce dans une cage étroite, tournant en rond avec des grognements furieux et meurtriers. Pendant tout le trajet de retour, il avait eu l’impression d’être un joueur d’échecs vaincu après une lutte acharnée, qui revoit d’un œil critique ses mouvements, analysant les raisons de sa défaite. Déjà, une nouvelle idée très étrange germait au fin fond de son esprit et il fut impatient d’arriver.
À 23h57, il était penché sur le dossier Taylor avec la concentration frénétique d’une doublure de dernière minute qui n’a que quelques instants pour mémoriser un long texte.
À 2h30, le sergent de nuit, portant sur un plateau une tasse de café fumant, frappa doucement à la porte et entra. Il trouva Morse, les mains sur les oreilles, le bureau jonché de papiers, avec sur le visage une expression de si profonde intensité qu’il s’empressa de poser le plateau, referma la porte et s’éloigna vivement.
Niveau de satisfaction :
(4,5 / 5)