La Muse rouge – Véronique de Haas

Par Michel Dufour

Date de publication originale : 2021 (Arthème Fayard)
Genres :
historique, enquête
Personnage principal :
Victor Dessange, brigade criminelle de Paris

« L’enquête policière et l’univers de la police sont des filtres efficaces pour observer et comprendre les multiples facettes de la société ». Cette phrase caractérise la démarche de Véronique de Haas. Ceux qui ne s’intéressent pas à l’histoire sont priés de passer leur tour.

Ceci dit, l’enquête policière n’est pas négligée; mais elle s’inscrit dans une période historique particulière, qui ne joue pas seulement le rôle de cadre. Le genre de meurtres et le type d’assassins, sans parler des mobiles, sont intimement liés au moment historique où l’action se déroule.

1920 : débuts de l’entre-deux-guerres. La France a gagné la guerre mais elle est loin d’avoir gagné la paix. Des élections se préparent. Grèves et contestations ébranlent Paris. Anarchistes et communistes s’agitent. L’Action française espère restaurer la royauté et la droite en général s’efforce de consolider ses colonies : le chemin de fer entre Brazzaville et Pointe-Noire est un enjeu de la plus haute importance. Les grandes fortunes et les politiciens opportunistes se coordonnent tant bien que mal. Paris doit demeurer tranquille, stable, malgré l’arrivée de révolutionnaires étrangers qui cherchent à insuffler vie et vigueur à l’Internationale communiste.

Dans un tel contexte, le meurtre de quelques prostituées ne fait pas beaucoup de bruit et n’émeut pas tellement les forces de l’ordre jusqu’à ce qu’un représentant officiel de la République de Chine ne soit assassiné dans un bordel de luxe. Le mobile n’est pas clair. On ne veut pas ébruiter l’affaire et on charge l’inspecteur Victor Dessange de trouver rapidement le meurtrier.

D’autres meurtres sont commis, qui n’ont pas l’air d’avoir un rapport avec les meurtres précédents, sinon le style de l’assassin. Et aussi la découverte d’un carnet codé qui semble indiquer le lien entre les assassinats. On perce le code et on arrête un suspect mais, selon l’inspecteur, on s’est fourvoyé quelque part. Et, quand on croit mettre la main sur le véritable tueur, il se fait assassiner.

C’est un roman intrigant et attachant. Les prostituées sont peintes avec sympathie, de même que les gamins des rues, dont Pierrot, qui est un des véritables héros de cette histoire dans laquelle on le voit devenir un homme. Les anarchistes et poètes de La Muse sont abordés avec compréhension, même si l’auteure ne sombre pas dans la mystique du western. Les incapacités de s’entendre à gauche et les vils profiteurs de la droite qui ne pensent qu’à s’enrichir sont décrits sans complaisance. Les autorités policières préconisent l’ordre à tout prix, mais l’inspecteur Dessange et son collègue Max ne s’en laissent pas imposer. Dessange est bien sympathique mais sa situation matrimoniale n’est pas exemplaire bien que compréhensive.

Bref, même s’il est clair que l’auteure décrit avec sympathie la plupart de ses personnages, une certaine distance propre à l’historienne demeure de rigueur. Ce qui fait de ce polar un document réaliste captivant.

Extrait :
La chambre Renaissance se trouvait au deuxième étage, prolongée d’un cabinet de toilette sur le mur duquel Toulouse-Lautrec avait peint une fresque pittoresque intitulée La Griserie de la belle inconnue, une femme au visage masqué par un loup, allongée sur un sofa devant un chat, une coupe de champagne dans une main, et l’autre comme tendue vers un mystérieux amant. Monsieur Li sentait l’ivresse l’envahir et embrumer son esprit. En contemplant la peinture, il crut deviner le visage de madame Cambon sous le loup et imagina qu’il la possédait violemment. Ce phantasme lui redonna la vigueur et il sombra, le sexe dur et dressé, au creux du lit à baldaquin et des chairs mêlées, alanguies et offertes d’Irma la blonde et d’Apolline la rousse.
Ce fut vers les trois heures du matin qu’Irma descendit en trombe en hurlant, couverte de sang et le regard épouvanté comme si elle avait vu le diable en personne(…).
C’est l’Chinois… C’est l’Chinois… Il est mort ! C’est le diable qui l’a tué…
Et Apolline ? Où est Apolline ?
J’sais pas… j’me suis endormie un moment et quand j’me suis réveillée… elle était plus là… et l’Chinois… il était couvert de sang et les yeux morts comme un poisson…

À La Fleur Blanche

Niveau de satisfaction :
4.5 out of 5 stars (4,5 / 5)

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