Jeannette et le crocodile – Séverine Chevalier

Par Raymond Pédoussaut

Date de publication originale : 2022 – La Manufacture de livres
Genre :
Roman noir
Personnages principaux :
Jeannette, jeune fille – sa mère, Blandine – son oncle Pascal – son ami Robinson – Dirck, amoureux de Blandine – et quelques autres

Elle est prête : habillée, mains, dents et visage lavés. Le sac à dos avec des vêtements et quelques affaires de toilette est prêt. Le cabas avec les provisions est prêt aussi. Tout est prêt pour aller voir Éléonore, la femelle crocodile qui vit dans un aquarium à Vannes, en Bretagne, depuis qu’elle a été trouvée sous le pont Neuf, à Paris, en 1984. Elle avait élu domicile dans les égouts et mangeait des rongeurs. Cette visite à Éléonore, c’est le cadeau d’anniversaire de Jeannette pour ses dix ans, elle ne veut rien d’autre. Elle est prête et attend. Elle attend que sa mère se lève. Mais sa mère ne se lèvera pas, elle est malade, elle n’a pas dessoûlé. Elle va même chuter et Jeannette va croire que sa mère est morte. Elle ne l’est pas, juste sonnée et encore ivre. Jeannette ira voir Éléonore le crocodile pour ses onze ans … peut être.

C’est ainsi que débute le livre de Séverine Chevalier. Le ton et l’ambiance sont donnés d’entrée. La suite c’est la description du quotidien de gens simples : – Jeannette fillette vive, idéaliste. Elle ne supporte pas le mensonge – Sa mère, Blandine, est alcoolique, mais elle fait des efforts pour s’en sortir et  finira par y arriver … presque – Robinson a le même âge que Jeannette, ils s’entendent comme larrons en foire – Pascal est le frère de Blandine, le tonton de Jeannette qui l’adore. Pascal paraît un peu simplet, il est obsédé par la submersion des eaux en général et par celle de la rivière qui coule près de leur maison en particulier. Sous ces apparences de nigaud, Pascal pose les bonnes questions – Éric et Valérie sont les parents du petit Robinson. Ils n’arrivent pas à avoir ce deuxième enfant qui fait l’objet de la fixation de Valérie et l’épuisement d’Éric qui n’en peut plus de la pression de son épouse, ajoutée aux menaces sur son emploi depuis que l’usine a été rachetée par les Chinois – Gégé, est le débonnaire patron du bistrot local. Il écrit tous les jours dans un cahier ce qu’il appelle les chroniques du village.

Tout ce petit monde vivait tant bien que mal à Clat-les-Bains, un village aux ambitions touristiques démesurées par rapport à ses possibilités réelles. Il y avait de la solidarité de l’entraide jusqu’à ce qu’arrive Dirck, l’amoureux de Blandine. C’est un gars qu’elle a rencontré sur internet, il lui a écrit de beaux messages, elle en est follement amoureuse et c’est bien connu : l’amour rend aveugle. Car Dirk, sous une apparence séduisante, n’est qu’un sale égoïste, un type incapable de penser à autre chose qu’à son propre intérêt. C’est un être vil, un prédateur, un vampire qui pompe toutes les bonnes idées des autres à son seul profit. Contrairement à tous les autres, Dirck est parfaitement adapté au monde actuel. C’est un destructeur égocentrique. Finalement pour lui ce sera la réussite et la gloire, la célébration dans des médias hypnotisés par les apparences. Pour les autres ce sera la déconfiture et le drame. Dirck est un imposteur, mais il est considéré un héros des temps modernes.

Jeannette et le crocodile est un livre plein de tendresse et d’humanité, d’une grande sensibilité, il contient aussi une bonne part d’amertume. Servi par une belle écriture, claire et élégante, c’est un très bon roman, comme tous les précédents de cette autrice.

Extrait :
Ce qu’ils ont dit de Jeannette, les humains, ça aussi ça rentre parfois dans ma tête à toute berzingue comme des tas de petits coups de couteau qui lacèrent le cerveau, terroriste, folle, monstrueuse, etc., et même si moi je n’aurais pas fait ce qu’elle a fait, même si je ne comprends pas vraiment ce qui s’est passé, moi je sais bien ce qu’elle était, la petite, et eux ils ne savent pas et ne veulent pas savoir, non, ils l’emballent simplement dans des indignations toutes faites, bien ficelées, eux sont les bons, elle est la méchante, et les méchants on peut les tuer puisqu’ils sont méchants, mais ce qu’elle voulait Jeannette c’est juste qu’on se préoccupe en vrai du monde, qu’on arrête de faire semblant, s’ils s’en foutent du monde et de la nature autant le dire clairement, autant afficher la couleur, nous on veut des SUV et des fermes à bitcoins, point, on se fiche du reste, on se fiche des oiseaux, on se fiche des pauvres et des handicapés et des fous, on se fiche de tout pourvu qu’on puisse se repaître d’argent, consommer, consommer, je me rappelle une fois j’étais petit et j’avais entendu Monique, au bar, dire à maman mais il est pas un peu idiot, ton fils, j’avais trouvé le mot joli, idiot idiot idiot, répété dans ma tête ou à haute voix avec le o qui monte à la fin, plus tard j’avais regardé la définition, qui manque d’intelligence, ce qui me manque, oui c’est l’intelligence de comprendre pourquoi d’un côté le sourire avec la bouche de l’autre les yeux durs, oui il me manque des choses c’est certain pour les comprendre, les grands écartèlements.

Éléonore, dans les égouts de Paris

Niveau de satisfaction :
4.3 out of 5 stars (4,3 / 5)

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