Par Raymond Pédoussaut
Date de publication originale : 2020 – Cosmopolis
Genre : Thriller
Personnages principaux : Faust Netchaïev et les Anges de Babylone, groupuscule terroriste
Ce dernier tome de la Trilogie des Ombres commence par la naissance de l’Hydre. Des personnalités des affaires, des hommes et femmes riches et puissants, se sont rassemblées pour mettre en commun leurs idées et leurs moyens pour s’enrichir encore plus et augmenter leur influence déjà très grande. Ce qu’ils ont aussi en commun c’est la maltraitance de leurs enfants. Ces derniers se sont réconfortés entre eux, ont tissé des liens indéfectibles et sont devenus inséparables. En grandissant, ils sont devenus l’Hydre à sept têtes qui dirige les Borderline, les maîtres du trafic de drogue. Mais cette économie parallèle n’a pour but que de fournir les moyens pour le projet Babel. Il s’agit ni plus ni moins que d’abattre les fondations de la société qu’ils jugent pourrie. Pour cela ils se lancent dans le terrorisme à grande échelle. Les Borderline deviennent Les Anges de Babylone. Ce groupuscule anti-capitaliste mène des actions spectaculaires et tente d’obtenir le soutien du peuple pour provoquer le chaos qui permettrait ensuite la naissance d’une société plus juste.
Dans ce dernier volume, exit les Borderline, vivent les Anges de Babylone ! Les narcotrafiquants virent terroristes. Et même si ça paraît étonnant, leur violence monte encore d’un cran. Les armes lourdes sont sorties, les drones de guerre sont déployés. Et bien sûr, les compétences sont là pour utiliser cet arsenal high tech digne d’une armée d’un pays puissant. C’est la guerre intérieure. Les sept de l’Hydre contre les forces d’intervention de l’État. La bataille est déséquilibrée, elle est en faveur des Anges de Babylone. Il faudra une trahison pour rééquilibrer le combat. La commissaire Cécile Sanchez, personnage principal des deux tomes antérieurs, n’apparaît qu’épisodiquement dans cette dernière partie.
J’avais, jusqu’à présent, adhéré à l’intrigue, mais là je trouve que l’auteur en fait trop, ça devient totalement irréaliste. Tout aussi invraisemblable est l’évolution des narcotrafiquants nihilistes en défenseurs des opprimés, partisans convaincus de l’écologie. Beaucoup plus crédibles en trafiquants de drogue qu’en militants anti-capitalistes, les Anges de Babylone ! Et que penser de cette image biblique : Faust Netchaïev et sa compagne fendant la foule des manifestants qui s’ouvre devant eux comme la Mer rouge devant Moïse, alors que le peuple les acclame. Des narcotrafiquants terroristes et criminels deviennent les défenseurs du peuple ! C’est complètement insensé ! Il y a aussi cette fin tragico-romantique hallucinante (je n’en dirai pas plus pour ne pas divulgâcher) à laquelle je n’ai pas cru une seconde.
J’ai les mêmes réserves sur les personnages que sur l’intrigue. Capables de compréhension, d’empathie, de tendresse et même d’amour fusionnel, ces hommes et femmes sont protecteurs, amicaux, loyaux avec les membres de leur groupe. Tout comme ils sont cinglés, cruels, capables d’infliger les pires tortures, de démembrer et décapiter leurs ennemis. Toutefois les bons sentiments à l’intérieur de l’organisation ont une limite vite atteinte : le manque de soumission au chef. Il suffit de ne pas être d’accord avec lui pour finir égorgé. Je n’ai pas éprouvé la même affection que l’auteur pour ce genre de personnages qui se repaissent de la souffrance en inventant les supplices les plus sophistiqués et qui exigent la plus grande servitude envers le gang et son chef. On n’aimerait pas croiser sur son chemin ce genre de malades mentaux. Mais l’auteur nous fait comprendre que ce n’est pas de leur faute, ils ont été maltraités quand ils étaient enfants !
J’avais facilement digéré les deux premiers pavés (respectivement 730 et 620 pages) de la trilogie, mais ce dernier tome (650 pages) m’est resté sur l’estomac. Sans être un intégriste de la vraisemblance à tout prix dans un roman, il me semble qu’un peu plus de sobriété aurait été préférable à ce scénario grand spectacle et abracadabrant qu’a conçu l’auteur. On se croirait dans un jeu vidéo survolté. La violence omniprésente, la drogue sous toutes ses formes et quelques scènes de torture glaçantes dont on ne nous épargne aucun détail, font que cette trilogie n’est pas à mettre dans les mains de personnes sensibles, quel que soit leur âge. En outre, les multiples coquilles, fautes d’orthographe, de syntaxe … de cette édition ne favorisent pas la fluidité de lecture et finissent par devenir insupportables.
Dans une émouvante introduction, Gilberti nous fait part de sa difficulté à clore la trilogie et de sa crainte de décevoir une partie de ses lecteurs. C’était une bonne intuition. Et c’est ce qui m’est arrivé : être déçu. J’ai trouvé ce dernier tome pas à la hauteur des deux précédents. J’ai l’impression que l’auteur s’est laissé enflammer et, comme le docteur Frankenstein, il a perdu le contrôle de ses créatures, tombant dans une exagération néfaste. D’après les critiques que j’ai pu lire, une majorité de lecteurs a apprécié ce dernier livre de la Trilogie. Certains, complètement fascinés par ce monde violent et marginal dans lequel nous plonge Gilberti, y ont même vu un chef-d’œuvre. Pour ma part, j’estime que cette trilogie est certes puissante, mais il y manque une intrigue finale crédible et des personnages cohérents, surtout dans ce dernier livre.
Concernant l’ensemble de la Trilogie des ombres : Le Tome 1 (Sa Majesté des ombres) démarre fort, c’est le mieux réussi. La suite baisse progressivement de niveau. Ce dernier livre est loin d’être à la hauteur des précédents, surtout du premier. Il était vraiment temps que ça se termine. Il serait bon aussi que l’éditeur fasse relire les textes qu’il édite.
Extrait :
«… Nous sommes là, dans le même espace que vous, et pourtant nous ne vivons pas du tout dans le même monde. Nous sommes les anges noirs qui se saisiront du sceptre et de la couronne quand le trône se fissurera. Nous sommes votre pire cauchemar, mais aussi votre plus grand espoir quand Paris, New York, Tokyo et les autres mégalopoles chuteront, tout comme Babylone a chuté avant elles. Regardez Paris trembler ! »
Enfin, il conclut avec maestria :
« Nous sommes un mal nécessaire et nous sommes nombreux. Nous sommes armés pour l’Apocalypse, prêts à survivre et à régner. Nous sommes votre futur et, un jour ou l’autre, il vous faudra composer avec nous pour garantir votre survie dans un monde au système débranché. Quand l’échelle de prédation sera redevenue plus naturelle, nous serons ouvertement au sommet. Alors, prenez de l’avance, rejoignez-nous en refusant l’esclavagisme moderne. »
Comme les minutes passent, les Who laissant la place à « Hurt », de Nine Inch Nails, certains pensent encore qu’il y a une tension à désamorcer. Les paroles dévastatrices rendent l’instant encore bien plus tragique.
Nine Inch Nails – Hurt
Niveau de satisfaction :
(3,8 / 5)