Par Raymond Pédoussaut
Date de publication originale : 2020 – Éditions Anne Carrière
Genre : roman noir
Personnages principaux : Marc, Élisabeth, Juliette, Éric, Rose, Slavko
Savoie, vallée de la Mourière de nos jours.
Le chalet des Saillard est le plus gros, le plus beau des chalets de la station de ski huppée des Alpes. Il domine tous les autres par sa position et par son luxe. Six personnes se retrouvent dans cette superbe construction : – Marc et Élisabeth Saillard – leur fille Juliette – son futur mari Éric – Rose, domestique et – Slavko, chauffeur et factotum de Marc. La neige se met à tomber dru, elle recouvre tout en quelques heures. Le chalet se retrouve bloqué par une épaisse couche de neige. Heureusement, il est grand et confortable. Mais la neige continue de tomber sans relâche et les vivres et provisions s’amenuisent. Il faut se rationner. Même en économisant sur tout, la situation s’aggrave : plus d’électricité, de chauffage, d’eau, de nourriture. Alors, c’est la vie qui est en jeu. Chacun réagit à sa façon, les masques tombent.
Ce huis clos montre subtilement comment des gens riches, insouciants, se retrouvent devoir lutter pour leur survie. Les anciennes préoccupations de nantis deviennent alors dérisoires. Les petits soucis de privilégiés deviennent incongrus quand c’est sa peau qu’il faut sauver. Par la même occasion, l’auteur indique que cette tempête de neige inédite est la conséquence du dérèglement climatique que beaucoup n’ont pas voulu prendre en compte malgré les avertissements répétés des experts depuis quarante ans. Les riches, se croyant plus à l’abri, sont touchés, comme les autres. Alors les manteaux de fourrure servent simplement à se protéger du froid, pas à exhiber une fortune ostentatoire. Les meubles signés, les tableaux de maîtres et les livres anciens fournissent le combustible pour alimenter un feu redevenu primordial. On revient à l’essentiel, à ce qui est vital. Face à la nature hostile, les hommes se croyant puissants sont ramenés à leur faiblesse et leur fragilité.
Dans ces conditions effroyables, les gens révèlent leur vraie personnalité. Dans cette palette de six personnes, il y a ceux qui se démènent pour trouver des solutions. Il y a ceux qui sont complètement dépassés, qui comptent sur les autres pour les sortir de ce piège. Il y a les égoïstes qui profitent de tout en essayant de s’en sortir seuls et qui ne réussissent qu’à créer des problèmes supplémentaires. D’autres se révèlent indispensables, tout en restant modestes. Les plus robustes dans l’épreuve ne sont pas forcément les plus socialement élevés.
Le livre est court (190 pages) mais il est puissant et efficace. L’auteur ne se perd pas dans de longues descriptions de paysages où dans les états d’âme des personnages, il montre simplement les évènements et les actes. De-ci, de-là, l’humour noir, de circonstance, allège un peu la tension croissante et l’impression de claustrophobie.
Bref et percutant, Les désossés, est un excellent roman noir.
Extrait :
— Et attendez ! renchérit Éric, indifférent au retour de flamme subi par sa fiancée. Chez nous, on a les chiottes à deux vitesses : petite commission, grosse commission.
Alors là, c’est la goutte qui fait déborder le vase. Ou la cuvette. Marc se lève d’un coup.
— À deux vitesses ? explose-t-il en se mettant à marcher de long en large. Et tu crois sérieusement que c’est ça qui va nous empêcher d’être dans la merde jusqu’au cou ? Le climat se réchauffe, les forêts brûlent, la banquise fond et l’eau monte, que tu le veuilles ou non ! Faut vraiment être complètement débile pour prétendre le contraire ! Des millions de gens vont se retrouver dans la flotte, mais le plus drôle, c’est que la flotte va aussi commencer à manquer un peu partout. Un peu comme dans ce chalet. Trop de neige dehors, plus de flotte dedans, elle est pas belle la vie ? Et plus de quoi bouffer pour tout le monde ! Et toi tu me parles petites commissions et villages flottants, parce qu’en te faisant encore un bon coup de fric tu vas peut-être pouvoir t’acheter une plus grosse bagnole ? Putain, Éric, tu en es encore là ? À croire à ce système de merde qui nous a tous conduits au désastre ? À croire encore à cette fuite en avant suicidaire qui a tout dévoré, tout épuisé, tout écrasé sur son passage ? Franchement, si ce n’était pas à pleurer, ce serait risible. Mais vas-y, vas-y, fais-les tes baraques flottantes ! Tu peux même y embarquer les derniers animaux sauvages et appeler ça l’arche de Noé, si ça t’amuse. Mais ce sera sans moi ! Merde !
Niveau de satisfaction :
(4,3 / 5)