Par Michel Dufour
Date de publication originale : 1983 (Québec/Amérique)
Genres : Enquête, thriller
Personnage principal : Robert Dumont, alias le Manchot
J’ai traité récemment de la série des IXE-13 publiés entre 1947 et 1966 à un rythme de 20 000 à 30 000 exemplaires/semaine. Sous le nom de Pierre Saurel se cache Pierre Daigneault, écrivain prolifique mais aussi comédien, scénariste, animateur de soirées folkloriques… De 1980 à 1985, Saurel publie 46 courts romans policiers dont le centre est un ex-policier, surnommé le Manchot. Je connaissais alors peu les polars québécois, qui n’avaient pas encore vraiment pris leur envol. Les aventures du Manchot n’avaient pas recueilli des échos très positifs, et pouvaient passer pour des romans de gare (j’y reviendrai), qui n’avaient pas une très bonne réputation. Mais le décollage décisif se préparait : entre 80 et 90, on peut commencer à lire Chrystine Brouillet (Chère voisine), Jacques Bissonnette (La Sanguine) et surtout le premier Jean-Jacques Pelletier (L’Homme trafiqué) [1]. Aujourd’hui, il me semble qu’il faut, ne serait-ce que pour des raisons historiques, signaler cette série du Manchot et rendre hommage à un de nos plus prolifiques auteurs.
Un appel anonyme enjoint à des policiers de se rendre dans une maison de chambre douteuse de la rue Saint-Dominique, où un coup de feu a été entendu. Dans la chambre, un homme est mort, tué d’une balle, et une jolie jeune femme, plus ou moins consciente, tente de se relever et de ramasser un revolver : c’est Candy Varin, détective, assistante de Robert Dumont, dit Le Manchot. L’inspecteur Jules Bernier, chef de l’escouade des homicides de la police de Montréal, hyperactif et mal inspiré, interroge Candy, la bouscule un peu; elle réclame son avocat; il décide de l’arrêter pour le meurtre de Raymond Bourdon, et fait lever un mandat contre Robert Dumont, le Manchot.
Quand on a fouillé Bourdon, on a trouvé une lettre dans laquelle il accuse Candy de l’avoir volé et trahi. C’est là-dessus que se base Bernier pour accuser Candy et le Manchot. L’avocat Philippe Granger lui propose de plaider légitime défense, ce qu’elle refuse puisqu’elle n’a même pas tiré. Dumont prend l’affaire en mains, Les choses se précipitent. Le concierge de la maison de chambre se fait tuer. En enquêtant sur Bourdon, on apprend son addiction aux jeux, les dettes accumulées et ses liens avec la pègre. D’où sa complicité dans un vol qui lui rapporterait 50 000$.
L’opération tourne mal. Plusieurs sont tués et Bourdon s’enfuit avec les bijoux. Le chef de cette petite pègre, Eddy, cherche où sont passés ces bijoux, se méfie de Bourdon d’autant plus qu’il fréquente Candy, qui travaille pour Dumont.
Bref, Dumont est éliminé et on enlève Candy dans l’intention de la faire parler. Son avocat, imprudent, est également capturé. Que pourra faire le Manchot contre Eddy et son garde du corps sadique ?
Le scénario n’est pas mauvais. Les personnages, peu nombreux, sont cohérents. La lecture est facile. Roman de gare ou pas ? Il existe des bons romans de gare et des mauvais. Il y a un public pour ce genre de romans. Des gens qui veulent se distraire sans se casser la tête, sans se laisser troubler par des émotions fortes, changer le mal de place, comme on dit, en peu de frais. Pour répondre à ce besoin, le roman doit respecter certains critères : les personnages sont à peine ébauchés, leurs motifs sont simples et décrits succinctement, l’atmosphère est évoquée comme un fond de décor, quelques dates seront peut-être utiles mais pas question d’imiter un roman historique, l’intrigue est simple et les rebondissements prévisibles. C’est un roman qui s’écrit vite et qui se lit vite aussi.
En résumé, ce n’est pas un genre de romans auxquels s’attachent les amateurs purs et durs de romans policiers, ceux qui s’attendent à plus et qui sont prêts à travailler plus pour l’obtenir, plus d’émotions, plus de raisonnements, plus d’interrogations personnelles suscitées par les problèmes soulevés par le récit. Dans son genre, toutefois, c’est un roman bien correct.
[1] Sur la petite histoire du roman policier québécois, il faut lire l’excellent chapitre de Norbert Spehner, le # 7, in Scènes de crimes, 2007 (Alire).
Extrait :
– Police ! répondit l’homme de sa voix monotone et nasillarde.
– Vite, il faut que vous veniez. Ils vont se tuer, ils se sont battus, j’ai entendu un coup de feu !
Une voix haletante, nerveuse, difficile à identifier. Le policier ne pouvait même pas dire si c’était un homme ou une femme qui appelait.
– Allons, calmez-vous. Qui parle ? Donnez-moi votre nom !
– 1435 Saint-Dominique, venez, dépêchez-vous !
Machinalement, le standardiste avait noté l’adresse.
– Un instant, il me faut votre nom…
Trop tard, on avait déjà raccroché.
« Un autre appel anonyme, songea le policier, un farceur ! Les gens sont bêtes. Ils savent pas qu’on a du travail, qu’on n’a pas le temps de s’occuper des niaiseries! »
Mais son devoir était de ne rien laisser au hasard. Aussi il transmit l’appel à une voiture-radio.
– Vérifiez, c’est tout ce qu’on m’a donné comme détails.
– Nous y allons. 10-4.
Et quelques minutes plus tard, une voiture-patrouille s’arrêtait rue Saint-Dominique, au nord de la rue Sainte-Catherine, dans le quartier des racoleuses, des fumeux de marijuana et des mangeurs de hot-dogs cuits à la vapeur.
Niveau de satisfaction :
(3,9 / 5)