Dictionnaire amoureux du polar – Pierre Lemaitre

Par Raymond Pédoussaut

Date de publication originale :
2020 – Plon

J’ai dénombré pas moins de 133 dictionnaires amoureux et j’en ai peut-être oublié. Entre autres : Dictionnaire amoureux du vin, des chats, du Général, de Tintin, de Jésus, du diable, des papes, des menus plaisirs, du rugby, de l’inutile … Pierre Lemaitre vient d’en ajouter un nouveau à cette longue liste : le Dictionnaire amoureux du polar. L’auteur prévient d’entrée que les amateurs de définitions maîtrisées, de monographies exhaustives, d’analyses thématiques, etc. seront déçus. Lui, parle en tant que romancier et lecteur, il a fait un dictionnaire de ce qu’il aime, son outil principal est le pifomètre et en conséquence il ne faut pas lui en vouloir pour des oublis impardonnables, des injustices criantes, des jugements contestables.

D’Ackroyd (Roger) à Wolfe (Nero), l’auteur nous expose ses goûts en matière de polar. Comme le ferait un politicien en campagne, il ratisse large. Dans les entrées du dico, nous trouvons :
– des écrivains, célèbres, connus, oubliés ou inconnus
– des romans (une Assemblée de chacals, Aux animaux la guerre, La Bête qui sommeille, Le facteur sonne toujours deux fois …)
– des considérations sur l’histoire du polar, sur la littérature noire ou blanche, sur l’émotion, sur la mécanique narrative
– des effets narratifs (bombe sous la table)
– des films (Seven), des séries (Breaking Bad, The Wire)
– des éditeurs (Gallmeister, Guérif)
– des salons du polar (Quais du polar, Toulouse Polars du Sud)
– un bouquiniste (Bernard Terrade)
– un dessinateur de couvertures (Jean-Claude Clacys).

Parmi les auteurs, il y a les historiques incontournables : Boileau-Narcejac, Agatha Christie, Raymond Chandler, Dashiell Hammet, Jim Thompson, Simenon, Jean-Patrick Manchette … mais aussi un bon nombre de parfaits inconnus, comme par exemple Pierre Bayard, Vera Caspary, Roger Martin, Edogawa Ranpo. Signalons également quelques romans oubliés que l’auteur a exhumés : Le Destin de Mr Crump de Ludwig Lewisohn ou La peur au ventre de Stanley Ellin. Quelques absents signalés par Lemaitre lui-même : Michael Connelly, William Irish, Nick Tosches, ou David Goodis. Ces auteurs ne bénéficient pas d’une entrée mais sont quand même cités plusieurs fois. Tout comme Frédéric H. Fajardie. Michael Connelly n’a pas non plus son entrée mais son roman Le Poète, lui, a droit à un chapitre entier. William Irish est un cas curieux : en introduction il est cité parmi ceux qui ne figurent pas dans le dico alors qu’il a bel et bien son entrée (entre indridason et Izzo). On ne trouve pas Yves Ravey dans les rayons de polars, son éditeur les Éditions de Minuit le classe en littérature blanche mais Lemaitre le considère comme un auteur de polars à part entière, à juste titre. Il lui attribue une entrée.

On trouve aussi des choses étonnantes, comme cet écrivain en série marqué par la poisse : André Héléna, auteur de plus de 200 romans, autant dhistoires mal fagotées, de personnages stéréotypés, de structures à l’emporte-pièce, de clichés et d’argot daté qu’elle décourage le désir de mémoire et l’estime littéraire. Payé en espèces et sans contrat le plus souvent, Héléna sombrera dans l’alcoolisme et mourra à l’âge de 53 ans, oublié. L’entrée la plus courte fait une ligne, on peut la reproduire intégralement ici : Si quelqu’un sait quelque chose à son sujet, qu’il le dise ! Cela concerne Boston Teran dont le livre Satan dans le désert fait l’objet d’un développement beaucoup plus conséquent. À noter, tout de suite après, l’entrée la plus poétique : La Tête et les couilles.

