Les Suicidées – Val McDermid

Par Michel Dufour

Date de publication originale : 2015 (Splinter the Silence)
Date de publication française : 2017 (Flammarion)
Traduction : P. Chambon et A. Baignot
Genre : Enquête
Personnages principaux : Carol Jordan, policière – Tony Hill, profileur

Ça faisait un bout de temps que j’avais lu un roman de McDermid : elle publie beaucoup (au moins une brique par année) et je trouve très inégales ses histoires. Mais elle a du talent et on ne s’ennuie pas avec elle.

Des féministes sont prises à partie sur les réseaux sociaux, insultées, agressées, menacées de mort. Dans une courte période de temps, trois d’entre elles semblent avoir choisi de se donner la mort. Elles n’étaient pas suicidaires, mais la pression qui s’exerçait sur elles semble être venue à bout de ce qu’elles pouvaient endurer.

Carol Jordan, la policière spécialisée dans les crimes horribles et compliqués, est arrêtée pour alcool au volant mais, comme on a besoin d’elle pour diriger une escouade spécialisée, la cause est étouffée en bonne partie. Son ami, le profileur Tony Hill, entreprend de lui faire passer son addiction à l’alcool. L’équipe se forme pendant que le tueur, qui déguise ses meurtres en suicides, prépare son prochain coup.

La façon de procéder de Tony, c’est de trouver le mobile pour parvenir à identifier le tueur. Or, on découvre que, sur les scènes de crime, sont peu dissimulés des livres d’auteures associées au féminisme qui se sont suicidées : Virginia Woolf, Anne Sexton et Sylvia Plath.1 Et les récentes victimes se seraient tuées de la même manière que ces auteures. Si on réussit à établir un lien entre ces livres, ces auteures et les victimes, on finira par trouver le mobile, puis l’assassin. Mais faut faire vite, parce que le mystérieux personnage qui déguise ses meurtres en suicides est sur le point d’en commettre un quatrième.

Le problème est original mais pas très compliqué. C’est pourquoi plusieurs autres petits problèmes surviendront : Carol se sortira-t-elle de son arrestation et de son problème d’alcoolisme ? Sa relation avec Tony se gâtera-t-elle davantage (problème récurrent depuis presque 20 ans) ? Qui est la taupe qui rôde autour ou dans la brigade ? Le contexte dans lequel se développe l’enquête est bien actuel : la difficulté qu’ont bien des hommes à accepter l’idée que des femmes puissent s’intéresser à leur autonomie plutôt qu’à leur famille; la cruauté des réseaux sociaux anonymes où n’importe qui peut accuser n’importe qui de n’importe quoi : les agressions verbales contre les femmes émancipées n’ont aucune limite; l’impuissance des forces policières à protéger les femmes menacées ou à censurer les violences anonymes via internet.

Un petit bonus : le recrutement des membres de l’équipe selon leur spécialité, qui nous rappelle vaguement les bons moments des Sept Mercenaires de Sturges (1960) ou des Sept Samouraïs de Kurosawa (1954).

Quelques réserves, cependant : les principales scènes d’action de l’intrigue policière se passent sur l’ordinateur de Stacey; l’affrontement véritable a lieu moins de 50 pages avant la fin. Et on ne peut pas dire que la tentative de Tony pour empêcher le pire est très convaincante. Ce n’est pas un reproche à l’auteure : McDermid s’intéresse plus au travail policier en général et à la recherche du mobile en particulier qu’à la résolution concrète du problème. Je crois aussi que c’est volontairement qu’elle met en scène une Carol Jordan insupportable et un Tony Hill qui tend à racheter sa culpabilité par de fréquentes autoflagellations.

La réflexion qui cherche le mobile ne doit pas être distraite par les exploits des super-héros.

1 Ces trois femmes ont bien existé et se sont suicidées selon les méthodes décrites par l’auteure.

Extrait :
Rien qu’à les voir, on pouvait deviner qu’il s’agissait d’une nouvelle équipe, songea Carol. Les visages étaient familiers mais animés d’une nouvelle énergie. Même s’ils exerçaient tous ce métier depuis des années, ils paraissaient alertes et stimulés, chargés à bloc et prêts à l’action (…)
Paula fut la dernière à s’attarder autour de la nouvelle machine à café.
Si tout ça foire, on pourra toujours ouvrir un bar, dit-elle en finissant par s’installer à table.
C’est bon de savoir qu’on a une autre solution, commenta Carol. Bon, qui veut commencer ?
Kevin prit la parole pour faire un bref compte rendu de son voyage à Sunderland.
Ce type est complètement hors du coup, conclut-il.
Même son de cloche avec quelques variantes pour Alvin (…)
Carol demanda à Paula :
Comment ça s’est passé pour vous ?
La bonne nouvelle, c’est qu’aucune des femmes à qui j’ai parlé n’avait l’air suicidaire, annonça Paula (…) Par contre, Zoe Brewster, une romancière qui vit à Norwich, a déclaré que les jeux vidéos étaient misogynes et incitaient les garçons à mépriser les femmes. Ursula Foreman, blogueuse, journaliste et web designer, a récemment parlé du sexisme dans les séries télé ainsi que de ses conséquences sur l’image des jeunes femmes et l’attitude des hommes. Elles ont toutes deux reçu le même type d’insultes que nos victimes, et en même quantité. S’il s’en tient à ces critères-là, alors elles sont les cibles les plus probables, d’après moi.

Bradfield – le canal

Niveau de satisfaction :
4 out of 5 stars (4 / 5)

 

 

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