Par Raymond Pédoussaut
Date de publication originale : 2021 (Éditions du Seuil)
Genres : Thriller, roman noir
Personnages principaux : Chloé, jeune toxicomane – Samuel, éleveur de vaches laitières du Jura
Samuel, éleveur de vaches laitières dans le Jura, s’occupe seul de la ferme qu’il a héritée de ses parents et de ses 56 bêtes. Les temps sont durs. Pour améliorer sa situation financière, il a accepté l’arrangement que lui a proposé son oncle Claude, entrepreneur et conseilleur municipal. Celui-ci et son fils Simon font passer de la drogue de la Suisse vers la France. Ils travaillent pour un groupe kosovar. Samuel cache la drogue dans la grange de sa ferme en attendant la distribution. Mais un jour la livraison n’arrive pas et on retrouve Simon, mort au volant de sa voiture, au fond d’un ravin. La cargaison de drogue a disparu. C’est le drame : outre la mort du fils de Claude, il y a la menace des mafieux kosovars qui ne sont pas des gens à accepter sans broncher la perte de plus de 100 kilos de cocaïne. Il faut absolument retrouver le(s) auteur(s) du vol et récupérer la drogue avant que les Kosovars ne s’en mêlent. Chloé, fille de la maîtresse de Samuel, qu’il considère comme sa belle-fille, est une toxicomane qui a ses entrées dans les réseaux. C’est par elle que Samuel et Claude vont essayer de remonter la piste de la came disparue. Les événements vont se précipiter et échapper au contrôle de tous.
On pourrait d’abord croire qu’il s’agit d’une énième histoire de commerce de drogue comme on en a souvent lu ou vu au cinéma. Mais ce n’est pas du tout ça. Ici la drogue c’est ce qui permet à la jeune Chloé, en tant que consommatrice, de se supporter : d’accepter son visage ravagé par les brûlures causées par un incendie. Pour d’autres, c’est l’opportunité, la dernière peut-être, de changer de vie. Avec les 3 à 6 millions d’euros que représente la vente de plus de 100 kilos de cocaïne, on peut vraiment s’offrir un nouveau départ. Sortir du chômage ou des boulots éreintants qui exigent beaucoup de temps pour rapporter peu, vivre le grand amour, laisser cette vallée froide, partir au soleil, ailleurs. Tout recommencer. Mais la drogue c’est aussi des affaires, illégales mais juteuses, pour des gens impitoyables et dangereux lorsque leur marché est menacé. Pour toutes ces raisons, nombreux seront ceux qui vont chercher à s’approprier les sacs de cocaïne. Certains y laisseront leur vie.
Le cadre n’est pas celui de la ville, habituel dans les histoires de trafic de drogue. Ici c’est le milieu rural et les petites bourgades du Jura. Dans cet environnement singulier, l’auteur montre aussi les difficultés sociales. L’argent facile permettrait de réaliser des rêves que l’on a été contraint d’abandonner. Comme dans tous les bons romans noirs, il y a dans ce livre une description de la société et de ses problèmes.
Le déroulé de l’histoire ne comporte aucun temps mort. Les péripéties s’enchaînent impeccablement. Le lecteur est complètement happé par les nombreux rebondissements. C’est une intrigue finement ciselée.
« Stupéfiant » est le mot inscrit sur le bandeau rouge qui orne le livre. Je ne sais pas si l’éditeur a voulu faire de l’humour en jouant sur le double sens du mot stupéfiant : drogue quand c’est un nom, ou cause d’une surprise considérable quand c’est un adjectif. Les deux sens s’appliquent à ce roman qui est à la fois une histoire de trafic de stupéfiants et aussi une bonne surprise en ce qui concerne sa qualité.
Une belle écriture, un rythme digne des meilleures productions américaines et des personnages crédibles sont les composantes de ce beau polar. Une réussite !
Extrait :
Les chiens se remettent sur pattes face à lui en grondant, forment un cercle autour de Chloé et de Samuel. Il regarde le corps en charpie qui gît devant lui, puis Chloé et sa garde rapprochée, lui offre un sourire las et résigné.
– Tu as cramé toute la came ?
Elle confirme. Il hoche la tête.
– Tout ça pour ça…
– Tout ça parce que tu l’as bien voulu.
– Changer de vie, ça demande des sacrifices.
– Et ta vie, elle te semble comment maintenant, Thierry ?
Il charge une balle dans la chambre du pistolet. Un des chiens lui aboie aussitôt dessus. Chloé passe la main dans son pelage. Elle calme la meute.
– Fais ce que t’as à faire. Je suis déjà morte.
Thierry la met en joue. Yeux dans les yeux.
– Je voulais récupérer mes filles. C’est la seule chose qui comptait.
Chloé ferme les paupières, serrant la main froide de Samuel dans la sienne.
Une minute passe.
Les flocons de neige viennent se mêler à ses larmes gelées.
Les chiens se couchent.
Un moteur ronronne.
Elle ouvre les yeux pour voir la berline noire de Kosta Zajini remonter la pente et rejoindre la nationale, bifurquer en direction du col de Hautecombe.
Là où tout a commencé.