En introduction Pierre Lemaitre précise qu’il a fait un dictionnaire de ce qu’il aime. Il aurait dû ajouter « et de ce que je n’aime pas ». Ainsi il taille un sacré costard aux Higgins Clark, mère, fille et belle-fille. Pour le plaisir citons quelques-unes de ses appréciations : Quarante ans de carrière, cinquante thrillers, deux cent cinquante millions d’exemplaires vendus et pas une seule ligne de littérature. Ou plus loin : Un malheur ne vient jamais seul. Elle nous a légué une fille, Carol Higgins Clark, et une belle-fille, Mary Jane Clark, qui, toutes deux, sont des romancières. Enfin… « romancière »… au sens où Mary Higgins Clark l’aura été pendant près d’un demi-siècle. Voilà, la famille Higgins Clark habillée pour l’hiver !
On relève aussi quelques méchants coups de griffe pour Harlan Coben et Ruth Rendell. Et un jugement mitigé sur John Grisham : bien foutu, mais superficiel. Au moment où il écrivait ces lignes il n’avait pas lu
La sentence (2020), le dernier livre de Grisham, autrement il n’aurait pas pu écrire cela. En fait je pense que l’appréciation de Lemaitre est basée sur l’image de l’auteur de best-seller, démocrate bon teint, tel qu’il le décrit, plutôt que sur son œuvre qu’il n’a que peu
ou pas du tout lue. Un jugement superficiel.
Mais dans quel état était donc Lemaitre quand il a dit à propos
Des nœuds d’acier de Collette : « mauvais, très mauvais » ? Avant de constater, stupéfait, que ce roman avait raflé trois prix et que donc il ne devait pas être si mauvais. Alors il a admis sportivement qu’il avait tord. Finalement il termine en affirmant « Si j’étais éditeur, je ferais le pari que cette fille (Collette) va aller loin ». Pas définitif le jugement mais un peu à l’emporte-pièce dans un premier temps. Au détour d’une page sur Marcus Malte, on apprend que Lemaitre n’aime pas la musique. Aucune musique. Et il explique avec humour que les gens en sont effarés car tout le monde aime la musique, surtout dans le milieu du polar où quelques auteurs adorent afficher leur compétence musicale (ça c’est moi qui le dis). Autre handicap de l’auteur : il ne parle aucune langue étrangère. Il est snob, il s’en vante. On sent bien là l’écrivain arrivé qui sait qu’il n’a pas besoin de cacher ses manques. Le succès il l’a déjà eu et il l’aura encore.

Le dictionnaire est magnifiquement illustré par Christian De Metter dont j’ai pris trois de ses dessins pour éclairer cet article.

Pour terminer je dirai que ce Dictionnaire amoureux du polar est bien agréable à lire, surtout parce que son auteur nous livre sans façons ses goûts et quelques une de ses détestations, ce qui en fait un ouvrage personnel, plus chaleureux que technique, avec des partis pris que l’on pourrait discuter mais qui sont l’essence même de la liberté de l’écrivain. Ce n’est pas une œuvre d’expert, c’est le livre d’un auteur qui lit, écrit et aime les polars. Et c’est bien mieux.
Ce dictionnaire ne prétend pas à l’exhaustivité mais il donne envie de lire des polars. C’est un cadeau de Noël/Nouvel an certainement apprécié par les amateurs de littérature noire.

Extrait :
Coben (Harlan)
J’adore Harlan Coben parce que c’est un auteur économique. Vous avez lu un de ses livres, vous les connaissez tous. Il en a lui-même fait le résumé à L’Express en 2005 : « Ce qui m’intéresse, c’est de plonger des gens ordinaires dans des situations extraordinaires [je ne sais s’il était conscient de citer Hitchcock]. Des gens comme vous et moi, qui aspirent à une vie normale, bien élevés, polis avec leurs voisins, habitant une belle maison avec jardin et garage… Sauf que les choses, pour ces gens-là, dérapent et se mettent très vite à tourner mal. »
Le résumé vaut pour tous ses romans. Les personnages, issus de la classe moyenne, ont leur quotidien bouleversé par une vieille histoire, un secret qui remonte à la surface. Dans Ne t’éloigne pas, Megan, parfaite femme au foyer, voit ainsi resurgir son passé de strip-teaseuse. En France, Coben s’est surtout fait connaître avec Ne le Dis à personne, l’histoire du docteur Beck qui découvre, huit ans après la mort de sa femme, Elizabeth, que celle-ci est en fait vivante.

Niveau de satisfaction :
4.1 out of 5 stars (4,1 / 5)

 

 

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