Par Raymond Pédoussaut
Date de publication originale : 2021 – Éditions du Rouergue
Genre : Roman noir
Personnages principaux : Piotr, Roq, la recrue, militaires en charge de la surveillance du territoire en arctique – Grizzly, scientifique
Presqu’île de Solak, au nord du cercle polaire arctique.
Quatre hommes vivent dans des baraquements inconfortables : trois militaires surveillent le territoire et gardent le drapeau, un scientifique réalise mesures et recherches. Un des militaires, Igor, ne supportant plus les conditions de vie très âpres, se suicide. Son remplaçant est hélitreuillé sur place. Surprise : alors qu’Igor était un colosse, le nouvel arrivant est petit et svelte, il ressemble à un gamin. Et encore plus surprenant : il ne dit rien, mais observe tout d’un regard dur et pénétrant. Un regard de pic à glace selon Piotr le plus âgé des hommes. Il finit par écrire dans un carnet qu’il est muet, mais pas sourd. On ne connaît pas son nom, les autres l’appellent simplement la recrue ou le gamin. La mort d’un de leur compagnon et la venue d’un étrange remplaçant ne font qu’accentuer la tension induite par le froid, l’isolement et les conditions extrêmes. L’arrivée de la grande nuit va l’exacerber.
Solak c’est d’abord un cadre : dur et austère. Le jour pendant six mois et la nuit pendant six mois. C’est surtout la nuit polaire, la grande nuit qui est difficilement supportable : l’absence de lumière, le froid intense, la neige, la glace, la solitude et une inactivité forcée jouent sur les nerfs et le moral. Le camp est composé de baraques spartiates, mal chauffées et d’une salle commune, la Centrale, où ils se retrouvent pour manger, parler (peu), boire (beaucoup) ou jouer aux cartes. Dehors c’est le blanc de la neige et le noir de la nuit. La banquise, vivante et en mouvement, est dangereuse. Le spectacle grandiose des aurores boréales procure quelques minutes de distraction.
Dans la grande nuit, le temps est long, l’ennui permanent. Les moments de nervosité succèdent aux périodes d’abattement. Dans cette ambiance masculine à forte teneur de testostérone, le clash peut arriver à n’importe quel moment.
Les hommes sont très différents :
– Piotr, c’est le vétéran. Il a vingt ans de présence sur Solak, il a été volontaire pour venir dans cette prison à ciel ouvert. C’est le chef des militaires. Il essaie de faire que tout se passe bien, il apaise les tensions, il éduque la recrue. C’est aussi le narrateur dans le roman – Roq est une brute épaisse. Il est violent et brutal. Il boit beaucoup et mène en douce un trafic de peaux d’animaux
– Grizzly est un scientifique en mission ponctuelle pour étudier l’évolution de la banquise. C’est un passionné, un idéaliste qui s’imagine que ses observations feront réagir les gouvernements.
– La recrue est une énigme. Les autres ne comprennent pas trop ce qu’il fait là. Bien que d’apparence fragile c’est lui qui amène un trouble, qui déséquilibre les relations existantes. Cependant, il écoute Piotr et s’intéresse aux travaux de Grizzly avec qui il sympathise. Mais il déteste Roq qui le lui rend bien. Entre la recrue et Roq, la tension est grande et menace à tout moment de dégénérer en affrontement. La tragédie est en marche.
L’intrigue, ingénieuse, nous réserve une belle surprise dans la partie finale.
Solak est un livre court et percutant. Sa sobriété accentue sa force et son efficacité. C’est un excellent roman noir. Un premier roman de qualité pour une autrice à suivre.
Extrait :
Pendant cette période, quand je sentais que Grizzly ou le gosse devenaient trop nerveux après trop de jours confinés dans la Centrale et nos baraquements et qu’on devenait chacun mauvais, furieux en dedans, tout horizon pulvérisé comme un rêve interdit si bien que ça cogitait sec sur le à quoi bon vivre pour pas mourir, survivre en mangeant, se chauffant mais attendre plus rien, quand je sentais que ces questions-là affleuraient un peu trop à la surface des cervelles et que l’insupportable faisait comme un tas de braises cuisantes dans nos paumes gelées, je proposais d’aller regarder un peu les aurores boréales qui sont une fausse naissance de la lumière mais qui aident un peu à tenir, des fois.
Niveau de satisfaction :
(4,2 / 5)